Avoir du coeur, c'est embêtant. Déjà, on peut en mourir. Si l'Histoire connaît Jacques Coeur, le personnage de
Vian, lui, s'appelle Jacquemort. Comme ça, c'est clair. Et puis, les histoires de coeur, qu'on aime ou qu'on soit aimé, c'est toujours la catastrophe.
L'Arrache-coeur ou l'expérience du vide intérieur.
Il y a ceux qui n'ont rien dans le coeur et qui piétinent les autres sans vergogne, qui frappent les vieux, mutilent les animaux et transforment les enfants en esclaves.
Il y a celui qui voudrait bien être de tout coeur avec les autres mais qui ne sait pas comment faire; il se fait chat avec les chats, velléitaire avec tous les autres: il laisse partir Angel en pensant qu'il ne devrait pas, laisse l'étalon se faire crucifier en trouvant que c'est mal et Clémentine enfermer ses enfants en n'en pensant pas moins. L'amour comme effacement. Jusqu'à choisir la profession de bouc émissaire pour que chacun puisse continuer à être odieux en toute bonne conscience.
Et puis, il y a les coeurs épris. le curé qui aime trop Dieu pour s'intéresser aux hommes. le père dont la fille est si laide qu'il doit bien se dévouer pour la baiser. Et la mère, bien sûr, dont le ventre est vide et qui n'aura de cesse que de rétrécir l'espace pour y faire retourner de force ses « trumaux »
« L'enfer, c'est les autres », disait un philosophe fort admiré de
Vian. Lequel rectifie : l'enfer, c'est l'autre. Il faut donc faire disparaître l'un des deux, soi ou l'autre, parce qu'aimer un autre que soi fait souffrir. (Aussi vaut-il mieux faire l'amour à distance ou au moins en tournant le dos)
Pour être heureux, il faut être trois. Parce qu'alors il n'est plus possible d'absorber ou d'être absorbé. Les triplés Joël, Noël et Citroën ont seuls trouvé la juste distance entre affection et indépendance. Mais si dans une famille le père se défile, alors l'espace se rétrécit et le temps se délite. le roman de
Vian se termine au mois de marillet, quand juillet est reparti vers mars, que le temps ne s'écoule plus sinon à l'envers et que l'immobilisme est devenu la seule alternative à la course vers la mort.