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Lire Ivan Illitch… et mourir !
Quel savoir-faire dans le verbe, quelle maestria dans le style, quelle verdeur dans le propos. C'est limpide, c'est naturel, c'est jouissif, c'est fort, cela semble évident et pourtant c'est inimitable, incomparable, inatteignable. Chapeau bas, bien, bien bas ; plus bas que ça encore, Monsieur Tolstoï.

On ne vous remerciera jamais assez pour ce chapelet de trésors que vous nous léguâtes. Il y eut les gros (Anna Karénine), les très gros (Guerre et paix), les petits (Les Cosaques) et les tout petits dont La Mort D'Ivan Illitch fait partie ; mais tous ont cette faculté de briller par-delà les siècles, par-delà les frontières et par-delà tout ce qui pourrait tenter de les empêcher de briller.

En quelques pages, quelques grammes de papier (car j'ose espérer que vous ne vous êtes pas encore convertis à la liseuse !), Lev Tolstoï a le talent d'évoquer une vie entière et tout un monde de convenances, d'aspirations, de doutes et de certitudes.

L'issue de la lutte ne laissant guère de suspense, l'auteur s'attache à nous faire vivre et ressentir la lente et inéluctable descente, l'affaissement, le basculement d'un homme, en apparence enviable, du monde des vivants à celui des trépassés.

Chemin faisant, l'individu incline à l'examen distancié de sa propre existence passée, à l'introspection, au voyage au creux de soi-même, de tout ce que l'on a pensé et cru, et qui bien sûr n'était que du flan, de la poudre aux yeux, des chimères.

En cette lumineuse nouvelle, Tolstoï aborde une foule de notions, comme l'atroce solitude d'un malade durant les heures de veille nocturne, le schéma du dialogue intérieur du mourant, la personnification de la douleur et la mise à l'épreuve qu'elle engendre, le lancinant va-et-vient entre espoirs de guérison et certitudes du contraire en passant par les phases médianes du doute, l'alternance mécanique entre l'hypocondrie et le déni du mal véritable, la manipulation et l'abus de pouvoir des médecins, l'hypocrisie et le mensonge des proches, la crise de la foi face à l'imminence de la mort, ou bien encore la vacuité des apparences et le sens vrai de l'existence.

