Livre reçu grâce à l'opération Masse Critique.
Presque dix ans après, la crise de 2008 continue d'impacter nos économies et, partant, nos vies quotidiennes. Cette crise profonde et durable a été très largement expliquée, commentée, decryptée (pour reprendre un terme journalistique) et l'on a constaté avec consternation ses conséquences : perte d'emploi et de logement pour de nombreuses personnes, aide massive des pouvoirs publics aux banques, difficulté de l'économie à repartir. Un mot, souvent, est revenu : dette. Soit, en terme comptable, un passif, c'est-à-dire une somme que l'on doit à un tiers. Quelque chose qui compte, donc, mais que ni les Etats ni les banques ne semblent avoir pris en compte (on pourrait tout aussi bien parler au présent de l'indicatif) dans leurs politiques, ou stratégies, économiques.
C'est sur ce phénomène économique qu'est la dette que repose le livre d'
Adair Turner. Homme d'affaires, président de l'autorité britannique de régulation des services financiers, Turner prend le temps d'analyser les causes de la crise, en indique les conséquences mais, surtout, propose une réforme du système financier à l'encontre de l'ultralibéralisme ambiant, reniant donc l'idée originelle du libéralisme qui voudrait que le marché, entièrement libéré, se régulerait seul et dans le plus grand intérêt de tous (la notion de bien commun dans le monde anglo-saxon étant quelque peu différente de celle que l'on a en France, à savoir que le bien commun serait une agrégation des biens particuliers ; en France, on admet que les biens particuliers peuvent parfois aller à l'encontre du bien commun).
D'un point de vue littéraire, le livre propose à la fois un vocabulaire spécialisé, donc complexe (mais un lexique aide le néophyte à s'y retrouver) à une description minutieuse (parfois même : un peu trop, ce qui occasionne quelques longueurs) des mécanismes économiques. Pédagogiquement, on est donc partagé : globalement, le livre se comprend plutôt bien, ce qui signifie que parfois, on est un peu noyé sous les termes techniques et, parfois, ayant déjà compris depuis quelques lignes, on voudrait que l'auteur passe à autre chose.
Revenons à la dette. C'est sur elle que repose le système financier et, partant, économique, puisque finance et économie sont intimement et historiquement liées. Sans marché financier, point de révolution industrielle, point de Trente Glorieuses, point même de révolution technologique dans les années 1990-2000 et donc, point de bulles boursières, de krach et de crises. le marché de capital est un marché particulier, sensible aux sentiments de ses acteurs qui, bien que fantasques parfois, à la limite de l'indécence, poussent des cris d'orfraie (et surtout retirent leur capital) lorsqu'une menace se précise. Toutefois, la liquidité de l'argent - c'est-à-dire sa capacité à circuler - est très utile pour bâtir des projets ambitieux. Turner explique que le marché financier a pris une importance grandissante par rapport à l'économie réelle et, du même coup, s'est complexifiée de façon exponentielle. Car dans une économie libéralisée, il y a aussi des risques. Or, pour couvrir les risques, de nombreux systèmes existent. Et, poussé par l'idée que le marché se portait diablement bien durant les années 2000, et que la complexification du marché répartissait mieux le risque, le système financier a cru pouvoir se passer d'un risque extrêmement important lié à la dette : c'est que celle-ci peut ne pas être remboursée. Or, dans un système interpénétré, c'est-à-dire que les banques possèdent chacune une part de sa concurrente, un incident se répand vite, surtout de cette gravité.
Adair Turner ne fait évidemment pas qu'un constat : il propose des solutions. L'auteur constate des imperfections dans les systèmes financiers, souligne leur degré de dangerosité plus ou moins élevé (soulignons-en trois : la dette comme moteur de la croissance économique, l'immobilier comme valeur maîtresse (et refuge) des banques et des épargnants, les déséquilibres économiques globaux entre des pays en déficit et d'autres en excédent commercial), mais, de lui-même, indique que les pistes de réflexion qu'il émet rencontrerait de vives oppositions. Un exemple : on aurait naturellement tendance à porter la responsabilité de la crise sur les banquiers, et plus exactement sur les traders. Certes, dit lord Turner, il y a des responsabilités individuelles, des incompétences, un peu d'immoralité. Mais, finalement, le renflouement des banques par les contribuables ne seraient qu'un dommage bien léger si l'on regarde la situation qui pourrait être la nôtre sans, justement, ce sauvetage. Bien plus, le système tel qu'il a été construit, avec de supposés garde-fous pour maîtriser les risques inhérents aux opérations financières, incitaient probablement à parier sur, disons-le, tout et n'importe quoi. Que faut-il faire ? Moraliser l'action des banques ? Point. Plutôt rendre le marché plus imparfait qu'il ne l'est, c'est-à-dire plus risqué pour les financiers, même si, évidemment, cela générerait moins de flux.
Concernant l'immobilier, l'incitation faite aux citoyens à l'accession à la propriété par les Etats aurait conduit à une massification de la dette et, donc, à la crise. Soit. Que faire ? Limiter l'accès au crédit immobilier. Comment ? La réponse n'est pas claire. On pense que l'auteur met soudain les pieds dans la fourmilière lorsqu'il évoque "l'abolition" des banques : en réalité, il s'agirait, selon des travaux déjà menés à la suite du krach de 1929, de retirer aux banques la possibilité de créer de la monnaie par le crédit. Mais, là aussi, Turner recule (peut-être à juste titre), indiquant que les politiques étatiques comme les stratégies bancaires peuvent être court-termistes (en terme de politique, on parlerait alors de démagogie électoraliste). Une proposition semble cependant retenir son attention : flexibiliser le contrat de crédit. Cela répartirait les risques de pertes mais aussi les possibilités de profit en cas d'évolution de la situation de l'emprunteur entre ce dernier et le prêteur. Un prêt qui évoluerait donc selon la situation économique de l'emprunteur et du pays dans lequel il vit.
Pour
Adair Turner, obligation est faite à nos économies avancées de mettre fin au surendettement, donc, comme le dit le titre, de
reprendre le contrôle de la dette. Plusieurs options sont avancées : séparer banques d'affaires et banques de détail, limiter l'interpénétration bancaire, exiger plus de fonds propres pour les banques qui offrent du crédit, et surtout restreindre l'accès au crédit pour ce qui touche à l'immobilier (au risque de créer des inégalités encore plus grandes entre ceux qui possèdent déjà un patrimoine et / ou du capital, et ceux qui n'en possèdent pas). Plus loin, Turner brise timidement le tabou de la création monétaire par les Etats.
Au final,
Adair Turner a le mérite, dans ce livre, de proposer plusieurs alternatives à notre système financier et économique actuel. Certes, plusieurs des solutions feront bondir (notamment sur la restriction de l'accès à l'emprunt) mais il faut reconnaître que l'auteur s'appuie sur une analyse assez fine et documentée. On est toutefois un peu déçu par les reculades de l'auteur qui, proposant une solution, indique tout de suite après qu'elle serait inapplicable ou engendrerait de vives oppositions. Evidemment, la réflexion du livre évolue dans un paradigme éminemment capitaliste et libéral, mais ces modes de pensée sont toutefois critiqués - parfois trop timidement - par Turner. C'est donc un livre intéressant que
Reprendre le contrôle de la dette en ce qu'il propose des pistes de réflexion qui, forcément, susciteront des débats.