AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,07

sur 92 notes
5
5 avis
4
11 avis
3
0 avis
2
1 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Une poésie vibrante qui se glisse dans les failles du sommeil illuminant les nuits blanches. Impossible pour moi de tourner, de me retourner, chorégraphie étoilée bien vaine, lorsque je me débats avec cette ingrate insomnie. Non, la nuit je lis, je lis effrontément, et m'en lave les mains… tandis que d'autres, comme Marina Tsvétaïéva, trouvent dans ces heures somnambules les ressources pour écrire ce qu'il y a de plus profond en eux, pour écrire la beauté. La nuit comme creuset de la vie. Je me nourris de ces poèmes, à « l'heure des sources dénudées ». Je bois des litres d'encre noire, me brûle à ce magma toujours incandescent malgré leur ancienneté. Et voilà de quoi je me suis abreuvée cette nuit : « Insomnie et autres poèmes » de Marina Tsvétaïéva dont je connaissais déjà le manifeste lesbien « Mon frère féminin ». « Insomnie » est un recueil qui regroupe les poèmes de l'auteure de 1914 à 1941.

Chaque poème révèle des facettes de cette grande poète russe, qui vécut entre 1892 et 1941, période particulière durant laquelle les femmes russes réclament et obtiennent le droit de vote (en 1917 !). Période durant laquelle elle entretient une relation avec Sonia Parnok. Les premiers poèmes lui sont dédiés et font justement penser à son manifeste lesbien. Choquant, vous imaginez, pour les moeurs de l'époque. Chaque poème met en valeur les paradoxes de cette femme, aujourd'hui reconnue comme l'un des plus grands poètes du 20ème siècle, femme à la fois sombre et lumineuse, croyante et athée, passionnée et accablée, exaltée… Intègre.

Sa vie est marquée par l'exil, suite à la révolution bolchévique, puis par un suicide en 1941, deux ans après son retour sur la terre natale. Une de ses filles meurt de faim en 1920. Ecorchée comme beaucoup de poètes. Ces drames se retrouvent dans sa poésie.

Le livre démarre par des poèmes pour Sonia, « l'amie » s'intitule la première partie, l'amie aimée, l'amoureuse :

Là, par les galets, gorgée de vase
Pour une gorgée de passion !
Je t'avais si hautement aimée :
Je me suis dans le ciel inhumée !

Car ce frisson – là – se peut-il
Qu'il ne soit, lui qu'un rêve ? –
Car, par une délicieuse ironie,
Vous – vous n'est pas lui.

Ta robe – noire carapace de soie,
Ta voix, un peu rauque, à la tzigane,
J'ai mal tant j'aime tout en toi
Et même que tu ne sois pas une beauté.

Il se poursuit avec « Insomnie », coeur du livre :

Elle m'a entouré les yeux d'un cercle
D'ombre – l'insomnie.
L'insomnie a ceint mes yeux
D'une couronne d'ombre

Les poèmes s'égrènent, comme les années…si le recueil démarre en 1914, il se termine en 1941. Il est intéressant de noter l'évolution de l'écriture, des thèmes abordés. Nous sentons un vrai changement de ton dans les poèmes de l'exil, ceux à partir de 1918, l'absurdité, le non-sens, l'abattement prenant le dessus :

Ma journée est absurde de non-sens
Je demande au pauvre une aumône
Je donne au riche généreusement
J'enfile dans l'aiguille un rayon
Je confie ma clé au brigand
Et je farde mes joues de blanc
Le pauvre ne me donne pas de pain
Le riche ne prend pas mon argent,
Dans l'aiguille le rayon n'entre pas…
Il entre sans clé le brigand
Et la sotte pleure à seaux
Sur sa journée de non-sens

La guerre, la mort ne font pas exception, voyez ce poème que je trouve magnifique :

Tout rangés en rang
Sans partage
A bien voir les soldats
Où sont les nôtres ? Et les autres ?
Il était Blanc – le voilà rouge
Rouge de sang.
C'était un Rouge – le voilà blanc
Blanc de mort.

L'année 1920, marquée par la mort de sa fille, transparait en filigrane, de façon poignante et s'entremêle avec ce poème « chanson » dédié à la fin de l'amour :

Hier encore ses yeux cherchaient les miens
A cette heure son regard est ailleurs
Hier encore chez moi jusqu'aux oiseaux :
L'alouette à cette heure m'est corbeau

Jusqu'à ses derniers vers avant le suicide :
Il est temps
D'ôter l'ambre,
De changer les mots
Et d'éteindre la lampe
Au-dessus de ma porte

De l'amour à la mort, du rouge au blanc, ce recueil aura été un voyage nocturne, une pensée émue pour cette femme russe au lyrisme nostalgique…De tout ce recueil, deux vers qui me hantent et resteront gravés en moi : « tu m'as appris à vivre au coeur du feu, et tu m'as jetée dans la steppe glacée »…comme un message adressé à la vie. Poignant.




