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Volodine est un auteur du siècle passé, écrivant pour les siècles à venir.
On se méprend souvent sur son compte ; on le croirait ici ou là, alors qu'il est de l'autre côté.
Il ne ricane pas pour autant ; il continue son oeuvre, post-exotique, concentré de folklore et de débris, de statues oubliées et d'insectes habités, racontant la beauté dans la laideur chez le genre humain.
Il est commissaire des paradoxes oxymoriques.
Son écriture respire la simplicité, acquise à la suite de très longues séances d'isolation, dans la plus complète obscurité sensorielle.
Dans chacun de ses livres, il réussi à renouveler un genre personnel qui pourrait s'affadir plus rapidement qu'il n'est possible de l'oublier.

Ici, point de narrats, romånce, ou entrevoutes, mais bien d'un roman, d'une taille appréciable, à la structure bien charpentée, suivant un processus narratif auto-destructeur, non-fiable mais assurément vrai, d'une tessiture de rêve qui ne se déclarerait plus comme cauchemar.
Il faut bien tout cela pour nous entretenir de génocides et de viols.
Quand la vengeance revêt une importance plus grande que l'acte dont elle se nourri. Processus millénaire à en devenir naturel.
Le langage comme mémoire servant à raconter, soigner et se souvenir, mais peut-être pas à guérir.
La beauté de ces lignes restant une forme d'essai à s'en approcher, une sombre scansion sans dieux pour l'entendre, recouvertes sous les ruines permanentes de la Révolution Mondiale.

Un roman, où Volodine se plonge plus que d'usuel dans de profondes mises en abîme, brodées de lentins tigrés et de chiffres magiques, éclipsant le chamane de son écriture, s'achevant à l'envie d'un trivial : « Volomar m'a tuer ».

Assurant lui-même la quatrième, Volodine confirme tout ce que nous ignorions, diluant les genres, ethnies et histoires dans un sombre chaudron nommé humanité.
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Qu'il est bon de retrouver les terres volodiniennes, les fulgurances volodinesques, l'univers unique du Volodine's land ! C'est un voyage à nul autre pareil, une expérience littéraire ahurissante, envoutante et hypnotisante.

Et pourtant…Pourtant nous plongeons dans un monde noir, totalement noir, d'une noirceur si absolue qu'il en devient lyrique. D'une telle monstruosité qu'il en devient poétique. La cité dans laquelle nous convie Antoine Volodine est obscure, putride, poussiéreuse, quelques survivants dont les cafards et les gueux se partagent quelques vieux blocs de béton fissurés et de ginguois. Dans une chaleur épouvantable, l'air est saturé d'odeurs nauséabondes, ail frit, entrailles de poisson, chien mouillé, câbles surchauffés, gaz, ferraille rouillée, humidité crasseuse, « il sentait les taudis où survivent gueux et Untermenschen, il sentait la pisse de rat, la décomposition, la vieillesse infâme de presque toute chose ». Les débris et les déchets jonchent chaque centimètre carré de sorte que se succèdent sous la pulpe des doigts seulement nids de poussières humides, aspérités friables, pointes. Aucune surface propre, aucune surface lisse. Aucune douceur, pas de répit. Les cafards se chevauchent les uns sur les autres, l'eau goutte de toutes les habitations, les bruits sont grinçants et métalliques. Dense, inextricable, insalubre, tel est le décor de « Dondog ». Bienvenue en terres volodiniennes vous dis-je ! Bienvenue dans cette chambre numéro 4A d'un immeuble de la Cité :

