AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,69

sur 125 notes
5
18 avis
4
19 avis
3
6 avis
2
2 avis
1
0 avis
Je ne connaissais pas David Vann, mais je connaissais et aimais le mythe de Médée et de manière générale, j'aime à traquer les réécritures de mythes et de légendes... Je trouve que cela contribue à leur éternité, à leur but aussi, peut-être.
Quoiqu'il en soit, quand j'ai aperçu sur les rayonnages de ma librairie "L'Obscure Clarté de l'Air", je n'ai pas hésité longtemps à le choisir.
L'histoire de Médée, princesse et magicienne, est bien connue. David Vann ne la raconte pas entièrement: son roman commence avec sa fuite de Colchide, en compagnie de Jason et de ses Argonautes, elle vient à peine de tuer son frère et d'en découper le cadavre en morceaux qu'elle jette à la mer afin de ralentir son père et ses hommes qui la traquent et il s'achève avec sa fuite vers Athènes. Dans cette nouvelle version, on ne saura rien de sa vie auprès d'Egée...
Lorsqu'on évoque les mythes antiques, on vêt mentalement les personnages de blanc lumineux, de toges de pourpre et d'or et on les installe dans des palais de marbre immenses... Imagerie un peu candide sans doute bien éloignée de ce qu'était la réalité de l'Antiquité. David Vann, lui, prend le contre pied de cette vision et nous offre une approche historique du mythe qu'il situe à une époque réaliste sinon réelle. de fait, ce mythe qu'il raconte et décrit est dépouillé de ses oripeaux de blancheur et de pureté et nous voici voguant vers des terres âpres, sauvages, rudes où les palais ne sont rien d'autres que des bâtisses un peu grossières, où les hommes se parent de peaux de bêtes malodorantes, où la magie ne se nourrit que de sang et de forces telluriques. C'est sauvage, c'est dur mais c'est beau aussi. Les descriptions des paysages, de ces îles méditerranéennes ou de la mer sont à l'avenant, incroyablement vivantes, poétiques mais âpres et douloureuses autant qu'ensorcelantes. Les pierres sont de sang et la mer d'étoiles et d'écailles. Cet aspect va de pair avec le traitement même du mythe: jamais le récit de la vie de Médée ne fut plus sanglant, terrien, cruel. Paradoxalement, il gagne en beauté et en pureté, en "obscure clarté". Les hommes y sont barbares et plus enclins à la violence qu'à l'héroïsme. Enfin, l'autre point fort de ce très beau roman plein de fureur selon moi, est le personnage de Médée lui-même: certes, c'est une magicienne puissante et cruelle, mais elle est si seule dans le roman qui dès les premières pages remet Jason à sa place, Jason qu'elle a aimé et pour qui elle a tout sacrifié (jusqu'à son propre frère, son propre sang!) et qui dès leur départ ne l'aime plus, a peur d'elle. La souffrance de Médée est palpable et son cheminement vers une forme de folie frôle le sublime. Un roman d'une beauté terrifiante pour un mythe qu'il fallait avoir l'audace de revisiter.
Commenter  J’apprécie          80
Bon, nous savons tous très bien que David Vann est un auteur à part, que ses romans sont très particuliers avec une atmosphère lourde et pesante, alors écrire sa propre version du mythe de Médée et des Argonautes ne pouvait qu'attiser ma curiosité.

Tout d'abord, je ne connaissais pas plus que cela le mythe de Médée avant cette lecture hormis le fait que Jason a récupéré la toison d'or, cela s'arrêtait là. du coup plus qu'une réécriture c'était une découverte pour moi. Et une découverte qui m'a pas mal plu, malgré des premiers chapitres laborieux. Une fois dans l'histoire je ne l'ai plus lâchée.