Commenter  J’apprécie          8741
Quatre heures du matin. La machine à rêves s'est arrêtée. Panne de courant dans la fabrique à songes. Je soulève une paupière comme on hélitreuille une masse inerte hors de l'eau. Qui diable ose m'extirper de ce sommeil ? Personne, c'est le calme plat dans la chambre. Commence alors la ritournelle d'une danse à l'horizontale. Flanc droit, sur le dos, flanc gauche et soupir avant de faire repartir le mouvement. Comme si le fait de changer de positions avait déjà été efficace face à l'insomnie. Cette chorégraphie d'une fin de nuit précipitée aurait pu s'appeler “À la recherche du sommeil disparu” mais c'eût été trop charmant face à l'agacement bien réel de ces heures éveillées, … jamais vraiment récupérées !

Il existe une poignée de personnes qui mettent la nuit à profit pour dérouler le tapis rouge à l'écriture. Quand les uns ronflent à l'unisson et les autres se débattent avec l'insomnie, eux font couler d'une traite des litres d'encre. Leur imagination se déverse sur des pages entières alors que le soleil n'a pas encore montré un signe de vie. D'après les correspondances retrouvées et les poèmes qu'elle écrivit, Marina Tsvétaïeva fut de ces écrivains-là. Voici une petite analyse de son recueil de poésie Insomnie et autres poèmes.

Difficile d'évoquer cette poétesse russe en faisant fi de l'Histoire du féminisme en Russie. Tsvétaïeva vécut entre 1892 et 1941, c'est-à-dire durant cette période particulière où les femmes russes revendiquent et obtiennent une série de droits civils dont le droit de vote en 1917 — alors que la France n'accordera le droit de vote à ses concitoyennes qu'en 1944. de par sa vie où elle entretint une relation avec Sonia Parnok, et par ses poèmes, dont certains sont en totale rupture avec les moeurs de l'époque,on pense notamment au manifeste lesbien Mon frère féminin, elle entre peu à peu dans la littérature mondiale féministe. À l'heure où la condition de la Femme est entrain de patauger en Russie, on se demande ce qu'en aurait pensé Tsvétaïeva, elle qui connu ce pan de l'Histoire où les femmes russes se rapprochaient, en considération, des hommes.

Le recueil commence, d'ailleurs, par une série de poèmes en l'honneur de Sonia Parnok, l'amie. Quelques lignes versifiées et c'est déjà le coeur de l'écriture de Tsvétaïeva qui se met à découvert. C'est doux tout en étant désenchanté. Les mots sont à fleur de peau sans être virulents et le sens des textes est clairement compréhensible. Un des merveilleux pouvoirs de l'écriture, et à plus forte raison en poésie, est de créer des images sans aucun support visuel. À ce titre, la poétesse russe n'a aucun mal à laisser son empreinte :

« Vous aviez la flemme de vous habiller, et

Vous aviez la flemme de quitter vos fauteuils.

— Mais chacun de vos jours à venir

Serait gai de ma gaîté.

Vous n'aimiez surtout pas sortir

Si tard, dans la nuit, dans le froid.

— Mais chacune de vos heures à venir

Serait jeune de ma gaîté.

Vous l'avez fait sans penser à mal,

Innocemment, irrémédiablement.

— J'étais votre jeunesse,

Qui passe. »

Et puis il y a le coeur du recueil, celui dédié à l'insomnie. Marina Tsvétaïeva fut une poétesse de la nuit. Elle y trouva une énergie créatrice où l'encre coula à flot sur des milliers de feuilles. Intarissable ! Oui, c'est l'adjectif qui colle aux baskets de cette auteure russe tant sa plume ne cessait d'écrire dans l'obscurité. Tsvétaïeva rime avec un nom claqué contre les quatre murs d'une chambre et dont l'écho revient continuellement. Il y a, certes, une douceur dans ses textes somnambules mais il y a surtout une tempête intérieure qui se traduit par ce genre de vers écrits en 1916 « Qui dort chaque nuit ? – Personne ne dort ! L'enfant crie dans son berceau – le vieillard est face à la mort – le jeune homme parle avec son amie – le souffle, à ses lèvres, les yeux dans ses yeux ». Il y a chez cette poétesse russe quelque-chose d'instantané et d'épidermique. Ce n'est pas pour rien que ses poèmes sont très appréciés de la jeune génération russe. Même si certains textes se heurtent au poids des années, il n'en reste pas moins que la majorité des poèmes publiés dans Insomnies et autres poèmes sont d'une modernité bien vivante.

