Elle est nue comme une limace repue et la nuit la dévore, à l'intérieur.
Mon corps est sec, Laure, parce que je le veux.
Alors Laure enlace ce corps qui brille de toute sa solitude, ce corps rendu stérile par la maladie. Aride.
Leurs regards s'infiltrent comme une mise à nu. Ils se parlent à voix basse, la main devant la bouche, ils détaillent son corps, morceau par morceau, ils cherchent. Elle s'émiette sous leurs yeux, tellement vulnérable, friable comme un os de couscous-poulet en boîte.
Entre anorexiques, on demande d'abord combien - combien de kilos, combien de calories, combien de temps - on ne demande pas pourquoi. Ce sont des choses qui viennent plus tard, avec le sel des larmes. [...]
Les cahiers et les livres sont ouverts sur sa petite table. Elle a l'air d'une petite fille perdue dans un mauvais rêve, ou dans un supermarché.
Laure s'enfonce des bouillottes dans le ventre, le soir surtout, pour endormir la douleur. Le ventre gonfle et gargouille. La sensation de son corps l'empêche de dormir. Il peine, il broie, il rumine. Elle l'entend qui couine, qui se plaint. Elle rêve, elle se souvient.
Elle a l'air d'un trombone démantibulé, d'un cintre de pressing, d'une antenne télé après une tempête.
Il était une fois une petite fille qui lisait toute la journée, perchée dans les arbres. Un jour on l'appelle pour dîner, elle ne veut plus descendre. La nuit tombe, mais elle n'a pas peur. Au loin on entend le tonnerre, au loin des éclairs déchirent un ciel clair. C'est l'histoire d'une petite fille en équilibre sur une branche, qui ne mange plus rien d'autre que des livres.
[...]
Sur sa branche on la laisse disparaître. On pleure en silence, à l'intérieur, [...] on pleure la petite fille qu'elle était, en chair et en sucre, on pleure la petite fille perdue qui n'en finit pas de fondre, accrochée à un arbre, on ne sait pas comment elle trouve encore la force. Un soir, l'orage éclate et remplit ce silence. Les branches plient sous la colère du vent. Une colère gigantesque, comme on en avait jamais vu. Au matin, la petite fille n'est plus là. Sur l'arbre elle a laissé un mot, griffonné sur un bout de papier. Un mot qu'on ne peut pas lire.
Dans le couloir elle a rencontré Corinne. Le même tuyau sort du nez et se balance doucement. Le sourire est timide, la robe de chambre cache à peine la maigreur du corps. Elles se sont regardées, elles n'ont rien dit.
Vous n'avez pas besoin de mourir pour renaître. Elle avait écrit ces mots quand elle était rentrée chez elle. Ces mots ensuite avaient fait leur chemin.
Au point mousse, le tricot avance vite. Les aiguilles occupent les mains et obligent le corps à l'immobilité. À la radio, elle écoute de la musique. Celle qui lui rappelle qu'elle a dix-neuf ans et qu'elle aime danser. Quelle a été autre chose qu'un squelette tout juste bon pour la Foire du Trône. Qu'elle était amoureuse de Pierre. Que sa peau était douce à caresser.
La peur s'évapore. Elle n'est plus tout à fait seule à se battre contre elle-même. La nuit est tombée. Elle attend l'improbable sommeil.