Je trouve qu'il y a dans cette lecture une sorte de paradoxe entre une certaine douceur et une franche noirceur. Douceur pour tous ce qui touche à la nature et aux éléments que sont la mer, le soleil, la terre ou encore le vent, ici ce sont littéralement des personnages, des dieux même. Et noirceur pour la folie de Médée, les morceaux de son frère, les découpages d'un vieux bouc et d'un roi, c'est juste horrible à lire, comme pour chacun de ses romans David Vann ne nous épargne rien. Mais au final que serait un roman de cet auteur sans cette folie et cette noirceur ?

Ce roman est totalement centré sur le personnage de Médée, ok, il y a plein d'autres personnages, mais ils naviguent tous en peu en filigrane autour d'elle. J'ai ressenti avec cette lecture une chose assez particulière, comme une impression de flotter autour de Médée, d'être présent en tant que spectateur invisible. Ceci prouve encore une fois le génie de David Vann.

L'obscure clarté de l'air est pour moi un roman extrêmement féministe. Cette femme follement amoureuse, voulant s'extraire d'un destin pathétique, oeuvrant pour faire de sa vie quelque chose d'extra-ordinaire est en combat permanent contre une rage démentielle, une haine des hommes qui ne sont pour elle que des animaux. J'ai aimé cette dualité entre l'amour et la folie qui sont présents en elle.

Voilà, j'ai passé un magnifique moment avec cette lecture, cet auteur n'arrête plus de me surprendre.
Lien : https://readlookhear.wordpre..
Commenter  J’apprécie          72
Médée et l'Absolu.

Réappropriation du mythe de Médée, de Jason et la toison d'or, David Vann arrache ici le voile éthéré de la mythologie pour le jeter à terre, pour le rendre incroyablement palpable comme un morceau de chair, épais comme le sang, pour le voir ramper et se tordre comme un ver dans l'humus, réel et vivant.
Il livre un récit intense, sans concessions, donc parfois terrible et dérangeant mais toujours d'une force magnétique. Un récit tendu, où Médée oscille constamment sur le fil.

Car Médée n'est qu'absolu ou n'est rien. D'une passion absolue, d'une rage absolue, d'une ambition absolue. Elle est absolue jusque dans ses choix. D'un absolu qu'on ne peut restreindre, enfermer ou faire plier. Ou jamais bien longtemps – la vengeance et la violence tapies, sourdant au bord d'une lame, au fond d'un chaudron, attendant le déchaînement.

Si les dieux sont un prétexte pour asseoir le pouvoir des rois, si le soleil écrase pour faire régner les hommes, Médée célébrera Hécate et Nout, déesses sombres et anciennes, pour mieux inspirer la crainte, aspirant à ne devenir rien de moins que la nouvelle Hatshepsout, la femme pharaon.
Elle sera animosité et animalité, faite de violence et d'amour liés, d'instincts satisfaits dans le sang et le sexe, où chercher la chaleur des corps permet de mieux les mordre. Elle parcourra les forêts dans la nuit, fascinée par ce qui pourrit dessous, dans l'obscurité ; elle se baignera dans les mystères de l'océan, prête à se faire avaler.

Le style, fait de phrases nominales jetées en bloc de granit, déroute, rebute au premier abord, rend la lecture moins fluide, mais donne aussi de la puissance au texte, une force sauvage, des images ensorcelantes qui marquent, évocatrices d'une ambiance terrible, palpable. Puis le style se délie, à moins qu'on s'y habitue, immergé, sans perdre de sa force.

Plus le roman infuse en moi, et plus je l'apprécie. Et plus Médée se taille une place en moi, à coups de dents.
Commenter  J’apprécie          70
J'ai passé une bonne partie de mon année de Première à étudier les réécritures du mythe de Médée. de Corneille à Gaudé, le portrait de la petite-fille du Soleil infanticide n'a cessé d'évoluer au fil des siècles. Pourtant, cette histoire n'a pas attendue le XXIème siècle pour se doter d'une profondeur véritablement féministe.