Que retenir de ce recueil ? Une belle introduction au monde de Marina Tsvétaïeva où la réalité d'une vie se lit à travers la voix d'une des plus grandes poétesses du XXème siècle. L'auteure russe fut une amoureuse, une amie, une expatriée, une croqueuse d'instants ou encore une féministe ! Ses poèmes sont parmi les plus beaux de ce qu'on appelle en Russie l'Âge d'argent de la littérature. Et ce qui ne gâche pas le plaisir, c'est qu'ils se lisent très bien en français puisque Tsvétaïeva parlait couramment la langue De Voltaire. 😉
Lien : https://lespetitesanalyses.c..
Commenter  J’apprécie          354
Passionnante Marina Tsvetaieva. Comme j'ai aimé parcourir sa poésie brûlante, fougueuse et grouillante de vie. Marina Tsvetaieva, tellement vivante que j'avais l'impression de l'entendre me chanter ses poèmes. Des poèmes tranchants comme l'aurore, bien loin de la mièvrerie et des bonnes convenances, puisqu'elle assume sa bisexualité « ni femme, ni garçon, mais / quelque chose de plus fort que moi », une jalousie féroce et des joutes amoureuses où il n'y a ni vainqueur ni vaincu.

Mais Marina est aussi une enfant de son siècle, nullement coupée de la réalité. Que du contraire, car elle prendra en pleine figure toutes les grandes catastrophes du XXème siècle, étant née Russe en 1892 et suicidée en URSS en 1941. Une vie faite de drames et de révolte, car ici aussi elle aura l'audace d'apostropher « le Seigneur : Pourquoi trouer les poitrines ? », en 1916. Un exemple parmi d'autres.

Marina se consume, entre amours ravageurs et tragédies du siècle. Un siècle qui « met les rêves en conserves » et laisse très peu de place aux poètes :

« Qu'ai-je à faire moi, chanteuse de métier
Sur un fil, glace, soleil, Sibérie !
Obsessions, danses et chants sur les ponts
Moi légère, dans ce monde de poids et de comptes ? »

Peut-être est-ce pour cela que la poète trouve refuge dans la nuit, cette heure de l'âme, et se lie d'amitié avec l'insomnie ?

Dans ce recueil, Tsvetaieva rend aussi hommage aux autres poètes russes comme Anna Akhmatova – complice égarée de la nuit blanche où elle nait - , Blok qui passe à l'ouest du soleil tandis que la neige efface sa trace, Maïakovski, Pasternak, … Elle nous lance comme une invitation à les découvrir toutes et tous. Et cette invitation, vous l'aurez compris, je l'accepte avec énormément de plaisir.
Commenter  J’apprécie          320
De Marina Tsvetaïeva, je ne connaissais que sa vie tourmentée et tragique, son exil en France et son suicide en Union Soviétique durant la deuxième guerre mondiale, et ne connaissais pas son oeuvre.

C'est donc sur le tard que je lis une petite partie de ses poèmes rassemblés dans ce recueil intitulé Insomnie et autres poèmes, un recueil qui parcourt toute sa vie créatrice.
J'ai mis du temps à tous les lire et les relire à haute voix, pour bien m'en imprégner. Et ce recueil, qui est sur ma table de chevet depuis plus d'un mois, est là pour y rester longtemps, car je suis loin d'en avoir fait le tour.

Que c'est beau, passionné, terrible, bouleversant, magique!
Je sors bousculé, chamboulé par cette poésie incandescente, impétueuse, à fleur de peau, parfois cruelle et impitoyable, parfois si tendre.
Et puis, il y a le mystère du choix de tous ces mots (grâce soit rendue à toutes ces traductrices et traducteurs, parfois prestigieux :Elsa Triolet, René Char), et ce rythme souvent heurté, absolument magnifique.

Mention spéciale pour le long, merveilleux et énigmatique poème « le Poème de l'air», un prodigieux voyage magique de libération vers un autre monde.

Marina Tsvetaïeva m'a donné, plus tout autre poétesse ou poète, le sentiment de vouloir chanter le monde dans toute son horreur et sa beauté comme si sa vie en dépendait, de vouloir saisir le monde dans son entièreté, dans sa magie et ses cauchemars.

En conclusion, sûrement la poésie la plus extraordinaire qu'il m'ait été donné de lire depuis longtemps.
Commenter  J’apprécie          283
C'est sans-fioritures qui m'a fait découvrir cette auteure à travers une magnifique chronique qu'elle a écrite à son sujet.
Ce recueil est beau, il parle, il touche. Les mots sont beaux, les sentiments sont profonds et la sensibilité est à vif. Marina a cette plume Russe si caractéristique mais la sublime par son sexe. A travers ses mots, ses lignes, ses vers, on peut suivre la chronologie de sa vie, ses moments d'allégresse et ceux de profond trouble. Je suis touchée et conquise.
Lien : http://www.lesmiscellaneesde..
Commenter  J’apprécie          40


Lecteurs (240) Voir plus



Quiz Voir plus

Testez vos connaissances en poésie ! (niveau difficile)

Dans quelle ville Verlaine tira-t-il sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet ?

Paris
Marseille
Bruxelles
Londres

10 questions
1229 lecteurs ont répondu
Thèmes : poésie , poèmes , poètesCréer un quiz sur ce livre

{* *}