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4,3

sur 737 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Située dans la partie orientale de l'île d'Hispaniola découverte par Christophe Colomb en 1492, la République Dominicaine s'est trouvée de 1930 à 1961 sous le pouvoir sans partage de Rafael Leónidas Trujillo, un des pires dictateurs qu'ait connu le continent américain.

« La fête au Bouc », écrit en 2000 par Mario Vargas Llosa, retrace le parcours de ce sinistre personnage caribéen aux yeux hypnotiseurs et à la voix de fausset.

L'écrivain péruvien a construit son roman avec intelligence. Il n'est pas tombé dans le piège d'une chronologie lassante de faits d'armes et d'exactions commis par ce dictateur à la longévité impressionnante. Il a choisi au contraire de bâtir trois romans en un et de mettre en exergue, de façon alternée, les faits et gestes de différents protagonistes :

• Trujillo, le Généralissime, le Chef Suprême, le Bienfaiteur et Père de la Nouvelle Patrie depuis trois décennies, contrôle difficilement à soixante-neuf ans un pays au bord de la faillite et une vessie victime d'une récente déficience prostatique.
Cet homme sans scrupule, toujours tiré à quatre épingles, adore faire douter son entourage tel le sinistre Colonel Johnny Abbes Garcia le chef du Service de l'Intelligence Militaire et l'exécuteur des basses oeuvres, ou bien le servile constitutionnaliste et conseiller financier Henry Chirinos un magouilleur de première, ou encore le Président fantoche Joaquín Balaguer poète à ses heures.

• Quatre conjurés attendent fébrilement, dans une voiture à l'arrêt, le passage de la Chevrolet de Trujillo. Ils ont fait le serment d'abattre celui qui depuis longtemps est la cause de leurs malheurs. Chacun de ces hommes a sa propre histoire mais une même haine les rassemble, l'heure de la vengeance a sonné.

• Urania est une belle femme de 49 ans. Cette brillante avocate d'affaires de Manhattan revient en 1996 à Saint-Domingue après 35 ans d'un exil apparemment volontaire.
Son père, Augustín Cabral, a été longtemps un des hauts dignitaires du régime Trujillo avant d'être brutalement suspendu de ses fonctions. Depuis dix ans le vieil homme est cloué dans un fauteuil suite à une rupture d'anévrisme mais la rancune d'Urania à son égard ne s'est pas apaisée.

Mario Vargas Llosa à travers le parcours de vie de ces différents acteurs, entraîne le lecteur au coeur d'un système totalitaire ou le sort d'un opposant dépend souvent du bon vouloir du Chef ou de l'humeur d'un de ses sbires. Enlèvements, tortures, assassinats sont le lot commun des malheureux qui se retrouvent, pour un oui ou pour un non, dans le collimateur du pouvoir.
La République Dominicaine baignée de soleil, bercée par les merengues, est devenue pour beaucoup l'enfer sur terre.

Avec brio, le romancier se glisse dans l'intimité des protagonistes et accentue par là même la crédibilité et l'horreur de certaines situations. Vargas Llosa s'est documenté abondamment pour introduire ici et là des centaines de personnages secondaires. le souci du détail donne une véracité supplémentaire au roman sans jamais nuire à sa fluidité.

« La fête au Bouc » est une oeuvre majeure, une immersion au coeur d'un système politique nauséeux, un roman que l'on n'oublie pas de sitôt.
Le jury du Nobel de littérature l'avait très certainement à l'esprit en 2010 lorsqu'il décerna à Mario Vargas Llosa la distinction suprême.


P.-S. : le merengue est un genre musical et une danse née en République dominicaine vers 1850 et aujourd'hui interprété également par des artistes portoricains (source Wikipédia).
Pour une première découverte du merengue, je vous recommande le CD "Suavemente" d'Elvis Crespo ; bonne humeur garantie !
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République dominicaine, un roman historique sur la fin du régime de Trujillo, affectueusement nommé le Bouc.

Après avoir lu « Les déracinés », j'ai voulu en savoir plus sur la République Dominicaine. J'ai été bien servie par ce magnifique roman qui présente principalement trois points de vue :

-Celui d'une femme qui revient au pays qu'elle a quitté depuis trente-cinq ans. Elle ira voir son père qu'elle n'a jamais revu et on apprendra peu à peu le drame qui a changé sa vie.