« Trop d'années s'étaient égrenées sans que quiconque entrât pour nettoyer ou aérer. C'est pourquoi des champignons noirs avaient proliféré dans la chaleur humide de l'été et dans le froid humide de la saison froide, et une couche duveteuse avait pris possession de toutes les surfaces. Les meubles sombraient sous leur lèpre, le sofa paraissait transformé en piège gluant, le linoléum du sol avait été comme aspergé d'une colle brunâtre. Au plafond et sur les murs s'épanouissaient d'immense tâches velues, à dominante charbonneuse mais avec des nuances : aile de corbeau, aile de chauve-souris, ou bistre, anthracite, poussière d'anthracite. L'oxygène avait disparu. Une intense puanteur de moisi l'avait remplacé (…) Il nagea à travers la semi-pénombre suffocante, avec l'intention d'ouvrir ou de fracasser la porte-fenêtre du balcon. Un rideau pendait devant la vitre. Il s'en empara. L'étoffe aussitôt se déchira, libérant environ sept cent soixante-deux papillons miniatures, d'un gris terne qui n'incitait pas à l'indulgence envers les lépidoptères. Les bestioles se mirent à voleter massivement en tous sens. Elles tournoyaient dans un total silence. Des mites, commenta Marconi ».

Qu'il est bon curieusement de sonder ce puits sans fond, de s'y laisser tomber. Et pourtant…Pourtant nous avançons hébétés dans une contrée située « entre la steppe mongole, la taïga sibérienne et le béton soviétique », dans laquelle la mafia règne en maître, les ethnies se mélangent, les frontières entre rêve et réalité sont poreuses, les stigmates de combats béent sans aucune pudeur. Elle a la tessiture granuleuse, ou plutôt grumeleuse, du cauchemar cette sorte de post-post-post apocalyptique dans laquelle l'humanité est à bout de souffle, donc dans un futur très lointain on peut le penser de prime abord, mais en réalité une tragédie d'hier et d'aujourd'hui. Atemporelle et sans géographie précise. La tragédie des minorités, celle des camps d'extermination, celle des femmes et des hommes réduits à l'état de blatte. La tragédie des révolutions vaines, celle des massacrés. La tragédie des peuples en guerre. Une humanité à bout de souffle de demain et d'aujourd'hui, fantasmée ou vécue. Tels sont les livres d'Antoine Volodine qui, ne désirant pas être rattaché à la SF et à toutes ses nuances associées (dont le fameux post-apocalyptique justement), a proposé le terme de post-exotisme. Je ne crois pas avoir lu un jour un écrit qui s'en rapproche. Et des deux seuls livres que j'ai lu de lui, ma première rencontre avec l'auteur ayant eu lieu avec « Des anges mineurs », je retrouve la même ambiance, les mêmes références, les mêmes obsessions. Je le pressens, entre les livres d'Antoine Volodine, des liens sont tissés, et sa bibliographie forme très probablement une toile d'une incroyable inventivité, sans doute partagent-ils des personnages communs comme j'ai cru le comprendre dans certaines critiques, notamment celles de Suz (Bobby-the-Rasta-Lama) et Paul (Bobfutur) pour ne pas les nommer, voire des réponses croisées à des questions laissées en suspens.

Dondog. Dondog Balbaïan. Les personnages d'Antoine Volodine ont toujours des noms incroyables à l'exotisme slave souvent, latino par moment. Après avoir passé trente années dans un camp d'extermination des Ybürs, Dondog Balbaïan sent qu'il n'en a plus pour très longtemps et désire, avant de mourir, tuer les responsables de son malheur et du malheur des siens. Souffrant d'amnésie, il ne se souvient que vaguement de son passé, et trois noms de bourreaux hantent son esprit : Gulmuz Korsakov, Tonny Bronx et sans doute, mais il n'en est pas certain, Éliane Hotchkiss. Les personnages s'entrecroisent, les identités se multiplient, les anecdotes inoubliables éclosent, les allers retours entre présent et passé expliquant les raisons de la vengeance ponctuent le récit. Cependant, nous comprenons peu à peu que, avec sa mémoire déclinante, il ne sait plus trop quoi leur reprocher à ces bonshommes-là, alors pour donner un sens à sa vengeance, il s'invente une biographie tragique. Les anecdotes inoubliables sont les fruits de son imagination, de ce passé réinventé lui donnant des raisons de haïr. Mais Dondog n'est pas mû par une énergie vive, son combat est juste pour la forme, l'humanité étant quasiment réduite à l'état d'insecte, à moins que ce ne soit les insectes qui peu à peu se rabaissent au même niveau que nous…

« Un cafard partiellement écrasé se débattait alors sous un talon de Dondog, le droit il me semble. Il se débattait pour la forme. Nul ne l'avait remarqué et, au fond, il était comme nous, il commençait à se désintéresser de son avenir ».