L'auteur utilise le symbole d'Ivan Illitch, magistrat de premier ordre, rendant des sentences, mis face à la sienne de sentence. Les médecins jouent le rôle des avocats véreux et la Mort, le rôle d'authentique présidente de l'audience. Nul besoin de pousser plus loin l'évocation, vous avez dans les mains un petit délice à déguster sans modération en vous pourléchant les doigts, mais ceci n'est que mon avis, qui rassurez-vous n'est pas mortel, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Un concentré de littérature.
Tolstoï était un génie, mais pas un génie comique. Il n'avait pas un facies de bonnes nouvelles. Même avec un nez rouge et sans sa barbe taillée à la faucille, il n'aurait pas prêté à sourire.
Sacré challenge donc de s'amuser avec ce petit roman, beaucoup plus court que l'agonie de son personnage.
Avant d'être mort, Ivan Ilitch fut un bureaucrate du tsar ambitieux. Il avait les dents longues, ce qui est pratique pour mâchouiller son boeuf Stroganov surgelé et pour rayer les parquets des puissants à force de courbettes, mais pas suffisant pour ronger le fil de son destin. Avant de rejoindre le trou de sa tombe, il avait su ainsi faire son trou dans la haute société, préférant les privilèges à l'éthique, pour devenir haut magistrat. En supplément, il avait su aussi épouser une jolie fille de bonne famille pour son plan épargne logement. Les mortels sont prévoyants.
Patatras, suite à une blessure anodine, l'ambitieux devenait invalide et si les devins en blouse blanche avaient du mal à augurer la suite, les diagnostics n'en faisaient pas un favori pour le prix Jeanne Calment de la longévité.
Comme le trépas ne figurait pas dans son plan de carrière et qu'il ne trouvait pas une date disponible pour ses obsèques dans son carnet mondain, Ivan allait d'abord s'obstiner à vivre dans le déni de sa maladie. A l'aveuglement allait succéder dans le désordre de l'âme, l'inquiétude, puis les terreurs nocturnes, la colère, le sentiment d'injustice, la prise de conscience d'une mort prochaine et de la vacuité de sa vie. Une lecture à déconseiller aux dépressifs et aux coachs en développement personnel.
Tolstoï excelle dans la description des tourments du malade, la valse des moments d'espoir et de désespoir. Ce n'est pas le tableau clinique que peint l'écrivain : c'est la révélation de la finitude. Une démonstration universelle en moins de cent pages, la force d'une évidence, pour un questionnement pourtant qui révèle tant de l'intime, à l'aide d'une prose qui excelle dans le réalisme en insistant sur l'ambivalence des hommes face à la maladie et la mort. Une concision bien supérieure à celle de cette dernière phrase qui veut trop en dire.
L'autre marotte du géant barbu, c'est la déchéance morale de la société russe. Il insiste tellement dans son récit sur l'intensité des souffrances physiques et psychologiques du personnage que cela finit par ressembler à une séance de torture pour lui faire expier une existence sociale superficielle détachée des valeurs morales qui tourmentaient tant le père Léon.
De ma première lecture de ce roman, il y a une bonne vingtaine d'années, j'avais surtout gardé le souvenir des larmes de crocodile des proches du défunt autour de sa dépouille, entre une veuve préoccupée par la succession, des amis pressés de retrouver leur partie de cartes et des collègues qui allaient profiter du trou dans l'organigramme. Un bal des cyniques pour une veillée funèbre très bien orchestrée par l'écrivain.
Cette deuxième intrusion dans ce roman m'a surtout impressionnée par cette sublime évocation de l'extrême solitude du personnage face à la maladie et la mort, comme un prélude à l'éternité.
En résumé, Ivan, côté santé, c'est pas terrible.
J'avais prévenu que Tolstoï n'était pas un rigolo.
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Après une grave crise existentielle et beaucoup de morts parmi ses proches, Tolstoï voulait écrire sur la mort ordinaire d'un homme ordinaire, l'attente angoissée de la mort, enfin l'engloutissement du moi dans le néant, et ses questionnements :
« il n'est plus possible de continuer à vivre comme j'ai vécu jusqu'à présent, et comme nous vivons tous. ».
Dans la première partie, Ivan Ilitch est mort, ses collègues pensent chacun au poste laissé vacant, remplacé par qui, qui lui- même devra être remplacé par qui….
Son meilleur ami Piotr Ivanovitch pense tout de suite à son beau-frère, car s'il arrive à le placer, sa femme la bouclerait.
A voix haute, il dit : C'est triste ».
Puis Piotr se rend dans la maison endeuillée, essaie de ne pas regarder le cadavre, est interviewé par la veuve, tellement écrasée par le chagrin, qu'elle doit (luttant contre les larmes irrépressibles) continuer à parler gros sous. Combien pourrait-elle toucher de l'Etat, vu le deuil ? Non, pas les droits normaux qu'elle ne peut ignorer, d'autres, plus intéressants ?

L'incident de la mort – Tolstoï le répète, en notant tous les égoïsmes des proches,
l'hypocrisie, les souffrances non pas du mort mais de sa femme, martyre de cet homme malade ( Et qu'est-ce qu'elle y pouvait, elle, s'il ne prenait pas ses médicaments, ce n'est quand même pas elle la responsable, non ?) l'incident, vécu comme une futile mésaventure qui ne peut pas nous concerner nous autres, les vivants-- cet incident, donc, laisse place, dans la deuxième partie, à l'évocation de la vie d'Ivan Ilitch.
Ordinaire, sans doute, cette vie, plaisirs, carrière, mariage, puis à la naissance du premier enfant, jalousie de sa femme, qui lui rend la vie impossible, carrière en berne, et la haine.
Sa femme le hait.
Patatras, sa santé décline, son humeur s'aggrave.
Si tu es malade, soigne-toi, et n'en parlons plus, lui dit-elle, arrête de me contrarier.
Et il reste seul, sans autre compassion que le paysan qui lui tient les jambes, seul, tout seul, et surtout pas aidé par les médecins qui le traitent comme un prévenu, ne savent pas et n'ont pas envie de savoir. Parfois il croit que rien n'est grave, d'autres fois il se dit qu'il va mourir, il fait le bilan de sa vie ordinaire pitoyable et empoisonnée, car il empoisonne la vie des autres, « et cette vie au bord du précipice, il fallait la vivre seul, sans un seul être qui le comprenne et qui le plaigne ».
Après sa mort, entourée d'indifférence et d'hypocrisie, après sa vie, où la recherche du plaisir est minée par la haine et la peur de mourir, Tolstoï nous conte longuement , directement, sans recours au pittoresque ni à la recherche de style, l'agonie d'Ivan Ilitch.

