Voilà un tout petit livre de 30 pages à peine de
Jean-Philippe Toussaint, un auteur qu'on aime bien.
Ici il est question de Monet et de ces Nymphéas (ils ne s'appellent pas encore comme cela) en cours d'élaboration. Nous sommes pendant la Première Guerre mondiale, mais comment peindre sans penser à tous ces gens qui souffrent et meurent sur le champ de bataille ?
Une phrase revient comme un refrain, une litanie « Je veux saisir Monet, à cet instant précis où il pousse la porte de l'atelier... ».
Jean-Philippe Toussaint décrit l'atelier dans la pénombre, au petit matin, avant que la lumière ne pénètre dans l'atelier de Giverny que le peintre a fait construire pour travailler ses toiles.
Il est question de Clémenceau, le vieux tigre, son meilleur ami, de passage à l'atelier et qui veut le convaincre de donner l'ensemble à l'Etat.
Quand il débute la série des Nymphéas, Monet avait déjà travaillé, depuis 1889, sur le principe de séries de peintures sur un même sujet, où seule la lumière varie, nous apprend Wikipédia. Dans la série « les Matinées », Monet a pu explorer tout le potentiel que pouvaient apporter les reflets aquatiques dans la construction des perspectives. Les Nymphéas de Monet font l'objet d'une étrange circulation des influences entre l'Occident et le Japon, apprend encore dans la célèbre encyclopédie.
Huit compositions de même hauteur.
Des combinaisons que Monet ne cesse d'interroger. L'ensemble forme une surface d'environ 200 m2 qui en fait une des réalisations les plus monumentales du siècle. Monet a peint ces compositions pour qu'elles soient suspendues en cercle, comme si une journée ou les quatre saisons s'écoulaient devant les yeux du spectateur, nous dit encore.
Mais « Peindre, c'est oublier ses tourments intérieurs, c'est tenir à l'écart le passage au néant dont il sent l'imminence » écrit
Jean-Philippe Toussaint. Finir les Nymphéas, c'est accepter la mort, c'est consentir à disparaître ; mais ça il n'en est pas question. Il ne lâchera pas, il ne consentira pas reconnaître que son oeuvre est « achevée » et il ne peut pas laisser ces panneaux partir pour l'Orangerie.
Et il ne cessera de reprendre et de s'obstiner face à ses toiles. « Il pose délicatement une touche sur la toile, il nuance, il accentue. Il n'est pas satisfait, il efface, il insiste, il recommence. (..) Monet s'obstine, il reprend, il retouche ». Et il en sera ainsi jusqu'à la fin.
J'ai vu récemment un documentaire intitulé « Clémenceau dans le jardin de Monet » sur ARTE et c'est bien ce même moment des Nymphéas incessamment repris que l'émission retrace.
De
Jean-Philippe Toussaint j'ai lu «
la clé USB », «
la vérité sur Marie », ou encore «
Fuir » et j'aime bien son style contemporain et son art poétique.
Avec «
l'instant précis où Monet entre dans l'atelier », c'est à une invitation à retourner à l'Orangerie que l'auteur se livre, pour nous inciter à plonger dans les bleus, violets, verts et autres couleurs sublimes de reflets aquatiques que le monde entier vient regarder – une peinture intemporelle qui n'a pas fini de nous fasciner.