J'avais découvert cette autrice avec l'incontournable «
La vie rêvée des chaussettes orphelines » (qui m'avait alors été conseillé par mon fils, 13 ans à l'époque !), et j'avais adoré ! Ainsi, dès qu'un nouvel opus est sorti, je l'ai précipité dans ma PAL… où il s'est vite retrouvé submergé (comme tant d'autres). Et puis, miracle : ce livre fait partie de la sélection pour le prix Livraddict, catégorie Contemporaine. Pour les Babelionautes qui ne connaîtraient pas : les lecteurs sont invités à lire plusieurs livres parmi une sélection de 5 livres par catégorie (Contemporaine, Historique, Policier, Thriller, BD etc.), et de voter pour leur préféré, en janvier prochain, dans les catégories dont ils ont lu au moins deux livres. Je ne pouvais pas manquer cette occasion de découvrir (enfin !) ces bulles de savon !
Au risque de répéter ce qui a été dit 1.001 fois, ce livre présente donc les destins croisés de trois femmes : Claire, jeune publicitaire qui découvre sa grossesse le jour même où elle est virée de son emploi ; Océane, jeune femme d'origine française vivant aux États-Unis, ayant choisi de vivre avec son père (qui se révélera peu à peu un véritable pervers narcissique, y compris avec sa propre fille) après le divorce de ses parents, et se lançant dans des études pré-médicales alors que sa vraie passion est l'écriture ; et une femme inconnue, ses chapitres sont systématiquement écrits en italique, qui a fui son bébé de quelques semaines et une situation intenable, en partant à l'autre bout du monde, en Indonésie. Quelques autres femmes ont également voix au chapitre, dans des rôles secondaires bien travaillés : Éléonore la meilleure amie de Claire, ou Eva l'autrice-phare de la maison d'édition où travaille Éléonore ; mention aussi pour Mei, jeune étudiante originaire de Shangai qui va en quelque sorte prendre Océane sous son aile – une personnage que j'aurais aimé voir bien davantage développée !
C'est ainsi que, dans une construction chorale, mais avec une voix qui joue un peu les trouble-fête,
Marie Vareille parvient à conter l'histoire de plusieurs femmes à qui l'on peut s'identifier par bribes, ici ou là, tout en maintenant un certain suspense : j'ai fini par comprendre, ou plutôt deviner, qui pouvait être cette mystérieuse femme en italique, mais pendant au moins la moitié du livre, on absorbe cette histoire-là au même titre que les deux autres, avec le petit piment de l'inconnu. S'agit-il de Claire ? D'Océane ? (Certains petits éléments pourraient faire croire parfois que c'est l'une, parfois l'autre, éventuellement dans une autre temporalité.) Ou s'agit-il d'une autre femme encore ? mais alors qui ?
Pour moi qui apprécie particulièrement les polars et autres thrillers, souvent caractérisés par la recherche d'un coupable inconnu du lecteur, ce petit goût de suspense, tout gentil (on est bien loin d'une histoire de meurtre !) mais avec son petit côté frustrant qui fait que le lecteur veut comprendre, c'était une excellente idée, une nouvelle preuve du talent de l'autrice, derrière une (triple) histoire à première vue banale.
