Suzanne a perdu le visage de ceux qu'elle aimait.
Elle les reconnaît, mais pas totalement, et le doute la ronge de savoir, de ne pas se tromper, et d'engager sa confiance à une mauvaise personne, une personne qu'elle prendrait pour une autre.
Suzanne est désorientée.
Son esprit a été ébranlé par un choc nerveux.
Elle a perdu un enfant, son premier enfant à naître, en même temps qu'elle a failli perdre son mari, André Vidal, arraché in extremis de l'épave du "Deucalion", un grand cargo de 12.000 tonnes qui s'était perdu dans l'Atlantique-Nord ...
N'importe quel auteur aurait fait du naufrage du "Deucalion" la grande affaire de son livre.
Mais pas
Roger Vercel.
Ce qui a compté pour lui, ici, dans "
Visage perdu", c'est
le naufrage de l'esprit de Suzanne, celui de son couple, et par voie de conséquence celui d'André, son grand amour.
Le récit maritime tient en quelques pages.
Il n'est pourtant pas négligé.
La mer y est furieuse, le vent terrible et l'angoisse des hommes palpable.
Mais il n'est qu'une toile de fond au drame qui se joue dans le récit de
Vercel.
Car "
Visage perdu" est un drame humain, aussi ordinaire que tragique, qui va se jouer à terre, entre Suzanne, André et Francine.
Le décor est celui de la Bretagne-Nord, celui que
Vercel a tant aimé ... Dol, Saint-Malo et Paramé avec ses longues plages de sable fin ...
Il est décrit à petites touches de plume.
Ce récit est poignant sans être pour autant ni larmoyant, ni sordide.
C'est un ballet d'émotion qui se joue entre le mari et la femme qui se perdent, entre le mari et la maîtresse qui ne l'est pas encore, qui aspire à le devenir, qui ne le sera peut-être jamais.
C'est un drame intimiste.
Certaines scènes, pourtant, y sont terribles, souvent marquées de confrontation.
Aucun des personnages n'y cède sa place.
Aucun n'est accessoire au déchirement de cette femme qui ne sait plus, qui ne sait pas, qui n'est plus sûre de rien.
Ce roman est écrit à la fois de manière littéraire, et très cinématographique, théâtrale presque même.
C'est un roman empli d'humanité où l'héroïsme des personnages est de tous les jours, où l'émotion se traduit finement par des mains qui se joignent, des regards, des baisers qui se refusent et des départs qui sont remis .
C'est finalement un très beau roman d'amour, en même temps qu'un puissant récit de littérature maritime ...