- Celui du Généralissime et Bienfaiteur, le mégalomane qui baptise la capitale de son propre nom et qui sème des statues de lui partout dans le pays. Mais aussi un pitoyable septuagénaire qui a des problèmes de prostate et d'incontinence…

- Celui du groupe des conjurés qui planifient l'assassinat de Trujillo, les motivations de chacun, le déroulement des événements, la fuite et le calvaire de l'emprisonnement.

Une lecture éprouvante, car on ne peut pas évoquer l'horreur des tortures, les exécutions et les viols sans ressentir de l'empathie pour les victimes.

Une réflexion sur l'Histoire aussi, sur ces hommes exceptionnels, travailleurs acharnés, qui amènent une prospérité économique, mais qui deviennent des monstres sanguinaires et des tyrans qui détruisent leur propre pays…

Un excellent roman qui montre à la fois les tourments individuels et les problèmes de la société.
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Quatre hommes vont mettre fin à trois décennies de dictature du Généralissime de la République Dominicaine. Trente-cinq ans après une femme est venue d'Amérique pour demander des comptes à Augustín Cabral, son père devenu grabataire, un ancien collaborateur déchu du Chef Suprême.

Malgré son déclin physique, celui qui va tomber sous les balles de ses anciennes victimes, Rafael Leónidas Trujillo, tient encore son entourage et le pays. Un pays, dont il possède avec sa famille une grande partie des richesses, un pays qui vit toujours dans la peur des arrestations arbitraires, de la torture et des exécutions sommaires. A l'heure de sa mort, celui qui a volé l'enfance de la fille d'Augustin Cabral, n'a pas peur. Il est persuadé qu'il a fait la grandeur de Saint-Domingue.

La Fête au Bouc ou le portrait d'une dictature peint magistralement par Mario Vargas Llosa.

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A lire un roman historique traitant d'une dictature, il faut s'attendre à y trouver son lot d'atrocités. La fête au bouc ne dément pas le pressentiment. C'est une caractéristique de ce mode de gouvernement. Il en est une autre également que celle du culte de la personnalité. La capitale dominicaine portera le nom de son homme fort pendant les décennies de sa mainmise sur le pays : Ciudad Trurillo. À la République dominicaine ne siéra jamais aussi peu ce statut que sous la férule du tyran.

Cet ouvrage paru en 2000 est un parmi les écrits qui valurent à Mario Vargas Llosa la consécration du Nobel de littérature dix ans plus tard. Avec pareille oeuvre on a toujours la crainte de ne pas être à la hauteur de ce qu'on lit. Pourtant dans le cas présent l'exercice dément l'inquiétude. A croire que le fait de savoir se mettre au niveau de tous ceux qui porteront les yeux sur ses lignes est un critère qui a compté pour attribuer le satisfecit suprême à l'auteur populaire, devenu pour le coup prestigieux. Je me fais le devoir quant à moi de confirmer le plaisir de lecture que m'a procuré cet ouvrage avec un autre de sa main. J'attends avec impatience le conseil avisé des adeptes de Babelio pour orienter mon choix vers le prochain livre de cet auteur sur lequel il ne faut pas faire l'impasse.

Tout dans cet ouvrage est à mes yeux de la plus belle facture. Une construction savante tout d'abord, propre a entretenir l'attention au gré des péripéties et rebondissements. le lecteur averti sur cette époque difficile de la République dominicaine, communément labellisée Ère Trujillo, saura d'emblée que celui qui s'auto gratifiait du statut de Bienfaiteur du pays a été abattu en mai 1961. Tout est affaire de contexte et d'opportunité, les exécuteurs furent d'abord qualifiés de terroristes, de justiciers par la suite.

Belle facture aussi que celle d'une écriture accessible, sans fioriture, terriblement efficace, au vocabulaire parfois cru, quand il s'imposait pour traduire le mépris qu'avaient les tenants du pouvoir envers leurs détracteurs aussi bien qu'envers celles dont ils volaient l'innocence, parfois la puberté à peine venue.