Ce dernier n'a jamais beaucoup remis en cause le système judiciaire où il condamnait les prévenus, et voilà que sa mort est réduite à un « désagrément passager non dénué d'indécence. »
L'agonie est longue, douloureuse, tourmentée par les mensonges de son entourage minimisant son mal au lieu de reconnaître l'horrible situation où il se trouve.
Jamais lu une aussi troublante analyse sur la descente inexorable vers la mort, descente où Ilitch met en examen sa propre existence, ses leurres, sa manière de n'avoir jamais vécu qu'à la superficie de lui-même.
Et sur sa solitude absolue.
Puis lumière, la mort n'existe pas conclut cet immense écrivain qu'est Tolstoï.

LC thématique juillet : un prénom dans le titre.
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Au seuil de la mort, Ivan Illitch, dans sa solitude tourmentée d'agonisant, procède à un dialogue intérieur. La pensée du magistrat alterne entre espoir de guérir et conviction de sa fin proche. Il ressent la fausseté et l'hypocrisie de ses proches qui lui mentent sur son état, rejette le simulacre de la médecine, analyse la vacuité de l'orgueil humain, pense à Dieu et finalement accepte, après cette longue introspection, l'inéluctable fin de sa vie.
Un remarquable récit qui traduit les interrogations et angoisses existentielles de Léon Tolstoï.
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Mon premier Tolstoï, j'ai presque honte de l'avouer. Il fait partie de ces auteurs que je regarde de loin, que je n'ose pas aborder, craignant un texte trop aride, trop classique, un peu démodé. Quoi de mieux qu'un Lecture Commune sur un texte court pour sauter le pas et réaliser que mes craintes étaient injustifiées.

Un texte court, vous dis-je, à peine 50 pages dans mon édition numérique, mais si riche. L'auteur nous conte la vie et surtout l'agonie d'Ivan Ilitch, russe de bonne famille, fonctionnaire exerçant des métiers plutôt rémunérateurs dans la justice. Il est marié, pour le pire plus que pour le meilleur, deux enfants encore vivants, quelques serviteurs et des collègues avec qui il aime jouer aux cartes.
Une vie qui s'écoule plutôt paisiblement jusqu'au jour où lors d'une chute malencontreuse il se heurte le côté. Cet évènement plutôt anodin va être le début de la fin pour cet homme ; sa santé va se détériorer, sans que les médecins n'y puissent rien, sans qu'ils n'y comprennent rien. Il essaiera de nombreux médicaments, rien n'y fait et la mort surviendra après d'atroces souffrances.

Ce qui m'a frappée en premier lieu, c'est l'atroce solitude de cet homme, qui se retrouve seul à lutter, sans personne pour le réconforter, le soutenir à part ce serviteur Guérassime et à de rares moments son fils encore enfant. Ses collègues maudiront sa mort, qui les oblige à une visite désagréable à la veuve, et sa femme et sa fille sont plus préoccupées de leurs toilettes et sorties que de soutenir leur mari et père.

Dans cette solitude, il va devoir affronter la maladie, passant par des phases de déni, des phases de combat, des phases d'auto-apitoiement et enfin l'acceptation. Il va mourir et ce constat l'amène à réfléchir sur une vie toute entière menée par l'envie de réussir, le désir de se conformer à ce qu'exige la société, le paraitre. Et à l'heure de la mort, il n'en reste rien. A force de vouloir réussir, il a oublié de vivre et sa vie lui parait désespérément vide. Et malgré tout ce que son parcours a de convenu, de déplaisant, je n'ai pu m'empêcher de le plaindre de tout mon coeur.