Ou pas ? c'est que les thématiques abordées sont, quand on y réfléchit, bien plus dures que pourrait le faire croire ce livre qui s'apparente par plusieurs points à un simple « feel-good ». À travers Claire en particulier, qui est certes une parmi trois protagonistes, mais probablement la personnage-phare entre elles-trois (et les autres), l'autrice nous parle du fait d'aimer ou non sa grossesse, de la découverte du bébé à la naissance (qui n'est jamais le bébé idéal), de la difficulté à devenir mère – que ce soit parce que ce fameux lien soi-disant intuitif ne se fait pas forcément, eh non ! ou, de façon beaucoup plus basique, parce que le père continue quant à lui sa vie de tous les jours, et ne comprend pas pourquoi sa femme, nouvelle mère, est épuisée et à bout de nerfs certains soirs, alors qu'elle est quand même à la maison toute la journée (avec tous les sous-entendus que cela implique), tandis que lui bosse deux fois plus (dit-il) pour nourrir tout le monde ! (oui, oui, c'est du vécu…)
Elle met des mots sur des situations que tant de femmes (et surtout mères, mais elle laisse également la porte ouverte aux belles-mères intrusives en croyant bien faire, aux meilleures copines qui ne trouvent pas forcément comment « être là », etc.) ont connues, de telle sorte que chacune peut retrouver peu ou prou un écho à son propre vécu – et c'est tellement juste qu'on ne peut que tressaillir, s'émerveiller de s'y retrouver si bien, et même (en partie) déculpabiliser de certaines situations qui ont laissé une vague trace de souffrance en nous…
Oh ! j'ai vu dans les commentaires le regret que l'autrice aborde ici des sujets vus et revus – certes, mais qu'y a-t-il de plus universel que la maternité ? (sans que ce soit jamais une obligation pour aucune femme, ne me comprenez pas mal !) – ou, plus largement : perpétuer l'espèce, que l'on soit la mère, le père ou (je me répète) la meilleure copine qui s'efforce d'être toujours là ?
Mais l'autrice va beaucoup plus loin que ça : elle nous parle de dépression post-partum, sujet connu mais tabou s'il en est (là aussi, je parle de vécu), qui peut s'exprimer par un blues profond que personne ne comprend vraiment, la première concernée encore moins que les autres (Claire), ou les formes graves que cette DPP peut prendre, allant jusqu'à l'abandon du bébé (la femme en italique) – qui n'est pas un abandon voulu et réfléchi, mais plutôt une fuite en avant face à une situation qui submerge et dont on ne sait plus (du tout) comment se sortir. Et là aussi, elle trouve les mots justes, elle parvient à rendre cette femme attachante, malgré ce tabou qui semble encore plus grand que la souffrance d'une nouvelle mère : comment une femme peut-elle abandonner son bébé ??
Marie Vareille a beau faire le parallèle avec tant et tant de pères (un bébé, ça se fait à deux) démissionnaires, parfois avant même la naissance de l'enfant, et que si certains le critiquent un peu, finalement ce serait presque « normal », tandis que la mère démissionnaire serait un monstre à jamais ?!…
Eh bien non ! La DPP est une véritable maladie, qui nécessite une véritable prise en charge médicale, mais notre société qui idéalise tellement la naissance d'un enfant, en a fait un tabou et une honte… exigences sociétales qui, paradoxalement, finissent par empêcher la femme de devenir mère sereinement.
Tout cela étant dit, oui j'ai adoré ce livre, mais je suis bien consciente de quelques faiblesses, et notamment une certaine caricaturisation (oups, ça existe ?) de certains personnages. Claire, par exemple, est terriblement gnangnan pendant toute sa grossesse, entre ses achats compulsifs de layette (je l'ai fait aussi, mais pas à ce point… ou bien si ?), et sa construction excessive d'un bébé idéal nommé « Coquillette » dont elle est gaga à un point bien un peu exagéré – elle a fini par m'agacer, parfois. Océane, quant à elle, n'est pas crédible dans son pseudo-désir de devenir médecin… parce qu'elle est hyper-émotive !? Certes, on a bien compris que c'est son propre père qui l'empêche de se diriger vers une carrière littéraire ; certes, elle est complètement sous l'emprise de ce père pervers narcissique (très bien brossé, quant à lui !)… mais en plus elle serait carrément stupide, alors, de ne pas se rendre compte qu'on ne peut baser une envie de devenir médecin juste parce qu'on est empathique dans plein de situations ? À 19 ans, même sous une certaine emprise, on devrait quand même savoir que la médecine, c'est autre chose, non ?
