L’écrivain Walter Benn Michaels croit que nous sommes justement allés trop loin dans la reconnaissance des différences et que cet enthousiasme nuit grandement au combat contre les inégalités. Dans l’essai La diversité contre l’égalité, il déplore une forme de repli sur soi qui rend les gens satisfaits dès que l’on reconnaît publiquement leur identité – de femme, de Noir, d’homosexuel, de handicapé et même de pauvre. Et cela au point d’abdiquer devant l’un des problèmes les plus importants de l’heure, soit l’écart toujours croissant entre les riches et les pauvres et son corollaire, l’incapacité d’assurer une redistribution de la richesse. En se moquant de la logique d’un certain discours identitaire, il lance :
Si tous ceux qui gagnent plus d’argent que tout le monde ne sont que des Blancs et des hommes, il y a un problème ; si on trouve parmi eux des Noirs, des basanés et des femmes, il n’y a plus de problème. Si votre origine ou votre sexe vous prive des chances de réussite ouvertes aux autres, il y a un problème ; si c’est votre pauvreté, il n’y en a pas1.
Bref, les injustices économiques peuvent se perpétuer du moment qu’elles se font dans le respect des différences. Selon cette logique, même la pauvreté devient une identité que l’on doit accepter et défendre, plutôt que combattre : « Les tenants de la diversité ne cherchent pas à établir une société dans laquelle il n’y aurait pas de pauvres, mais dans laquelle il n’y aurait pas de mal à être pauvre. » Ce « respect » des pauvres, de leur identité dont ils peuvent même être fiers, a l’inconvénient de faire le jeu des puissants et de perpétuer les inégalités.
Le célèbre cinéaste Jean Renoir raconte que son non moins célèbre père, l’artiste Auguste Renoir, a dû abandonner son métier de peintre sur porcelaine à dix-sept ans, au moment où l’imprimerie sur faïence et porcelaine a été mise au point. Son travail appliqué et artisanal – même produit à une cadence « incroyable » et à un coût plus bas que celui de la mécanique – ne parvenait pas à rivaliser avec la machine auprès des acheteurs : « Ce qui leur plaisait dans les assiettes faites en série, c’est que chaque pièce était semblable aux autres. “Je me trouvais battu par cet amour de la monotonie si fort chez les hommes de notre temps. Je dus abandonner”
(« Pierre-Auguste Renoir, mon père »)
La propagation des OGM passe par le « principe d’équivalence en substance », une négation forte et surprenante de la diversité, que l’on refuse de reconnaître pour protéger des intérêts économiques. Selon ce principe, qui servira de base aux législations concernant les OGM, il n’existe pas de différence significative entre un produit conventionnel et un OGM. Ainsi, la façon dont le produit est conçu n’importe plus, l’équivalence étant assurée par le produit final. Ce principe permet d’empêcher l’étiquetage obligatoire des produits alimentaires – pourquoi étiqueter un produit dont on reconnaît l’équivalence avec un autre ?– et, surtout, protège les OGM d’examens scientifiques et des regards indiscrets des diverses agences gouvernementales dont le mandat est d’assurer une réglementation dans l’intérêt public – pourquoi examiner un produit qui n’a rien de nouveau ?
Il faut aussi que les grandes entreprises françaises se déprennent de l’illusion que l’anglais est indispensable à leur fonctionnement, et reconnaissent qu’il n’y a de vraie mondialisation qu’à travers la diversité, et non dans l’attitude qui singe le modèle américain et s’abstient d’en inventer d’autres.
Les conséquences de l'AÉCG sur les services publics
Avec Claude Vaillancourt, directeur d'ATTAC-Québec