Médée, c'est la rébellion d'une femme ayant sacrifié tout ce qu'elle avait pour un homme, Jason, dont elle finira par s'affranchir en lui reprenant ses enfants et héritiers, sacrifice ultime de celle qui ne pouvait plus supporter de vivre dans l'ombre de qui que ce soit. La complexité du personnage réside avant tout dans les paradoxes qu'elle incarne : la figure maternelle mais cruelle, l'amour démesuré mais la soif de vengeance, la divinité mais des émotions extrêmes et profondément humaines. C'est ainsi que David Vann la voit : « Née pour détruire les rois, née pour remodeler le monde, née pour horrifier et briser et recréer, née pour endurer et n'être jamais effacée ». Si Euripide, il y a 2500 ans, évoquait déjà la volonté d'affranchissement de Médée, cette version contemporaine assume pleinement cette dimension féministe. Il y a l'amour pour Jason, bien sûr - amour qui, chez Anouilh, sera le moteur de la folie meurtrière de l'héroïne entière dans sa douleur - mais ici, Médée est muée par sa volonté de ne plus être esclave des hommes, de marquer l'Histoire et le monde par sa personne complexe et terrifiante, d'être crainte en tant que femme libre, en tant que Médée.

Mais l'Obscure Clarté de l'Air brille aussi de part son écriture incomparable, brute et entière, ne laissant aucune sensation au hasard. Nous voyageons avec Médée, nous sentons le sang de son frère sur ses mains à bord de l'Argo, nous plongeons dans l'océan immense et reflet d'un cosmos qu'elle questionne en invoquant Hécate et Nout, déesses Grecque et Égyptienne et femmes, elles-aussi, à l'origine du monde et de la nuit. Mais plus que tout, nous ressentons la rage de Médée, une rage ne datant ni de la trahison ni de l'esclavage. Une rage jamais latente, toujours pleine et assumée. À travers la poésie se dégageant des mots de David Vann, Médée est une nouvelle fois renouvelée et une nouvelle fois unique.

Je pense qu'il est important de se renseigner un peu sur le mythe avant de se lancer dans cette lecture. L'écriture y est si riche qu'elle m'a requis une concentration important : j'aurais été rapidement frustrée s'il m'avait fallu chercher des informations sur les personnages au beau milieu de ma lecture. J'ai également beaucoup aimé les influences de la mythologie égyptienne qui viennent renforcer l'originalité de cette réécriture. le seul défaut que j'ai trouvé à cette lecture vient du rythme - bien que je comprenne l'importance de la traversée en mer dans la construction du personnage de Médée, celle-ci prend presque la moitié du roman et j'aurais aimé plus de chapitres sur le rapport de l'héroïne à la maternité qui est, à mes yeux, l'un des éléments les plus intéressants du mythe.

En bref, cette lecture est un véritable coup de coeur.
Lien : https://minuteplume.weebly.c..
Commenter  J’apprécie          70
Tout le monde connaît l'histoire de Médée, fille de Eétès, roi de Colchide et de Idyie, qui aide Jason à s'emparer de la toison d'or appartenant à son peuple. Charmée par Jason, Médée aide les Argonautes à voler ce cadeau fait par Phrixos à Eétès. Celui-ci, furieux de la trahison de sa fille, la poursuit à travers les océans. Pour garder son père à distance, Médée tue son frère, le découpe en morceaux qu'elle jette dans la mer et que son père les repêche les uns après les autres. Il s'agit là du premier meurtre commis par Médée, qui impressionnera les Argonautes autant qu'elle les terrorisera.

L'écriture est ardue, ou peut-être seulement inhabituelle. Cette succession d'assertions sans verbe ou sans sujet m'a troublée. J'ai vraiment eu du mal à prendre le rythme de la lecture. de plus, la première partie du récit se passe sur les mers, où les Argonautes cherchent à échapper au père de Médée, mais où il ne se passe pas grand chose. Dans cette première partie, David Vann dépeint le personnage de Médée. le lecteur rencontre une femme complexe, qu'il a du mal à situer entre la folie et la violence d'un côté, les ténèbres et les superstitions, et, de l'autre, un féminisme et un rationalisme très contemporain.

