Ce tome contient les épisodes 6 à 10 de la série, parus en 2005. Il fait suite à The first hundred days (épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu avant. Ces épisodes ont également été réédités dans une version dite deluxe : Ex Machina vol. 1 (deluxe edition) (épisodes 1 à 11). Tous les scénarios sont de
Brian K. Vaughan, les dessins de
Tony Harris, l'encrage de Tom Feister et les couleurs de JD
Mettler.
24 juillet 2001, Mitchell Hundred (qui a rendu publique son identité secrète) rencontre Jackson Georges, son officier de liaison avec la NSA (National Security Agency). 24 mars 2002, Hundred célèbre un mariage de plus, et cette obligation répétitive qui vient avec sa fonction lui donne déjà la nausée. Il recroise Suzanne Padilla la journaliste qui s'était invitée dans sa voiture officielle. Puis il confronte ses idées sur le système scolaire à celles de Dave Wylie (son premier adjoint). Dans les tunnels du métro, 2 ouvriers de maintenance découvrent le cadavre d'un chien crucifié et éventré, ainsi qu'un étrange symbole peint sur le mur. Un proche d'Hundred lui propose de célébrer le mariage homosexuel d'un pompier ayant apporté sa contribution aux opérations de sauvetage du 11 septembre 2001.
Avec cette deuxième histoire, le mode narratif de
Brian K. Vaughan devient un peu plus apparent. L'élément qui ressort le plus est l'importance des conversations entre les personnages. Cela commence avec la conversation entre Hundred et Georges pour expliquer comment les agences de sécurité ont géré l'existence de ce superhéros du point de vue de la sécurité nationale. Harris conçoit un découpage assez vivant qui s'appuie sur un mouvement de caméra permettant de varier le décor, en arrière plan, puis sur la remise d'un objet de l'un à l'autre ce qui introduit un peu de mouvement. Vaughan clôt cette scène avec de l'action ce qui permet d'établir un équilibre entre ces conversations un peu théâtrales et le média visuel qu'est la bande dessinée. La réception après le mariage introduit un nouveau décor, et un dialogue crédible mêlant mondanités entre personnes ne se connaissant que de vue, et tentative d'approche plus ou moins gauche. Pour cette scène ci, il apparaît le talent de
Tony Harris pour créer des visages crédibles d'individus, des tenues de soirée élaborées, sans donner l'impression d'avoir été tracées à partir d'un magazine de mode, etc. Par contre lors de la scène suivante, un face à face entre Hundred et Dave Wylie, Vaughan propose une discussion délicate et bien menée sur la qualité de l'éducation alors qu'Harris a bien du mal à trouver une mise en scène intéressante.
Toutefois l'intrigue permet de dépasser le caractère théâtral des conversations, car cette histoire présente de nombreuses autres facettes. Comme dans le tome précédent, Vaughan continue d'utiliser son héros pour évoquer des sujets de société éminemment politiques. le lecteur a le plaisir de découvrir que la position d'Hundred (et donc de Vaughan) sur le mariage homosexuel n'a rien de manichéen et ou de primaire. La décision d'Hundred s'appuie sur des convictions étayées par une réflexion construite. Il est possible de ne pas partager le point de vue d'Hundred, mais il n'est si pas facile que ça de réfuter ses arguments. Vaughan expose ce point de vue au travers de différentes discussions entre membres de l'équipe d'Hundred, avec les 2 futurs mariés qui vont affronter une tempête médiatique (souvenez-vous du couple marié à Bègles), et par le biais de questions / réponses lors d'une conférence de presse. Cette façon de développer cette intrigue assure une variété dans les décors, ainsi que la possibilité de mettre en avant les capacités réelles d'Harris de représenter des individus différents à l'identité visuelle marquée, ainsi que de croquer des expressions de visages justes et agréables à regarder.