Au passage, Tolstoï égratigne la société russe. Les bureaucrates en premier lieu, préoccupés de réussite sociale, à la recherche d'une de ces positions « prouvent clairement que ceux qui les détiennent seraient incapables de remplir un emploi sérieux. » Les médecins aussi en prennent pour leur grade, plus prodigues de belles phrases que de vraies connaissances : les plus réputés étant les plus chers, sans qu'ils soient pour autant plus compétents.

Et tout cela exprimé dans une écriture fluide, précise, limpide. Comme je le disais, je crains parfois et bien à tort de lire ou relire certains classiques, craignant un coté un peu ampoulé, daté. Ce n'est clairement pas le cas ici. Les pages s'enchainent sans aucune lourdeur,

Merci à Sandrine qui a initié cette lecture et tous ceux nombreux qui m'ont accompagnée dans cette découverte.
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Ivan Ilitch est mort, passée l'émotion, ses amis et collègues se demandent qui occupera son poste. Sa femme s'inquiète de sa situation financière. La vie suit son cours.
La mort d'Ivan Ilitch nous ramène à notre propre mortalité et à la mort de certains proches avec un entourage pas qui n'est pas toujours à la hauteur. Ici ils semblent égoïstes mais peut-être que… en y réfléchissant, c'est Ivan, lui-même, qui a crée cette situation en prétextant le travail, les amis :
« Cet éloignement aurait attristé Ivan Ilitch s'il avait pensé qu'il en pouvait être autrement, mais il trouvait cela tout à fait normal et en faisait le but de son existence familiale. Ce but était de se débarrasser de plus en plus de ces désagréments, de leur donner un caractère inoffensif et convenable. »
Une chute banale, rien de bien grave, puis une douleur sourde quelques temps plus tard… et Ivan se retrouve à la merci des médecins (il devine si bien leurs regards, leurs discours,…)
«C'était tout à fait comme au tribunal. Les airs qu'il prenait, lui, vis-à-vis des accusés, le célèbre médecin les prenait vis-à-vis de lui. »
D'une vie agréable , il va se retrouver cloîtré dans sa chambre, seul face à la maladie, la souffrance et la peur de mourir. Pourquoi lui ? Et sa vie qu'en a-t-il fait ? A trop satisfaire au diktat de son époque, que lui reste-t-il ?
« Et plus le temps passait, plus sa vie était vide. « C'est comme si j'avais descendu une montagne au lieu de la monter. Ce fut bien ainsi. Selon l'opinion publique je montais, mais en réalité, la vie glissait sous moi… Et me voici arrivé au terme … Meurs ! »
Dans sa lente agonie il trouvera du réconfort auprès de Guérassime, un simple serviteur qui par son écoute, sa présence et quelques gestes adoucira ses derniers jours.
Son fils lui donnera le courage de mourir car lorsqu'il le voit en larme avec sa mère , il prendra conscience de leur souffrance et comprendra que son heure est venue :
« Il ouvrit les yeux et aperçut son fils. Il s'attendrit. A ce moment sa femme s'approcha. Il jeta les yeux sur elle. La bouche ouverte, le visage couvert de larmes, elle le regardait. Il eut pitié d'elle. « Oui, je les torture, pensa-t-il. Cela leur fait de la peine. Il vaut mieux pour eux que je parte. »
Bien sûr il s'agit d'un court récit très touchant surtout si l'on a vécu une situation similaire. Un rappel de notre mortalité. Puisque nous devons mourir, quel sens donner à notre vie ?
La vie et l'oeuvre de Lev Nicolaïevitch Tolstoï sont étroitement liées. Certains passages sont autobiographiques et c'est ce qui lui donne cette universalité, cette proximité. Nous nous posons tous les mêmes questions.
En cent pages, la vie et la mort du personnage sont finement analysées, tout est dit dans un texte sans fioriture en dépit du thème c'est un grand moment de lecture.
Merci Hundreddreams pour cette excellent choix en fin de compte.
Merci à tous les amis de cette LC pour les échanges constructifs.
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En si peu de pages, Léon Tolstoï nous fait vivre dans cette nouvelle la mort. La mort d'Ivan Ilitch ne laisse aucune ambiguïté dans ce titre ni dans les premières lignes.
Un homme est mort, un homme ordinaire et nous voici invité par Léon Tolstoï à entrer dans le cortège des voix dissonantes qui bruissent autour du défunt alors qu'il serait convenu de se recueillir en silence. Nous sommes quelques heures à peine après son décès…
Un homme est mort qui était encore jeune, dans la force de l'âge. Il n'avait que quarante-cinq ans.
Qu'a fait ou qu'a été de son vivant Ivan Ilitch pour mériter pareil irrespect à la place de la compassion ? Au lieu du chagrin ou tout au moins d'une forme de bienséance qui eût été à propos lors du service religieux qui est donné, ce ne sont que conjectures sur le devenir de la fonction qu'occupait Ivan Ilitch. Les égoïsmes se lâchent. On pense aux ambitions, aux frivolités de la vie, à la partie de whist du soir, on pense à être ailleurs, surtout pas ici, ou du moins pas trop longtemps, juste le temps de se montrer… C'est peut-être à cet instant qu'elle est là, la société russe, à jamais…