Une fois apprivoisée l'écriture de David Vann, j'ai pris plaisir à suivre le parcours terrifiant de Médée à travers le monde antique. Eprise de liberté et de pouvoir, rationnelle mais usant et abusant des croyances de son temps pour soumettre les hommes qui l'entourent, Médée rêve de devenir la reine-pharaon de l'Egypte antique qu'est Hatchepsout. Médée aspire à un autre destin que celui des femmes de son temps, soumises aux hommes et à leurs enfants, enfermée au sein du foyer, sans droits ni pouvoir. Elle s'appuie sur les superstitions de ses concitoyens pour terroriser les Argonautes, et Jason en particulier, qu'elle a finit par épouser.

[...]
J'ai trouvé ce portrait de femme particulièrement fort et violent, alternant toujours entre revendications légitimes et folie meurtrière. Médée avait-elle le choix ? Pouvait-elle s'extraire de sa condition de femme de la Grèce antique et acquérir le pouvoir sans faire preuve de cette violence ? L'auteur décrit d'ailleurs très bien le mâle guerrier de ce temps, qui tue avant de vérifier qu'il s'agit bien d'un ennemi. Quand la violence témoigne de la puissance et du pouvoir des hommes, elle est la marque de la folie chez les femmes.

[...]
Un conseil : lisez ce livre l'esprit disponible... ou accrochez-vous. Mais ne passez pas à côté, c'est un récit remarquable.
Lien : https://itzamna-librairie.bl..
Commenter  J’apprécie          70
Qui ne connait pas Jason et sa quête de la toison d'or, mais qui connait réellement Médée et sa destinée ?
Nous suivons Médée et Jason dans leur fuite après le vol de la toison d'or, Médée avide de pouvoir, rêvant d'être "roi" comme l'égyptienne Hatchepsout.
Pouvoir, manipulation, meurtres, invocation des dieux tout y passe pour accéder au pouvoir.
Un mythe revisité avec brio et une écriture à être déclamée au lieu d'être lue.
Commenter  J’apprécie          70
L'Obscure Clarté de l'air, David Vann
Ecrit par Anne Morin dans La Cause Littéraire
Médée, qui se rêve en roi et qui se venge en femme blessée, Médée qui se veut sorcière et qui n'est que magicienne, Médée sans ancêtres, éternellement sans descendance. Médée qui donne, ou croit donner, et qui reprend, ou croit reprendre. Médée qui se trompe elle-même, sur elle-même, du début à la fin.

Une écriture pressée, dense, saccadée, hachée, convoquée par l'urgence pour écrire un personnage en fuite, et qui regarde sans cesse derrière elle. Sans cesse en avant, devancée, et sans cesse retenue. Goule, louve, en quête de puissance et de liberté : « Si elle pouvait revenir en arrière, elle le ferait. Elle redonnerait à son frère sa forme entière, lui insufflerait la vie, et obéirait à son père. Mais elle sait que s'ils parviennent à s'échapper, ce regret s'effacera aussitôt » (p.80).

Dès le début, l'ambivalence de sa relation à Jason, pont entre la Colchide et la liberté, trait d'union entre deux mondes, elle-même ne sachant que faire de ses sentiments à son égard, tour à tour attirée et repoussée : « C'est bien plus que l'amour qui l'a poussée à quitter la Colchide, elle s'en rend compte. Elle bâtirait son propre royaume. Ce qu'elle prenait pour de l'amour, une forme de folie, c'était aussi le frisson de la liberté » (p.65).

Et c'est peut-être là que réside une partie de l'histoire, de son histoire. Médée ne supporte pas qu'on lui résiste, qu'on lui échappe d'une manière ou d'une autre. Elle joue aussi de sa barbarie, du caractèreexotique de la terre où Jason l'a enlevée (?). Sa langue, ses coutumes sont différentes de celles des Argonautes et de tous les peuples rencontrés, cela la tient à distance mais elle joue aussi de cette différence.