La traque est-elle utile lorsque les bourreaux sont déjà morts ? N'est-elle pas symbolique, conceptuelle, et cette traque n'est-elle pas celle qui a lieu à l'intérieur de nos têtes, là où se nichent véritablement ceux que nous poursuivons ? Qu'est-ce que la vengeance, si ce n'est un reste désespéré d'humanité, lorsque nous réalisons que la personne détestée sera un jour moins qu'une pourriture, a-t-elle un sens ? Sur ce dernier point, le chapitre intitulé « la maitresse » est, selon moi, un morceau d'anthologie, un passage d'une beauté gothique que je ne suis pas prête d'oublier, où comment relativiser lorsque l'injustice nous pousse au désespoir.

« Maintenant la maîtresse de Dondog repose sous une pierre tombale, maintenant elle gît, maintenant la maîtresse repose et se décompose, on pourrait imaginer sa sépulture par exemple dans un petit cimetière de campagne, à la lisière d'une forêt de sapins, près des champs en friche et près d'une grange délabrée, les os de la maîtresse bientôt auront perdu toute la viscosité de la vie, son corps de maîtresse deviendra humus puis descendra plus bas encore dans l'échelle de la non-vie et perdra la viscosité, l'élasticité, le droit à la fermentation ralentie ou grouillante de la vie, maintenant la maîtresse de Dondog va cesser de fermenter et elle va entamer sa descente et devenir un ensemble filamenteux et friable que nul ne pourra nommer ni écouter ni voir. Voilà à quoi bientôt elle sera réduite, dit Dondog. Tout son être se sera décharné jusqu'à la poussière et se sera effacé. Tout aura rejoint les magmas non vivants de la terre. Et quand je dis tout, je pense en priorité aux mains qui, dans les marges des cahiers de Dondog, si souvent inscrivaient des annotations malveillantes, et aux yeux qui ont relu le texte de la dénonciation accusant injustement Dondog, ou encore à la langue de la maîtresse qui a léché le bord de l'enveloppe pour la cacheter ; tout cela se dispersera au milieu de la terre non vivante ».

Dondog alors si éloigné des chamanes, comme Gabriella Bruna, son ancêtre, pour qui la mort n'est qu'un passage, l'existence se poursuivant après le décès. Lui réinvente le passé tandis qu'elle voyait le futur. La vision crépusculaire offerte dans le livre est-elle la réalité ou juste la vision d'un Dondog à l'agonie, aux gestes ralentis, à l'intelligence décroissante, à la mémoire confuse ? Provient-elle uniquement de son imagination et de la biographie réinventée ? C'est à mon sens un cauchemar s'appuyant sur le chant des opprimés, lorsque l'homme n'est plus qu'un loup pour l'homme. Lorsque l'humanité est réduite à une poignée de survivants. Lorsqu'il ne reste que les ruines de la Révolution mondiale.

Une mise en scène, une narration mélancolique ce récit dans lequel Volodine lui-même se met en scène dans une mise en abîme vertigineuse, par la voix de Dondog lui-même, pour nous parler du post-exostisme comme autant de petits cailloux offerts aux lecteurs, petits Poucets en quête de sens, de liens, de communion. Et nous en redemandons, fous que nous sommes à aimer nous engluer en ces terres poisseuses, à tenter de décoller ces cailloux aux arrêtes coupantes, signes éphémères de compréhension de ce récit halluciné.