Un homme est mort qui occupait la fonction de juge.
C'est alors que Léon Tolstoï nous éloigne de ce parterre presque cacophonique et nous invite à faire un pas de côté sur le parcours d'Ivan Ilitch.
Un homme est mort qui fut un vivant, qui fut jeune, qui désira une femme qui l'aima à son tour, ils eurent des enfants. Il gravit les échelons professionnels pour arriver au haut rang de magistrat, rendant les sentences, disposant d'un pouvoir énorme entre ses mains sur le destin d'autres gens, suscitant aussi les jalousies, les convoitises. Il n'en était pas lui-même exempt…
En si peu de pages, Léon Tolstoï nous plonge dans la tête de cet homme qui fut cela, et bien autre chose encore, il nous brosse le portrait d'un homme ambitieux, aimant sa famille, satisfait de son parcours.
C'est un peu comme si brusquement Ivan Ilitch nous confiait son histoire. Une mauvaise chute qui tourne mal, s'aggrave, voilà brusquement cet homme tombant malade, ce n'est plus alors qu'une sorte de désescalade sans fin vers l'ultime fin, la mort.
Un homme va mourir et nous savons que bientôt il sera mort, nous le savons mieux que lui et Léon Tolstoï a déjà ici l'art de donner une force extraordinaire à notre regard de témoin.
Est-ce ainsi que les hommes meurent ? Et leurs illusions au loin demeurent…
En si peu de pages, Léon Tolstoï nous dépeint la solitude devenue brusquement absolue, infinie d'un homme qui agonise, qui va peu à peu, pas à pas, vers la mort et se souvient, convoque sa vie, comme on tire sur l'écheveau d'une pelote de laine emmêlée. Comme on ouvre le rideau d'une scène de théâtre, convoquant les comédiens pour jouer la dernière scène…
Un homme va mourir qui avait sentence sur tout et voilà que c'est le monde à l'envers, c'est l'arroseur arrosé, voilà que le destin s'empare de lui, de son sort et va rendre à son tour une sentence inéluctable…
Un homme va mourir seul devant la mort, abandonné de ses plus proches ; les médecins, n'en parlons pas, où sont-ils ? Que font-ils ? Et sa famille, ses proches, c'est encore pire… Il y a cependant ce beau et touchant personnage secondaire qu'est Guérassime dans son dévouement et son humilité. Comme je l'ai aimé, celui-là…
Ivan Ilitch n'est pas seul puisque nous sommes là à suivre son agonie, à étreindre ses pensées et c'est bouleversant. Nous sommes dans l'intimité d'un être en souffrance, qui souffre physiquement, mais peut-être plus encore qui souffre moralement.
La mort est à la fois unique et intemporelle. Celle d'Ivan Ilitch n'échappe pas à la règle. Pourquoi a-ton si peur de mourir ? Est-ce à cause de la mort par elle-même ? de ce qui a après ou peut-être rien justement ? Ou bien la peur d'avoir complètement raté son existence ? Quel sens à tout cela ?
En si peu de pages si puissantes, le récit qu'a écrit Léon Tolstoï m'a touché par son profond réalisme, son acuité, sa justesse, touchant l'intime de nos vies, questionnant notre propre rapport à la mort, à nos morts, qui se font de plus en plus nombreux au fur et à mesure qu'on avance dans l'âge…
En si peu de pages, tant de sentiments sont visités dans le prisme d'un seul homme devenu solitaire devant la mort, traversé de doute, d'inquiétude, d'amertume, peut-être de regrets et de remords…
La force d'un écrivain est là, disant la grandeur d'un texte au travers de la médiocrité d'une vie rendue encore plus misérable au seuil fatidique.
Je me suis alors souvenu d'une histoire vraie que j'avais entendu un jour lors d'un reportage à la radio, celle d'un sage taoïste qui accompagnait les personnes mourantes en leur prodiguant des gestes et des pensées empreintes de sérénité et de douceur. Il avait un don pour aider à cheminer vers l'autre versant. Un jour, il apprit qu'il était atteint d'un mal incurable, qui lui laissait à peine quelques mois à vivre. Alors cet homme qui avait toute sa vie prodigué le détachement, s'apprêtait à aller vers la mort dans une totale peur panique… Cette histoire m'avait impressionné…
En lisant ce récit percutant comme la vie, je ne pouvais me détacher à chaque page de la mort de quelques êtres proches, mes parents et une de mes soeurs, ces trois êtres chers que j'ai assisté l'un après l'autre dans leur agonie… Je me souviendrai à jamais de l'humour de ma soeur, un dimanche midi une semaine avant qu'elle nous quitte, nous avions partagé un succulent Bordeaux dans son appartement donnant sur la Loire… Elle avait ironisé sur notre stupide beau-frère, alcoolique et raciste, qui lui survivrait, peut-être longtemps après elle… Hélas, elle avait raison, le bougre est toujours en vie, me semble-t-il, vingt-cinq après… Dans la douleur de son propos, elle avait simplement exprimé une forme d'injustice, - pourquoi moi ? pourquoi maintenant ? - celle que j'ai vu aussi dans les yeux d'Ivan Ilitch qui me fixaient lorsque je refermai les dernières pages du livre…
C'est la force de l'écriture de Léon Tolstoï que de nous inviter à côtoyer avec tant de grâce les vivants et les morts qui peuplent nos existences… C'est à eux que je pense ce soir en écrivant ces mots…