Distante, par tout ce qui la sépare bien plus que par ce qui la lie, crainte de/par ce qu'elle ose. Hors la Colchide, hors l'Argo, le navire de Jason, Médée joue sur ce qui crée l'illusion : artifices de sa magie, poudre aux yeux de la Toison d'or qui loin du royaume de son père redevient simple peau de mouton. Jason subit le même traitement en révélant sa lâcheté, sa vulnérabilité, son aveuglement, Jason qui, pour tout dire, n'est pas à sa hauteur : sans l'intervention de Médée il n'aurait rien pu, il ne peut rien.

Trahie par Jason qui la bannit de sa vie, Médée se venge.

Lorsque son personnage se retourne, pour David Vann l'imprécation de Médée en fait ce qu'elle a toujours aspiré à être : un roi, mais à présent sans domination, sans royaume ni descendance. Médée a tué ses enfants afin de leur éviter d'être assassinés, c'est peut-être le seul acte qu'elle commet véritablement au nom de l'amour et qui, paradoxalement, va l'exclure à jamais du monde des hommes : « Ils se replient, ces hommes lâches, ils battent en retraite avec leurs lances. Médée, roi brisé qui traîne ses fils à la surface du monde, un dans chaque main, la bouche rougie de leur sang. La forme de la peur, un dieu terrestre sans nom. Jason n'osera pas la suivre. Personne ne la suivra. Au-delà des lois humaines, en guerre contre le soleil » (p.259).

Contre, tout contre, toujours contre, jamais avec, jamais réconciliée.