Belle facture enfin que l'intrigue principale incorporée aux péripéties cauchemardesques d'un régime perverti. Quelle raison ramène cette avocate, newyorkaise d'adoption, en son pays natal après tant d'années de silence ? Sa motivation sera distillée dans l'enchevêtrement des pages sombres d'un quotidien fait de servilité, de peur, d'appropriation et tant d'autres travers propres à ce genre de gouvernement, lequel se flatte d'oeuvrer pour le bien du peuple et de la nation, confondant servir et sévir.

Dans pareil contexte, l'ouvrage de Mario Vargas Llosa comporte les inévitables et insoutenables séances de tortures et assassinats auxquelles furent soumis certains opposants au régime. Les omettre eut été volonté d'occulter la réalité. Un dictateur cherchant toujours quelque part une forme de légitimité du statut qu'il s'est octroyé par la force, Trujillo n'a pas échappé à la règle. Lui qui se vantait de ne rien lire, se goinfrait des flatteries des marionnettes qu'il plaçait aux postes clés du pouvoir jusqu'à s'entendre dire par le président fantoche qu'il manipulait comme les autres qu'il était "pour ce pays l'instrument de l'Être suprême."

La fête au bouc est un ouvrage remarquable. Équilibré, sans longueur superflue, fondé sur un subtil dosage des sentiments n'aspirant ni au voyeurisme ni à la commisération. Il entretient son lecteur dans un crescendo de l'attention que seule la dernière phrase libère, pour verser celui-ci dans le contentement d'avoir lu un excellent ouvrage. Convaincu que la fiction est encore en dessous de la réalité.
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Critique féroce du totalitarisme, ce roman historique quasi torrentiel, véritable thriller politique, narre la fin d'une époque incarnée par un dictateur tyrannisant trois millions d'individus : l'implacable Trujillo, surnommé el Chivo, et son idéologie absolutiste, et Balaguer son fidèle sbire. Tandis que ce régime politique avance en marchant sur les cadavres, plusieurs intrigues s'entrecroisent et s'imbriquent à la perfection, superposant histoire et fiction : dans ce va et vient, le lecteur passe de l'intérieur et à l'extérieur de chacun des personnages et des situations, avec pour toile de fond une danse politique et sociale macabre et carnavalesque.
Si la réalité dans ce roman dépasse la fiction littéraire, cette dernière endosse ici le rôle de restauratrice de la mémoire (individuelle, collective et historique) proposant de répondre à la question sartrienne : que peut la littérature ? Sous le masque de la fiction, la littérature de Vargas Llosa fait émerger la vérité, posant la question de la docilité et de l'obéissance d'élites au service des caprices d'un tyran persuadé d'être la continuité de dieu, le pourquoi d'un règne aussi socialement violent et la question de la passivité d'une nation face à l'abolition des libertés les plus fondamentales.
Un livre exceptionnel sur la corruption, la violence et la folie de toute forme d'absolutisme politique et sur le rôle de la littérature.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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Mario Vargas Llosa est un grand écrivain, auteur de peu de grands livres. Sans doute que celui-ci, immense, avait rappelé aux jurés du Nobel qu'il mangeait autrefois à la table des plus grands, dont son ami / ennemi Gabriel Garcia Marquez.

Sans les honneurs et cette Fête au Bouc, on ne se souviendrait de ses dernières décennies que des turpitudes péruviennes, du peu d'honneur à figurer dans les Panama et Pandora papers, du ridicule de l'Académie française qui vient de l'accueillir sans qu'il ait jamais écrit en français, et de déclarations toujours plus à droite, économiquement et politiquement, incompréhensibles pour les lecteurs, par exemple, de la Guerre de la fin du monde, roman qui l'avait consacré dans le grand public, le dernier d'importance avant ce grand et ultime (à ce jour) retour avec La fête au Bouc.

Le Bouc, c'est Rafael Trujillo, maître de Saint-Domingue, satrape ubuesque, maître "étalon" puisqu'il exerce un droit de cuissage sur toutes les femmes, non seulement pour son plaisir, mais pour asseoir sa domination sur l'auto humiliation de ses servants qui s'offrent à porter les cornes.
Mario Vargas Llosa dresse le tableau d'une impitoyable tyrannie, ubuesque, ogresque, qui est une apogée du patriarcat et donne à ce titre au récit une dimension quasi mythologique.