Cette nouvelle a été lue dans le cadre d'une lecture commune et je remercie mes compagnons de lecture, fidèles et nouveaux, dont les regards croisés ont été complémentaires et ont éclairé mes pas…
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Allongé sur son canapé Ivan illitch attends
La douleur pénètre insidieusement en lui
Apportant larmes et déchirements
Le mal qui le ronge peu à peu le détruit
Aimé de peu, abandonné de tous, il prie
Charognards odieux attendant sa dépouille
Espérant que la mort fasse place à la vie
Et les délivres de ce visage de gargouille.

Tout est dit dans cette nouvelle de Léon Tolstoï, dès la première page on sait que Ivan Illitch est mort. La mort n'est jamais belle, la douleur encore moins,Tolstoï avec son talent nous renvoie à ce que nous sommes, des êtres en sursis. La mort d'Ivan Illitch titre de cette nouvelle est particulièrement effrayante. La douleur est dans toutes les pages, douleur morale et physique, aucun soulagement aucun réconfort.
J'ai aimé Ivan comme j'ai aimé Pierre dans la guerre et la paix comme j'aimerais Anna Karenine parce que les personnages de Tolstoï sont comme nous, pas des supers héros.
Merci à la tribu pour cette lecture commune et à Sandrine la cheffe d'orchestre de cette lecture.
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« Un être meurt, et c'est seulement un être de moins sur terre; moi, le monde disparaît. »
Simone de Beauvoir, Cahiers de jeunesse

