Chez ma grand-mère, il y avait un numéro du journal de Tintin de 1977. J'avais huit ans et il était déjà défraichi.
Après l'éblouissement Tintin, un nouveau héros arrivait.
Il commençait en fort mauvaise posture condamné à mourir gelé, enchainé dans la marée montante et enneigée du grand nord pour avoir osé aimer la fille du chef de son clan. Les vikings. Sauvé in extrémis par une intrigante borgne à la chevelure de feu qui exige de lui obéissance et service pendant un an.
L'extrait s'arrête là et j'étais ferré de manière irrémédiable.
Thorgal entame alors une étonnante succession d'aventures de héros malgré lui. Parce qu'il ne souhaite rien tant que de vivre auprès des siens, mais sa naissance et son ascendance en font un paria pour les hommes et les dieux, Thorgal subit la haine des uns et le courroux des autres. En effet les dieux ne peuvent tolérer qu'un homme ne soit pas de ce monde, qu'il ne soit pas inscrit dans les lignes de la destinée. Thorgal un Ulysse moderne.
Alors qu'il croit sa femme Aaricia disparue par la jalousie d'une adolescente amoureuse (La galère noire) Thorgal n'est plus que l'ombre de lui-même. La seule solution consiste pour lui à aller réclamer sa vie auprès de la Mort elle-même. Lui seul le peut car il détient la clé du deuxième monde...
Fabuleuse réécriture de l'histoire d'Orphée et Eurydice, Rosinsky et
Van Hamme composent avec Au delà des Ombres un album mythique et poignant, probablement le meilleur de la série.
D'autres très grands albums suivront, tels le Pays Qa (en fait tout le cycle "américain" du tome 9 au tome 13, mais ce tome d'exposition est tout simplement magnifique tant par de la beauté vénéneuse de Kriss de Valnor que par celle des sublimes pueblos - mais c'est toute la mécanique du récit qui est formidable), ou encore La forteresse invisible, fascinante introspection psychanalytique et pivot de toute la série...
Tenant tour à tour de l'épopée, du récit mythologique, de la science-fiction, de la fantasy, la série Thorgal revisite de nombreuses figures de la notre culture : Thorgal est un moderne Ulysse, on l'a vu, la mythologie scandinave est un moteur récurrent de l'histoire, Alinoë renvoie au poltergeist mais aussi aux films de dépossession (Le village des Damnés, L'invasion des profanateurs de sépultures), le cycle "américain" ainsi que le royaume sous le sable aux hypothèses de l'archéologie fantastique (mythe de l'Atlantide,
R. Charroux and Co), le Saxegaard du Maitre des Montagnes à la figure de Dorian Gray, La forteresse invisible est une psychanalyse en acte, Arachnéa touche explicitement à la mythologie grecque, le bossu vengeur de Louve au monstre de Frankenstein, le guérisseur du Mal bleu à
Léonard de Vinci... Plus toutes les références qui m'ont échappé...
Alors il est sûr que l'accumulation des avanies qui touchent ce pauvre Thorgal et les siens a, au bout du trente-troisième tome (sur une durée d'une quinzaine d'années d'histoire), un petit côté Rémi sans famille.
N'en jetez plus ! C'est d'ailleurs ce qu'on fait Rosinsky et
Van Hamme abandonnant Thorgal pour suivre son fils Jolan à partir du trentième album. le problème c'est que Jolan a le charisme d'une moule et Thorgal est de nouveau le personnage principal du Bateau-sabre (album scénaristiquement dispensable, l'aventure racontée aurait tenu sur quelques pages du Pays Qa par exemple...). Et même avant de lâcher Thorgal au trentième tome, on pouvait vraiment avoir l'impression que les auteurs tiraient à la ligne.
Mais quel sens de l'épopée !
Le dessin de Rosinsky a vraiment évolué durant toute la saga et si, comme dans toute série, les premiers tomes sont hésitants je ne suis pas sûr d'accrocher sur l'évolution graphique (réduction de la tendance "ligne claire" pour un travail sur les couleurs juxtaposées, floutage des visages et élongation de ceux-ci). Par ailleurs le principe des spin-off et des préquelles a envahi la série (comme dans la série XIII du même
Van Hamme) : des séries dérivées sont apparues qui permettent de mieux découvrir des personnages secondaires. Les Mondes de Thorgal lancent ainsi deux séries concomitantes, Louve et Kriss de Valnor. Cette dernière a un potentiel narratif évident mais finalement je ne suis pas sûr de vouloir lever le mystère qui l'entoure... et puis le dessin de Rosinsky la rendait plus sexy...
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