Citations sur La tante Julia et le scribouillard (44)
Je lui expliquai que l'amour n'existait pas, que c'était une invention d'un Italien appelé Pétrarque et des troubadours provençaux. Que ce que les gens croyaient être un jaillissement cristallin de l'émotion, une pure effusion du sentiment, était le désir instinctif des chats en chaleur dissimulé sous les belles paroles et les mythes de la littérature. Je ne croyais rien à cela, mais je voulais me rendre intéressant.
- Ce qu'il y a de terrible pour une femme divorcée, ce n'est pas que tous les hommes se croient obligés de te faire des propositions, m'informait tante Julia. Mais qu'ils pensent, puisque tu es une femme divorcée, qu'il n'est pas besoin de romantisme. Ils ne te font pas la cour, ils ne t'adressent pas de propos galants, ils te proposent la chose de but en blanc le plus vulgairement du monde. Ça me met hors de moi. [...]
[...] je lui affirmai que, quelles que soient les différences, l'amour basé sur le physique pur durait peu. Avec la disparition de la nouveauté, avec la routine, l'attrait sexuel diminuait et finalement mourait (surtout chez l'homme), et le couple ne pouvait alors survivre que s'il y avait entre eux d'autres aimants : spirituels, intellectuels, moraux.
L'inexpérience érotique des époux fit que la consommation du mariage fut très lente, un véritable feuilleton où, entre les velléités et les fiascos par précocité, manque de précision dans le tir et fausse route, les chapitres se succédaient, le suspense allait croissant, et l'hymen têtu n’était toujours pas perforé. Paradoxalement, s’agissant d'un couple si vertueux, doña Zoila perdit d'abord sa virginité (non par vice mais par hasard stupide et manque d’entraînement des nouveaux mariés) de façon hétérodoxe, c’est-à-dire sodomique.
Hormis cette abomination fortuite, la vie du couple avait été fort correcte.
Et elle me rappela que la famille se faisait des illusions sur mon compte, que j'étais l'espoir de la tribu. C'était vrai : ma cancéreuse famille attendait de moi que je devienne un jour millionnaire, ou, dans le pire des cas, président de la République.
Nous analysâmes, Javier et moi, les possibilités qu’avait Pedro Camacho de matérialiser ses visées homicides sur le Grand Pablito et nous convînmes que le sort de ce dernier dépendait exclusivement des sondages : si la progression d’écoute des feuilletons se maintenait, il serait sacrifié sans miséricorde.
les livres sortaient de cette petite tête obstinée et de ces mains infatigables, l'un après l'autre, à la mesure adéquate, comme des chapelets de saucisses d'une machine.
C'étaient naturellement les mots "art" et "artistiques" qui revenaient le plus souvent dans ce fiévreux discours, comme quelque formule magique qui ouvrait et expliquait tout. Mais, plus insolite que les paroles du scribe bolivien, il fallait voir la ferveur avec laquelle il les proférait et, peut-être plus encore, l'effet qu'elles provoquaient. Il parlait en gesticulant et en se dressant, de la voix fanatique de l'homme qui est en possession d'une vérité urgente et doit la propager, la partager, l'imposer.
Je lui expliquai que l'amour n'existait pas, que c'était une invention d'un Italien appelé Pétrarque et des troubadours provençaux. Que ce que les gens croyaient être un jaillissement cristallin de l'émotion, une pure effusion du sentiment, était le désir instinctif des chats en chaleur dissimulé sous les belles paroles et les mythes de la littérature. Je ne croyais rien à cela, mais je voulais me rendre intéressant.
Je tentai la même enquête auprès des autres parents et les résultats furent indécis. Les tantes Gaby, Laura, Olga et Hortensia aimaient les feuilletons radio parce qu'ils étaient amusants, tristes ou puissants, parce qu'ils distrayaient et les faisaient rêver, vivre des choses impossibles dans la vie réelle, parce qu'ils enseignaient quelques vérités ou parce qu'elles se sentaient l'âme romantique.