Parlons aussi de la diabolisation des hommes, entre le père d'Océane précité, le gentil Ben aux techniques de drague plus que douteuses, et le summum est atteint avec Thomas, le compagnon de Claire… C'est que l'autrice nous le présente comme un homme qui veut s'investir dans sa nouvelle paternité, et toute une série de petits détails le brossent effectivement comme tel d'une façon très réaliste ; dès lors, quand on nous dit qu'il ne lit pas une seule fois ce livre sur la grossesse expliquée aux hommes que lui a offert Claire, on est vraiment déçu, on se dit que c'est un goujat, et paf il tombe dans le cliché. Ensuite, quand il passe à son rôle de jeune père, qui croit bien faire parce qu'il bosse deux fois plus mais s'occupe une demi-seconde de son bébé en rentrant le soir, et ne comprend absolument pas sa compagne dépressive…, moi je sais qu'on n'est (hélas) plus dans le cliché et que c'est à nouveau du pur réalisme, mais le mal est fait. Dommage !
Mais rassurez-vous : si cette diabolisation est bien présente, elle reste légère et (presque) toujours tout à fait réaliste. Pour le dire autrement : on est très, très loin d'un discours féministe absolu comme j'ai parfois vu ailleurs – et qui m'aurait grandement irritée, mais décidément non, ce n'est pas le cas ! Ici,
Marie Vareille rappelle tout simplement que les hommes ont aussi un rôle à jouer dans la naissance d'un enfant, rôle bien souvent « mis de côté » dans nos sociétés, et à peine reconnu par nos lois. Je ne sais pas en France (il me semble que l'autrice l'évoque), mais en Belgique, si les femmes n'ont que 15 semaines de congé de maternité (ce qui est déjà l'un des records européens vers le bas !), les hommes ont quant à eux en tout et pour tout 10 jours ouvrables de congé de paternité !! Il existe (heureusement !) diverses autres solutions sous forme de « congé parental », que les employeurs ne peuvent (théoriquement) pas refuser… mais qui restent pris, très majoritairement, par les femmes, avec tout ce que cela implique de perte de salaire et de non-avancement dans la carrière.
Ainsi, dans ce livre où l'autrice met à l'honneur les maternités, comme autant de façons (plus ou moins faciles) de devenir mère, sans oublier la part (plus ou moins assumée) du père, chaque femme (que l'on soit mère soi-même, belle-mère, ou meilleure amie) peut trouver un écho, toujours touchant et réaliste, à son propre vécu. Elle explore aussi le sujet trop souvent tabou de la dépression post-partum grave, dans un portrait de femme saisissant et mené avec un brin de suspense tout à fait réussi. Une excellente lecture, dans le cadre du prix LA 2022.
N.B. : je termine par une petite note car ça me turlupine… J'ai lu autrefois (il y a environ 20 ans, si pas davantage) un livre d'une autrice allemande, qui parlait également de dépression post-partum, mais j'ai complètement oublié le titre du livre, de même que le nom de l'autrice !!
C'était l'histoire d'une jeune femme, allemande donc, atteinte de DPP dans les jours suivants l'accouchement, si bien qu'elle quitte bébé et domicile très rapidement, et commence à sillonner les routes de l'Allemagne – je me rappelle d'un passage où elle fait du stop, par exemple. Un autre passage m'avait alors interpelée : à un certain moment, elle doit faire face à sa montée de lait (je vous l'ai dit : elle quitte le bébé très peu de temps après l'accouchement)… et sera « soulagée » par un homme qu'elle rencontre en chemin (je ne sais absolument plus comment), avec qui on pense d'abord qu'elle va avoir une relation sexuelle… mais non, l'homme en question se contentera de téter ( !) ses seins gorgés de lait…
L'un ou l'autre lecteur pourrait-il m'aider à retrouver de quel livre / auteur il s'agit ?