Cet aphorisme pourrait presque à lui seul résumer La mort d'Ivan Ilitch. du point de vue d'Ivan Ilitch, sa propre mort est un scandale absolu, tandis que celle des autres s'inscrit dans l'ordre naturel des choses. S'il reconnaît que le syllogisme « Caïus est un homme ; tous les hommes sont mortels ; donc Caïus est mortel » est tout à fait juste s'agissant de Caïus, il ne peut se résoudre à le trouver juste s'agissant de lui-même. Lui n'est ni Caïus, ni un homme en général, il est un être singulier et à part, avec son histoire, ses sentiments, ses bonnes et ses mauvaises actions.
Et naturellement, ce qu'Ivan Ilitch et Simone de Beauvoir pensent et expriment si douloureusement, la plupart d'entre nous le pensons également. Notre mort, c'est la fin du monde, celle des autres, ma foi… cela concerne les autres. Ainsi, l'agonie et la mort d'Ivan Ilitch, si atroces du point de vue d'Ivan Ilitch, ne sont-elles pour les autres, médecins, collègues, amis et proches, qu'un désagrément venant contrarier le déroulement ordinaire de leur existence. Tandis qu'Ivan Ilitch se met à observer anxieusement la progression de son mal, ses amis soupirent d'ennui, sa femme et sa fille, alors en pleine saison mondaine, lui reprochent son humeur maussade et regardaet ailleurs. La plupart du temps, Ivan Ilitch se mure dans un silence farouche, et les rares fois où il cherche à se confier ou à trouver du réconfort auprès de ses proches, ceux-ci se dérobent. C'est qu'on ne parle pas de ces choses, c'est parfaitement inconvenant.

Dans La recherche du temps perdu, il y a un épisode à la fois tragique et désopilant que j'affectionne particulièrement. Swann, terriblement malade et affaibli, rend une visite de courtoisie aux duc et à la duchesse de Germantes, au moment où ceux-ci s'apprêtent à sortir. La duchesse, tout en achevant ses préparatifs, lui renouvelle sa demande de les accompagner, le duc et elle, lors d'un voyage en Italie. Comme Swann lui répond que cela ne se pourra très certainement pas, elle le somme de lui en donner la raison, s'étonnant d'ailleurs, un brin offensée, qu'il puisse savoir à dix mois d'avance que cela lui sera impossible. Pressé par la duchesse, Swann finit par concéder que s'il ne pourra pas effectuer ce voyage avec eux, c'est parce qu'il sera mort depuis plusieurs mois.

« Placée pour la première fois de sa vie entre deux devoirs aussi différents que monter dans sa voiture pour aller dîner en ville, et témoigner de la pitié à un homme qui va mourir, elle ne voyait rien dans le code des convenances qui lui indiquât la jurisprudence à suivre et ne sachant auquel donner la préférence, elle crut devoir faire semblant de ne pas croire que la seconde alternative eût à se poser, de façon à obéir à la première qui demandait en ce moment moins d'efforts, et pensa que la meilleure manière de résoudre le conflit était de le nier. »

Il y a une immense différence, néanmoins, entre Swann et Ivan Ilitch. Swann aborde la maladie et la mort avec son élégance coutumière, détachée et courtoise, Swann ne se fait aucune illusion sur les autres et sur lui-même, tandis qu'Ivan Ilitch se révolte contre le sort qui l'accable, étouffe de colère contre l'indifférence des autres, une indifférence se traduisant par le déni, une minoration constante du mal dont il souffre, un refus d'admettre que ce mal qui le ronge, c'est le lent travail de la mort. C'est cela, le déni, le mensonge dans les rets duquel il se retrouve enfermé comme dans une cage de verre, qui le fait le plus souffrir. Il se débat comme un dément, il voudrait à toute force briser la vitre et entrer en relation avec l'autre, mais il n'y parvient pas et reste seul, livré à lui-même face aux assauts de la douleur et de l'angoisse.

