L'emprise, elle ne cesse de faire la une de l'actualité ! Pas un mois ne se passe sans que l'on apprenne un nouveau scandale. Un homme connu, puissant face à des femmes anonymes… J'ai été complétement bluffée par l'écriture de ce roman, dévoré en quelques heures, par la facilité déconcertante avec laquelle
Tanguy Viel décrit les mécanismes de l'emprise.
Car cette emprise est subtile, faite de gestes plus que de paroles, un geste en entrainant un autre, jusqu'à ce que le doigt soit pris dans l'engrenage, et qu'il soit alors trop tard pour faire machine arrière, chaque personne ayant signé un contrat implicite.
« […] à cet instant seulement, dans les quelques secondes où elle hésiterait à s'asseoir, elle a compris qu'elle allait prendre une décision, comme une signature en bas d'un contrat qu'il serait difficile de rompre, et dont elle aurait par avance accepté toutes les clauses, signé tous les avenants qui n'étaient pas encore écrits mais dont elle sentait que chaque mouvement représentait des pages entières noircies d'obligations. » (p.74)
Le gros hic étant que lorsqu'une des deux personnes dispose d'un pouvoir, le contrat par définition ne peut pas être gagnant-gagnant, si l'un y gagne, l'autre a nécessairement beaucoup à perdre.
Ainsi de Quentin le Bars, quarante-huit ans, maire de Tourcoing (ah non, celui-là c'est la ville du vrai maire dont l'auteur s'est inspiré), maire d'une ville de Bretagne, et de Laura, une superbe fille âgée de vingt ans, qui le sollicite pour un logement (oui, oui c'est normal si ça vous rappelle quelque chose).
D'emblée, on sait que l'histoire ne se termine pas bien car elle commence par le dépôt de plainte de Laura auprès de policiers goguenards et incrédules qui n'y comprennent rien. Pourquoi n'a-t-elle pas dit stop, arrêté la machine plus tôt, cela ne semblait pourtant pas bien compliqué, il n'y a pas eu de violence physique ni verbale …
« Je ne comprends pas. Vous pouviez très bien dire non à ce moment-là. Peut-être, elle a dit. Je ne sais pas. Et presque énervée ou bien continuant de réfléchir à voix haute, elle a poursuivi : Vous savez pourquoi la deuxième fois est pire que la première ? Eh bien parce que dans cette fois-là, dans cette deuxième fois, il y a toutes les suivantes. » (p.83)
La grande force de l'auteur est de nous faire comprendre l'emprise, comment Laura s'est pliée au désir et aux pulsions de son maître, parce qu'elle se sentait redevable, et qu'elle n'avait pas bien mesuré ce que signifiait son acceptation lors de la première fois…
J'ai trouvé le texte passionnant, éclairant et révélateur des travers de nos sociétés, quand on sait que ces hommes de pouvoir s'en sortent en général sans dommages, les faits sont prescrits, difficiles à prouver, le bourreau tente de se faire passer pour une victime, la parole des victimes est constamment mise en doute, ces dernières redoutent de ne pas être crues…
Le livre est fait pour être porté à l'écran, si les personnages de Laura et
Le Bars sonnent justes, l'auteur s'amuse avec les autres qui versent dans la caricature : le père de Laura, boxeur défoncé par la vie, le directeur de casino avec son smoking blanc de mafieux, sa soeur Hélène, triste prostituée qui a connu des jours meilleurs…
Un vrai régal de lecture avec une véritable réflexion à la clef sur les mécanismes du pouvoir dans notre société.