Fidèle à sa méthode, au "bouillonnement romanesque" dont on le crédite, Mario Vargas Llosa orchestre ce cauchemar à trois voix, dont celle de conjurés, révoltés autant contre la dictature que contre ce qu'elle fait d'eux depuis toujours et chaque jour, les privant de leur dignité, de leur humanité.

Un grand roman sur le pouvoir, la compromission, l'héroïsme, le sacrifice... et parfois le non-sens, de vivre mais aussi de mourir. A ranger sur la même étagère que les meilleurs de MVL : La ville est les chiens, La maison verte (chef d'oeuvre mais difficile), Conversation à la cathédrale, et sur un tout autre registre Tante Julia et le scribouillard.

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Urania revient à Saint Domingue après avoir fui l'île 35 ans plus tôt.
Pendant toutes ces années, elle a coupé les ponts avec son père, ses oncles, tantes, cousines.
Que s'est-il passé ?
J'ai été captivée par ce récit qui expose la mécanique de la tyrannie de Trujillo mais plus largment de toute tyrannie.

Le point de départ du récit est la visite qu'Urania rend enfin à son père, pauvre créature fragilisée par un AVC qui l'a frappé voilà 10 ans. Elle retrouve la maison de son enfance qui n'a plus le vernis d'autrefois. Comme Agustin Cabral, elle est abandonnée, délabrée, décrépie.

Mario Vargas Llosa donne alors alternativement la parole aux protagonistes de ces jours de 1961 qui vont voir l'assassinat de Rafael Léonidas Trujillo Molina, le Bienfaiteur de Saint Domingue.
Nous découvrons ainsi les pensées de chaque conjuré planqué pour commettre l'attentat, tourmenté par l'attente, qui, du coup nous expose ses motivations. On prend aussi la mesure de la personnalité retorse du Généralissime : habile, calculateur et manipulateur, cruel et brutal. Enfin et surtout Urania livre ses souvenirs de cette année 1961, de ses 14 ans, de son enfance dorée jusqu'à l'évènement orchestré par son père qui l'a si profondément traumatisée. Cette structure simple produit un effet de tension très efficace.
Ce choix d'alterner les différents points de vue a aussi le mérite de nous donner à comprendre l'emprise que peut exercer une personnalité hors du commun comme celle du Généralissime : entre fascination des uns et détestation la plus absolue des autres, voire les deux, et ses conséquences. A ce niveau, la trahison de Cabral ou la démence qui saisit le général Pupo Roman sont exemplaires. J'ai adoré l'excellente formule trouvée par MVL pour qualifier la crise de Pupo en parlant « de la gélatine de son égarement mental »… Il fallait la trouver celle-là.
Mario Vargas Llosa ne parle pas du peuple qui semble comme une entité abstraite subissant les 31 années de cette dictature féroce, aliéné par la propagande et les caliés, hommes de main du régime.
Ce qui l'intéresse ce sont les hommes du sérail, ces hommes qui vont permettre à Trujillo de durer : ministres, sénateurs, généraux, Présidents fantoches. Ces courtisans, prêts à toutes les compromissions, les lâchetés, pour obtenir plus de faveurs, de subsides que leur rival, craignant plus que tout la disgrâce car l'arbitraire, les abus de pouvoir, la violence sont dirigés à tous les niveaux. Personne n'est à l'abri de déplaire au Chef, sans qu'on sache d'ailleurs toujours très bien pourquoi, et les conséquences sont désastreuses.
J'ai eu quelques difficultés au début de la lecture à retenir qui était qui. En effet, le même individu peut être désigné par son 1er nom de famille, le second, son prénom, son surnom ce qui m'a un peu perdu au début. Mais très vite, on surmonte cette difficulté car les personnages sont très bien construits, avec une personnalité propre.
J'ajouterais que j'ai été séduite par l'écriture de l'auteur qui est d'une maîtrise, d'une élégance parfaite.
Enfin, si ce récit a quelque chose d'ubuesque, je suis allée vérifier, quasi tout est vrai.
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Est-il trop long, ce roman de Vargas Llosa, qui nous raconte avec moult détails la chute du dictateur fasciste Rafael Trujillo qui fut plus de trente ans à la tête de la République Dominicaine, ce pays qui partage avec son voisin Haïti l'île d'Hispaniola découverte par Christophe Colomb lors de son premier voyage aux "Indes" ? Il m'est arrivé de le penser de manière fugitive à la lecture d'un ou deux chapitres. Mais le talent de conteur de l'écrivain a, à chaque fois, rapidement effacé ce sentiment. Cette plongée sans concession dans l'enfer construit par Trujillo s'est révélée pour moi passionnante. Comment la Liberté peut-elle tenter de survivre dans un monde où toutes conditions de son épanouissement sont systématiquement traquées et anéanties ? Comment la Vérité peut-elle encore se frayer un chemin dans un monde où le factice devient la Loi, soutenue par les pires exactions ?