Au fil des discussions et des actions d'Hundred, Vaughan et Harris font apparaître plusieurs de ses traits de caractères, développent sa personnalité, en font un personnage très séduisant et charmeur, mais aussi un politicien professionnel. Pour les rares scénaristes de comics qui incluent un homme politique dans leur histoire, l'approche est presque toujours la même : il s'agit d'un individu qui n'a que ses intérêts à l'esprit, et qui est invariablement corrompu à un degré plus ou moins élevé par le pouvoir dont il est le dépositaire. Ici, les créateurs ont choisi une approche plus intelligente dans laquelle Mitchell Hundred est bien un héros dans le sens où il consent des sacrifices personnels pour le bien d'autrui. Hundred n'a rien de quelqu'un né de la dernière pluie, ou de naïf. Il sait que chacune de ses décisions sera commentée, déformée, critiquée, détournée et utilisée contre lui. Vaughan le dépeint comme un individu ayant de fortes convictions (plus morales que politiques) et qui souhaite faire bouger les choses, ou au moins améliorer des situations grâce aux pouvoirs temporels dont il est le dépositaire transitoire par le biais des élections. Ce qui rend Hundred et ses actions crédibles est à la fois son pragmatisme cynique, et le fait que son premier objectif n'est pas d'être réélu. du coup, il peut vraiment prendre des décisions courageuses, avec des conséquences significatives.
Il ne faut pas croire que ces épisodes ne renferment que des débats d'idées ou des confrontations d'opinions. Vaughan a conçu une série qui allie quelques problématiques d'une municipalité, à la découverte d'un personnage principal charismatique, avec une composante de science-fiction (les étonnants pouvoirs de Mitchell Hundred), ainsi que des enquêtes de type policières (d'où proviennent les graffitis évoqués par le titre ?), et des séquences d'action. Chacune de ces composantes est liée aux autres de manière organique et le tout forme une lecture addictive, renforcée par le désordre chronologique.
Les illustrations de
Tony Harris renforcent le plaisir de la lecture. Mis à part ces quelques séquences de dialogues visuellement peu inspirées, Harris s'avère un dessinateur inventif, entièrement appliqué à raconter l'histoire. Pour commencer, il a su concevoir un costume de superhéros pour Great Machine qui semble plausible dans notre réalité, ce qui évite de créer une trop forte distance entre cette époque de la vie d'Hundred, et son mandat de maire. Son approche des tenues vestimentaires est réaliste, sans tomber dans la reproduction servile de magazines de mode. Les invités au mariage sont élégants dans leurs habits de fête, et les ouvriers dans le tunnel du métro disposent d'une dotation vestimentaire adaptée à la nature de leurs tâches. Les séquences d'action transcrivent le niveau de d'énergie et de violence que le lecteur en attend, et Harris n'a pas peur de dessiner les détails quand le scénario augmente le niveau de violence. Comme dans le premier tome,
Tony Harris dessine des personnages à la morphologie réaliste, à la silhouette bien proportionnée, sans relever de la perfection plastique. Il a un don certain pour transcrire par le langage corporel le jeu de la séduction consciente ou inconsciente. Il faut également souligner le travail de mise en couleurs de JD
Mettler. Il adopte le parti pris de donner une couleur dominante pour chaque scène, déclinée en plusieurs nuances. Cette approche permet de renforcer l'unité de chaque scène, et de donner des repères visuels facilement indentifiables par le lecteur, pour indiquer s'il s'agit d'une scène du temps présent, ou d'une scène du passé (avec des couleurs légèrement délavées).
Tout n'est pas parfait dans ce tome (quelques mises en pages basiques, et un maire de New York à l'emploi du temps plein de trous, qui résout souvent les affaires lui-même, sans conseillers et autres experts). Mais le niveau de divertissement et d'intelligence est exceptionnellement élevé, à la fois du coté action, et du coté réflexion. le mandat de Mitchell Hundred se poursuit dans Fact vs. fiction (épisodes 11 à 16).