Anne Morin


Lien : http://www.lacauselitteraire..
Commenter  J’apprécie          70
A celles et ceux pour qui Médée n'est qu'un vague nom lié à la mythologie, je conseille vivement de se rafraichir la mémoire avant de se lancer dans la lecture du livre.
Bienvenue dans l'univers du noir, de la peur, du sang, de la tempête. Qui mieux que Vann ne pouvait écrire sur Hécate et Médée… Cet auteur a en lui la noirceur nécessaire pour sublimer le personnage et sa relation avec la famille est également tout à fait en adéquation avec le sujet.
L'auteur met sa plume sublime au service de Médée mais en modifie le contexte. Les Argonautes ont perdu leur superbe, l'Argo n'est plus le fougueux vaisseau qui fait rêver, la quête de la toison d'or n'est pas au programme… Au programme, c'est un sauve qui peut… pour échapper au père de Médée qui poursuit Jason et surtout veut retrouver le corps démembré de son fils et la lutte pour la survie de Jason et Médée, de l'amour de Jason pour Médée.
Médée ici remet tout en cause, et elle réduit en miette les cotés magiques des légendes. Elle est pour ainsi dire l'étendard de la condition féminine et démontre à quel point les femmes sont plus fiables, fortes et constantes que les hommes.
Moi qui suis passionnée d'Egypte ancienne j'ai trouvé intéressant ce rapprochement avec Hatchepsout. L'auteur en vient à superposer Médée et Hatchepsout, la quête de la toison d'or à expédition maritime vers le Pount. Et même la déesse Nout s'allie à Hécate pour que le féminisme règne sur la nuit. Nout étant une de mes déesses préférées – avec Selkis la déesse scorpion – je ne pouvais qu'être sensible aux propos de Médée
N'empêche que Médée en ressort terrifiante au possible et que le coté sombre de Vann est une fois de plus au centre du livre. La description du corps du pauvre frère de Médée, pourrissant à bord de l'Argo n'a rien à envier aux descriptions des autres charognes rencontrées dans mes précédentes lectures de l'auteur… Médée qui quitte l'Antiquité pour se réincarner dans le monde des humains, qui est régi par la peur et le pouvoir. L'ombre et la lumière s'affrontent, la mer et le ciel, le vent et la tempête, la nature est déchainée, la violence est bien présente, le combat aussi. La puissance de narration de l'auteur est à la hauteur du personnage qu'il a choisi de suivre. Par contre pour le côté magique… c'est plutôt du noir … Elle est décrite comme « Descendante du soleil mais adorant l'obscurité » et elle incarne totalement la noirceur… et la passion, l'amour fou et entier…
Il y a la peur, le noir, l'obscurité, le caché, les profondeurs, le néant, l'inconnu, les animaux : scorpion, serpent aquatique, requin, méduses, pieuvres, les formes qui s'enroulent et qui empêchent de respirer…
Et je me répète : quelle belle écriture !
Je continue donc à m'intéresser à Médée à travers la littérature ; après le Sénèque « Médée » (an 63) et le Madeline Miller et son « circé » (2018) j'ai été emportée par le David Vann « L'obscure clarté de l'air » … et le Laurent Gaudé « Médée Kali » est en attente de lecture (sans compter les livres traitant de la mythologie grecque) J'avais lu les « Médée » d'Euripide et de Corneille il y a bien longtemps et j'ai bien envie de m'y replonger.
Commenter  J’apprécie          62
Dire que j'attendais ce roman avec impatience est un doux euphémisme. Cette Obscur clarté de l'air est ma troisième rencontre avec l'auteur, après le glaçant – à plus d'un titre – Sukkwan Island et le non moins terrible Impurs. Je commence à comprendre qu'un roman de Vann est toujours une douche froide de laideur humaine poussée dans ses retranchements, au point de caresser le sublime, mais sans l'atteindre. On sait avant d'ouvrir le livre qu'il y aura du sang et des larmes, mais qu'il y a peu de chance que ce soit les vôtres. Vann ne pratique pas l'empathie. du tout. Si vous cherchez une lecture de détente qui ferait la part belle au folklore historique, je suggère de passer votre chemin.
On a beaucoup écrit sur la magicienne Médée, amante de Jason pour qui elle vole la toison d'or afin de le couvrir de gloire, qui égorge ses propres enfants lorsque son royal époux veut la répudier. C'est l'ogresse archétypale, la créature incompréhensible qui refuse de respecter les principes humains, et la civilisation. Pour le romancier (et probablement le psychiatre…), c'est une mine. Comment écrire cette figure de l'outrance ? Comment dépasser le sulfureux pour aller vers le romanesque ? Peut-on, ce faisant, humaniser Médée ? C'est toute la question et rien n'est moins sûr.

Vann reprend la trame la plus connue de la légende, celle transmise par Euripide, et divise son histoire en deux temps : la jeune fille qui s'installe – brutalement – dans ses pouvoirs, puis la femme mûre, bafouée, qui les reconquiert de la façon la plus terrible qui soit. La première est une Médée en mouvement, qui fait voile vers une vie nouvelle, son amant à ses côtés. Princesse, elle se voit déjà reine et se rêve Hatchepsout. Petite-fille du Soleil, nièce de Circé, Médée est prêtresse d'Hécate avant d'être magicienne, presque avant d'être humaine. Toute sa vie, elle ne se soumettra qu'à la lune – permettant à Vann de jouer, avec un léger opportunisme, sur la figure actuelle de la sorcière. Ce sera sa première rébellion, choisir la nuit, jusqu'au fanatisme. Et ce faisant, elle se retranche du groupe, qu'elle terrifie. Médée oeuvre pour Hécate, pour elle-même, un temps pour Jason jusqu'à ce que leurs intérêts divergent. La seconde moitié du roman montre Médée et sa famille réduits en esclavage par le roi de Corinthe qu'ils pensaient renverser. Toujours terrifiante, la prêtresse est de plus en plus isolée, jusqu'à l'abandon final de Jason qui lui préfère une femme plus jeune. Ce pourrait être l'histoire d'un échec, d'une bataille perdue contre la loi des hommes, dans tous les sens du terme. L'histoire d'une désillusion, où l'aventurier magnifique qui l'a séduite se révèle bien en deçà de ses prétentions. Toute l'histoire du personnage se tient dans ce frottement rugueux entre elle et un monde où tout est fait pour qu'elle n'ait pas le dernier mot. Ce dernier mot, elle l'obtient en égorgeant ses fils qu'elle adore – pour éviter d'assister, impuissante, à leur mise à mort par Créon de Corinthe. Et se coupe définitivement de toute humanité. Elle est libre et seule et étrangère.