« Dans les derniers temps, le visage tourné vers le dossier du divan, il vivait tellement seul au milieu d'une cité populeuse, de ses nombreux amis, de sa famille, que nulle part, ni sous la terre ni au fond de la mer, on n'aurait pu trouver une solitude aussi complète. »

Je ne pense pas que cette solitude effrayante face à la mort soit un cas particulier. Je crois au contraire qu'elle est ce à quoi est confrontée l'immense majorité, si ce n'est la totalité, des mourants. Je l'ai lu dans le regard des rares mourants que j'ai été amenée à côtoyer, mélange d'intense désarroi et de rage froide. Récemment, j'ai assisté aux derniers mois d'une femme qui, sans être une intime, était une personne à laquelle j'étais très attachée. Elle me répétait à chaque fois qu'elle me voyait qu'elle se sentait terriblement seule. Et pourtant, il me serait difficile de trouver une personne plus aimée et plus entourée qu'elle ne le fut. J'ajoute que c'était quelqu'un qui n'avait pas pour habitude de se plaindre. Cependant la découverte de sa maladie et l'annonce de sa mort à plus ou moins brève échéance la rendirent, comme on peut s'y attendre, extrêmement malheureuse. Je la vis s'isoler de plus en plus dans sa cage de verre et, à l'instar d'Ivan Ilitch, osciller sans répit entre espoir déraisonnable et désespoir absolu.

Car la vie pour un mourant se ramène à cela : sa douleur. La douleur frappe d'abord Ivan Ilitch faiblement, avec une relative discrétion, puis, à mesure que les semaines et les mois s'écoulent, de plus en plus fréquemment et avec plus d'ostentation. Chaque fois qu'elle se manifeste, elle réveille en lui cette autre douleur, plus atroce encore : l'angoisse, et celle-ci vient en retour accroître la douleur physique en un cercle vicieux véritablement infernal. Puis, douleur physique et douleur morale fusionnent en quelque sorte, ne le laissant jamais en repos, occultant tout le reste, valant à Ivan Ilitch cette supplique désespérée :

« N'y a-t-il qu'elle de vraie? »
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De la grande littérature en si peu de pages.

La Mort d'Ivan Ilitch frappe d'abord par le choix de ce titre direct qui invite le lecteur à réfléchir sur le contenu et le genre de ce court roman. Et l'on commence à se poser des questions sur ce personnage tellement important dont la mort est si intéressante.

Tolstoï a choisi une organisation assez curieuse pour son roman (ou nouvelle). Une organisation qu'on retrouvera plus tard chez Kundera par exemple. le livre s'ouvre sur la nouvelle de la mort d'un conseiller à la cour d'appel. Et l'on constate que cette nouvelle cause des réactions étranges chez son entourage ; un mélange d'indifférence et d'insouciance égoïstes. Ensuite, l'auteur revient sur la vie et l'ascension de ce personnage assez banal qui menait, selon lui (Ivan), correctement, facilement et agréablement sa vie. Son mariage qui s'avère un véritable naufrage ne l'empêche pas de continuer sa carrière malgré les désagréments fréquents. En surplus, son travail devient un refuge pour lui sans pour autant y trouver du plaisir.

L'intérêt de cette organisation est dans le fait qu'on arrive à découvrir au fur et à mesure la raison de cette indifférence presque flagrante de son entourage. D'ailleurs, Ivan lui-même commence à saisir la réalité et la vérité de son existence toute entière et ce jusqu'au dernier souffle.

Par ailleurs, ce livre est une descente aux enfers de la douleur, de la mort et de l'absurdité de la vie (un mot un peu osé mais vrai). le malaise que ressent Ivan, on le ressent, nous-mêmes lecteurs, au long de ce récit. Cette douleur omniprésente, permanente qui consomme l'âme et le corps d'Ivan au fil des pages et des jours, Tolstoï nous la fait vivre par sa magie d'écrivain. Ivan affronte sa mort, seul. Ni médecins (d'ailleurs on retrouve une satire envers eux et une description désavantageuse de leur attitude envers les malades), ni famille, ni amis ne le sauveront ni même ne le comprendront. Il doit saisir l'intérêt de cette douleur, chercher l'origine de son mal et vaincre sa peur de la mort. C'est ce combat atroce qu'on retrouve dans ce court roman.

Il s'agit bien d'une lecture exigeante qui vous donne à réfléchir sur toute l'existence, une lecture qui « nous réveille (…) d'un coup de poing sur le crâne » (Kafka).
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