Mario Vargas Llosa m'a encore une fois ébloui par sa langue magnifique, sa science de l'humain et son art du récit.
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La fête au bouc c'est l'histoire de l'attentat qui coûta la vie à Rafael Leonidas Trujillo dictateur qui a sévit en République Dominicaine de 1930 à 1961.
Mario Vargas Llosa nous raconte la terreur, l'oppression à travers le regard d'Urania, une femme de 49 ans qui revient dans son pays après plus de 30 ans d'absence.
Le récit d'Urania alterne avec deux autres récits : l'un porté par le Généralissime, le Chef Suprême, l'Excellence, le Bienfaiteur tel qu'il se fait appeler par son entourage c'est à dire Trujillo. Son regard foudroyant dont tout le monde s'accorde à dire qu'il vous glace le sang et vous enlève toute velléité ou courage. Cet homme de 79 ans toujours au pouvoir dont l'esprit est toujours en alerte mais dont le corps vieillit et se fatigue. Constater le vieillissement de ce corps qu'il ne maitrise plus le rend encore plus haineux.

Ses conseillers les plus proches acquis à sa cause et au régime de terreur qu'il fait régner exécutent avec un plaisir certain les actes cruels ordonnés par leur chef.
Il en faut peu pour tomber en disgrace et se voir spoiler de tous ses biens dans le meilleur des cas et enfermer, torturer dans le pire des cas.

L'autre récit, enfin, à travers les quelques hommes qui ont osé préparer ce complot pour abattre Trujillo et tenter de redonner à la République Dominicaine l'espoir d'une vie meilleure.
La préparation de l'attentat, l'attente, l'espoir, les doutes, le risque permanent d'être démasqué sont parfaitement transcrits.

L'écriture de Mario Vargas Llosa est profonde, emprunte d'humanité malgré les actes parfois abjectes qu'il raconte.
Je finis cette lecture avec beaucoup de tendresse pour Urania, du respect et de l'admiration pour ces hommes qui ont osé lutter contre ce pouvoir au péril de leur vie et de celle de leur famille et du dégout pour cet homme et son écosystème dont l'égo surdimensionné, la folie et la haine ont dicté leurs actes.
Je ressort marquée par cette lecture et je garderai longtemps en mémoire ce récit.
J'ai découvert une période de l'histoire de la République Dominicaine que je ne connaissais pas.

A lire sans hésitation !







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30 mai 1961, Ciudad Trujillo (ex-Saint-Domingue).
Un groupe d'hommes (civils et militaires) est embusqué sur la route que doit emprunter la voiture du « Bouc », Rafael Trujillo, le dictateur qui dirige la République Dominicaine depuis 31 ans. Les hommes qui forment ce groupe sont armés et ont décidé de risquer leur vie afin de supprimer Trujillo.

1996, Saint Domingue.
Urania Cabral, la fille de l'ex-président du Sénat de Trujillo revient dans son pays après trente-cinq ans d'absence et de silence. Durant tout ce temps, elle a refusé le contact avec les membres de sa famille mais, aujourd'hui, elle passe quelques jours de vacances sur son île natale. Pourquoi ? Est-ce pour revoir son père, cloué dans son fauteuil par une attaque cérébrale ? Est-ce pour vérifier que l'argent qu'elle envoie au vieil homme est utilisé pour lui assurer des soins ? Ou pour se venger de ce que ce père qu'elle croyait aimer lui a fait endurer alors qu'elle n'avait que quatorze ans ? Urania elle-même ne le sait pas... Mais, petit à petit, alors qu'elle parcourt les rues de cette ville toujours familière et retrouve des membres de sa famille, un passé douloureux qu'elle croyait oublié refait surface.