En s'attaquant à Médée, David Vann prend de front l'une des figures les plus terrifiantes de la mythologie grecque et la projette dans un monde trop étroit pour elle, trop moderne déjà car à la frontière entrel'âge du Bronze et l'Antiquité.Qu'apporte-t-il à l'affaire? On pourrait être tenté de faire une lecture féministe du roman, mais elle ne serait pas franchement convaincante. La thématique « elle contre eux » n'est qu'une surface, le sexe de Médée est moins déterminant que sa naissance semi-divine ou sa sauvagerie. Une relecture historique alors ? Médée serait une barbare inculte parmi les grecs civilisés. le souvenir d'une époque dépassée. Vann n'est pas plus historien qu'il n'est moraliste. L'Histoire, les lieux sont réduits à une impression, un ensemble de sensations que l'on embrasse ou contre lesquelles on se débat.
L'histoire de Médée sous la plume de David Vann, c'est celle d'un retranchement, subi avant d'être revendiqué. le personnage se déprend de tout ce qui fait la vie humaine, la famille, la loi, l'amour, se décharne jusqu'à n'être plus qu'une volonté pure, un trou noir de libre arbitre.

Est-ce un grand livre ? Sans doute pas. le traitement monocorde peut lasser, de même que l'écriture de Vann, un peu trop encline à la formule pas forcément brillante. L'auteur avoue avoir puisé son inspiration dans un voyage effectué sur le Nil à bord d'un navire égyptien reconstitué et il est évident que la première partie, sur le bateau, est plus enlevée que la suite.
Faut-il le lire ? Oui, évidemment. Ne serait-ce que pour l'expérience étrange de se voir comprendre un personnage sans ressentir la moindre empathie.
Lien : http://www.luluoffthebridge...
Commenter  J’apprécie          60
Médée... un personnage qui continue de fasciner, millénaire après millénaire, et qui a suscité tant d'interprétations parfois totalement divergentes, de Pindare à C. Wolf par exemple.

Ici, David Vann choisit de développer la période souvent occultée par les récits, après le départ de la Colchide.

La traversée sur l'Argo, seule femme au milieu de tous ces hommes, devant imposer sa place, et rêvant à son avenir.
David Vann a su créer une ambiance totalement "mythique", lyrique parfois même, les forces de la nature, les conceptions du monde qui s'opposent, une époque et une atmosphère très bien recrées!

Et puis, il y a l'arrivée... loin d'être triomphale.
Je n'en dis pas plus pour ne pas révéler le coeur de l'intrigue, mais j'ai beaucoup aimé cette version de Médée, qui apporte encore un nouvel éclairage possible, cohérent en tout cas.

La place des femmes dans la société, et leur rapport au pouvoir, à toutes époques, en tout lieu, un sujet qui continue hélas de résonner très fortement avec l'actualité.

Juste une suggestion, pour les lecteurs qui ne connaîtraient pas bien Médée, penchez-vous y un peu avant cette lecture, vous apprécierez d'autant plus cette Obscure clarté de l'air.
Lien : http://lecture-spectacle.blo..
Commenter  J’apprécie          60




Lecteurs (351) Voir plus



Quiz Voir plus

David Vann

De quel état d'Amérique est-il originaire ?

L'Alabama
L'Arizona
L'Alaska

5 questions
97 lecteurs ont répondu
Thème : David VannCréer un quiz sur ce livre

{* *}