Certains aiment à répéter cette bourde anglo-saxonne : « Le pouvoir corrompt, et le pouvoir absolu corrompt absolument. » Il n’y a aucune raison de penser que le pouvoir corrompe des âmes qui ne sont point basses au départ. On voit même comment il pourrait ennoblir les plus hautes. Mais s’il ne corrompt pas, il tache. Dans le cortège du roi, il n’y a pas que les évêques, les maréchaux et les belles dames ; il y a aussi le bourreau en tablier de cuir et l’indic en manteau couleur muraille, qui se cachent au dernier rang de la photographie de groupe. Sans eux, le roi ne serait apte à gouverner que des elfes.
Certains royalistes ne sont pas monarchistes : bien des Belges et des Anglais ne souhaitent pas que leur prince, qu’ils révèrent, accède à des responsabilités de commandement. Certains monarchistes ne sont pas royalistes : la phalange en a produit, qui suivaient Franco partout, sauf dans sa pitié royale. Certains monarchistes deviennent royalistes à leur corps défendant : il y en a à l’Action française. Certains royalistes se font monarchistes en se forçant : il y en eut dans l’entourage de Louis XVIII.
La royauté est un système à deux pôles, mais le roi n’est pas l’un deux. A la différence des autres régimes où ce sont le peuple et l’Etat qui se font face, dans la royauté les deux pôles sont l’homme et Dieu, auxquels le roi sert, pour reprendre la terminologie de Simone Weil, de moyenne proportionnelle – pour ce qui regarde la vie politique s’entend.
Car les poètes ne s’y sont pas trompés, et les grandes tragédies européennes ont presque toutes pour base le meurtre d’un roi : Hamlet, Œdipe, Macbeth, Antigone, l’Orestie… Ils ont senti, les poètes, qu’il y a dans le régicide un élément luciférien qui provoque les pestes, pourrit le Danemark, met en marche les forêts, fait lever les spectres, bref déchaîne les forces monstrueuses du chaos originel que l’ordre royal s’efforce de domestiquer.
Pourtant, malgré le handicap de leur sexe, Anne de Russie, Aliénor d’Aquitaine, Blanche de Castille, Marguerite de Bourgogne, Anne de Bretagne, Catherine de Médicis, Anne d’Autriche ont tenu un rôle politique que n’a jamais joué aucune femme d’élu. C’est qu’en effet la reine n’est pas que la femme du roi ; elle appartient de son propre chef à la trinité royale ; si le roi est Osiris et l’héritier Horus, elle est Isis.
À l'occasion de la parution du premier tome des "Aventuriers de l'étrange", Bertrand Puard revient pour Hachette.fr sur cette toute nouvelle création de la Bibliothèque Verte. Une série notamment inspirée par les livres de cette mythique collection, d'Agathe Christie à Alfred Hitchcock en passant par Vladimir Volkoff, et dont le doublement primé à Cognac fut lui-même lecteur.