La Fiesta del Chivo est inspiré de faits réels, puisque Rafael Trujillo a réellement existé. le roman se concentre sur les quelques heures durant lesquelles se met en place la conspiration pour tuer le Chivo (le Bouc). Toutefois, grâce aux nombreux souvenirs des personnages (ceux d'Urania et ceux des hommes faisant partie de la conspiration, mais aussi ceux de Trujillo lui-même, certains éléments antérieurs et postérieurs à l'assassinat du Chivo sont révélés.

Et quels éléments ! Cruels et, pour la plupart, épouvantables : détails sur les assassinats « politiques », Trujillo se débarrassant des opposants au régime par le biais d Johnny Abbes García, le chef de son service d'intelligence militaire (le SIM) ; viol d'Urania par le Chivo alors que la jeune fille n'avait que 14 ans et que Trujillo en avait déjà 70 ; torture et exécution des participants au meurtre du Chivo...

Avec La Fiesta del Chivo, Vargas Llosa pose la question des responsabilités. Trujillo était-il le seul « coupable » des exactions ayant eu lieu durant ces 31 années passées au pouvoir ? Ses collaborateurs et même son homme de paille, le président Balaguer (titre purement honorifique, puisque Trujillo dirige le pays lui-même) ne partagent-ils pas une certaine responsabilité avec le Chivo ? Loin d'excuser Trujillo (impossible, vu la façon dont son histoire nous est racontée), Vargas Llosa analyse tout de même les actions de chacun et nous fait comprendre, sans clairement les accuser, que la plupart des proches du Chivo étaient aussi responsables que lui de l'installation de la dictature dominicaine.
Le récit est partagé entre les différents points de vue des personnages : un chapitre concerne Urania et ses souvenirs, le suivant concerne les conjurés qui attendent Trujillo pour le tuer, et, enfin, un chapitre nous raconte les activités du Chivo lors de sa dernière journée. de cette façon, Vargas Llosa peut analyser différentes façons d'envisager le régime :
- Urania, fille d'un homme politique fidèle à Trujillo, nous parle des faits et gestes de son père, des illusions que cet homme pourtant intelligent se faisait au sujet de Trujillo ;
- les différents participants au complot se souviennent, eux, des innocents exécutés, des membres de leur famille qui ont été éliminés par le SIM et c'est la souffrance de toute une nation qui se déroule sous nos yeux ;
- Trujillo, quant à lui, est persuadé de son bon droit. Il prétend aimer la République dominicaine et ses habitants et ne leur vouloir que du bien.

Cette façon de se concentrer alternativement sur différents « narrateurs » permet à Vargas Llosa de ne jamais porter de jugement direct sur la dictature du Chivo. Il ne nous « oblige » pas à détester Trujillo. Cela se fait naturellement, par le biais de ce que l'on apprend. de même, les trente et une années de dictature du Bouc nous sont racontées dans un récit continu, sans que le roman se transforme en vraie brique ou s'accompagne d'interminables introduction ou épilogue.

Bien que j'ai beaucoup apprécié cette lecture, j'hésite toutefois à la qualifier de « coup de coeur ». Ce serait particulièrement indécent étant donné les souffrances endurées par les personnages ; d'autant plus qu'il s'agit de personnages réels (même s'il s'agit d'un roman) et de faits réels. Huáscar Tejeda, Luis Amiama Tió, Antonio Imbert, Antonio de la Maza, Salvador Estrella Sadhalá ont réellement existés. Ils ont réellement été torturés par le SIM et froidement exécutés.

Urania et sa famille, y compris Agustin Cabral, par contre, sont fictifs. Mais les souffrances endurées par Uranita sont décrites avec tant de réalisme dans le dernier chapitre qu'il est impossible de ne pas éprouver de compassion pour cette jeune fille qui a quitté son pays et sa famille afin d'échapper à Trujillo. Et, étant donné la personnalité du dictateur, dévoilée peu à peu dans le reste du roman, il n'est pas difficile de comprendre que ce viol qui a détruit la jeunesse et l'innocence d'Urania a très bien pu arriver à d'autres jeunes filles dominicaines de l'ère de Trujillo...

Le titre du roman, particulièrement bien adapté vu le surnom donné à Trujillo, est inspiré d'un merengue dominicain, Mataron al Chivo :
" El pueblo celebra con gran entusiasmo la Fiesta del Chivo el treinta de Mayo. "
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