Un livre a toujours deux auteurs : celui qui l'a écrit et celui qui le lit.
Le magazine, le film, la télévision gavent l'oeil et réduisent le reste de l'homme à néant. L'homme d'aujourd'hui se promène muselé et manchot dans un palais de mirages.
Vieillir. Deux pommes sur une planche pour l'hiver. L'une se boursoufle et pourrit. L'autre se dessèche et se ratatine. Choisis si possible cette seconde sorte de vieillesse, dure et légère.
"Corps"
Le cerveau humain apparaît aujourd'hui comme un continent où presque tout est encore vierge, ses mers et ses îles, sa flore et sa faune, sa climatologie et son ethnographie.
"Maître Cerveau"
Je me suis longtemps demandé si l'arroi de la féminité était imposé aux femmes par les hommes, ou adopté par les femmes parce que tel était leur plaisir et leur instinct.
Le livre est une création, et cette création comporte un premier et un second degré.
Au premier degré, j'invente une histoire et des personnages. Au second degré, le lecteur s'en empare et poursuit cette création pour la faire sienne.
Il y a un signe infaillible auquel on reconnaît qu'on aime quelqu'un d'amour, c'est quand son visage vous inspire plus de désir physique qu'aucune autre partie de son corps.
« Et chaque nuit ma femme dormira au creux de mon corps, parce qu’il y a des heures obscures où la chair n’endure pas la solitude sans risquer de mourir de chagrin. » (p. 95)
Il doit en être ainsi dans toutes les vieilles maisons. Il y a dans la mienne divorce complet entre les clefs et les serrures. Des clefs, j'en possède un plein tiroir, clefs de cadenas à barbe finement ourlée, clefs fichets à tige creuse, diamant à double panneton, clefs géantes massives comme des armes contondantes, clefs de secrétaire à l'anneau ouvragé comme dentelle, modestes passe-partout dont le seul défault est justement de ne passer nulle part. Car le mystère est là: aucune des serrures de la maison n'obéit à ces clefs. J'ai voulu en avoir le coeur net. Je les ai toutes essayées. Leur vertu apéritive, comme disait Pascal, s'est révélée nulle. Alors d'où viennent-elles, que font-elles là, toutes ces belles clefs, ayant chacune plus ou moins la forme d'un point d'interrogation de métal?
SEIGNEUR MISTRAL
Les nouveaux venus en Provence ont des faiblesses pour le mistral. Ils trouvent ce vent sec et frais tonique, sportif, sain, jovial. Ils apprécient qu'il chasse les nuages et les miasmes chargés de moustiques, venus des marécages de Camargue, et nettoie le ciel qu'il fait briller de soleil, comme un grand plat de cuivre durement frotté. Le temps de mistral, un mauvais temps? Allons donc! Comment le mauvais temps pourrait-il être ensoleillé? Pour les gens du Nord qui dit mauvais dit nuages et pluie.
Ce n'est pas ainsi que l'entendent les Provençaux. Je me souviens d'une petite scène qui se passait un matin sur la place du Forum en Arles, l'un des lieux les plus intimes et les plus protégés de la ville, où veille la statue paternelle de Frédéric Mistral. La douceur de l'air était adorable…
…Je cherchais des yeux un compagnon qui partageât avec moi cette heure bénie des dieux. A ce moment un vieux Provençal, comme on en voit sur les cours disputer des parties de pétanque passionnées, vint se placer à coté de moi. Il leva un regard courroucé vers le ciel, secoua sa tête et grogna:" Le mauvais temps continue!" Et il partit se réfugier dans un café, en maudissant les rigueurs du climat provençal. Le mauvais temps? Eh oui, car il avait discerné un léger souffle du Nord dans les feuillages des platanes, et cette présence, même infime, du mistral avait suffi à le hérisser. Je haussai les épaules.
Aujourd'hui, j'ai dû devenir un peu provençal moi aussi, car je ne hausse plus les épaules…
Je sais que le mistral peut-être un mauvais maître, un très cruel tyran. Je l'ai vu soufflant toute une semaine, faire crever de sécheresse les plantes des balcons… Je l'ai vu saccager des soirées en plein air…
… Et moi qui ai intitulé un de mes livres "Le vent Paraclet", en hommage au Saint-Esprit que je supplie de bien vouloir souffler sur ma tête pour l'emplir de son inspiration, je voudrais faire inscrire sur la porte de ma maison d'Arles ces lignes de la Bible qui évoquent Elie attendant sur le mont Horeb le passage de Yahwé(I rois xix, 11-13).
p.196 ed.Folio N°1768