Mille et une interrogations, mille et une mises en abîme, milles et une belles étrangetés, comme autant de fleurs noires lancées au vent, des fleurs de bunker, des coquelicots sanglants sortis sauvagement des fissures du béton. Une poésie du désespoir. Cette poésie finalement unique et seule preuve d'humanité. Je n'ai certainement pas tout compris, il me reste tant à lire de cet auteur, à créer mes liens, à définir mieux le post-exotisme, mais j'ai compris une chose au moins : j'aime passionnément les écrits d'Antoine Volodine.

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"Surprise ! You're dead !
Guess what ?
It never ends
Never ever ends."
(Faith no More)

Tout a commencé comme une sorte de blague. Quand on a demandé à Antoine Volodine dans quelle catégorie il faut ranger ses écrits, il a tiré un peu négligemment de sa manche le terme "post-exotisme", pour éviter la confusion avec la SF, le post-apo, les dystopies ou les anti-utopies.
Mais au fur et à mesure que le corpus post-exotique grandit, s'étoffe avec de nouvelles plumes tenues par la même main, et se dirige fatalement vers sa fin (l'ultime 49ème ouvrage, correspondant au 49 jours d'errance entre la vie et la mort, selon le "Bardo Thödol" tibétain), ce qui était au départ une boutade destinée aux journalistes est devenu un terme sérieux.
Un novice sera probablement déstabilisé en ouvrant son premier roman post-exotique, mais en devenant un habitué, il trouvera toujours ce qu'il est venu chercher :

Un monde qui ne ressemble à aucun autre, à la fois déprimant et lyrique, qui possède sa propre géographie glissante, quelque part entre la steppe mongole, la taïga sibérienne et le béton soviétique. L'atmosphère qui évoque "ici et n'importe où ; hier, demain, et tout le temps".
Les personnages-voix aux noms improbables et aux nationalités indéfinissables, qui se promènent à leur guise d'un récit à l'autre, un peu comme chez Marquez ou chez Balzac... l'ensemble volodinesque est aussi, en quelque sorte, une "comédie humaine", teintée d'étrange "réalisme magique".
Le style unique de Volodine, qui, selon ses propres mots, "écrit en français une littérature étrangère", et qui le fait fort bien.
Ses néologismes. Son humour noir.
Il y a largement de quoi séduire, et sans grande surprise, "Dondog" a comblé toutes mes attentes.

Quand on sort d'un camp de travail et on n'en a plus pour longtemps, on a bien envie de "régler des comptes avec deux ou trois personnes". Celles qu'on a connu autrefois...
La confession de Dondog Balbaïan nous met directement au coeur de l'intrigue orchestrée par Volodine. C'est un roman qui parle de chemin-même vers la mort.
Pour le miséreux protagoniste il s'agit de la recherche de son passé, et de ceux qui l'ont autrefois rabaissé ; ceux qui l'ont transformé en "chien", ce qui signifie, dans le langage des camps, littéralement "rebut" ou "moins que rien". Don Dog : le chien suprême. (Le nom se prête tout seul aux interprétations, mais, gamine, je possédais un livre d'aventures écrit pas un auteur mongol Dondogin Cevegmid qui mentionne aussi les chamans si chers à Volodine... hm, sans doute rien à voir, mais cela prouve que le champ des connotations liées au Volodinestan peut être très large.)
Dondog a survécu à la purge ethnique visant l'extermination des Ybürs, mais il a été déporté et il a passé trente ans au camp de travaux forcés. Libéré au début du roman, il découvre lentement comment le monde a changé après toutes ces années. Il arrive dans une triste ville pleine d'immeubles miteux qui tiennent à peine debout ; l'endroit qui a survécu aux pogroms et aux répressions, et qui s'est transformé en bizarre chaos architectonique. Dans un dangereux dédale de couloirs obscurs les murs humides s'écaillent, le sol grouille de vermine, partout règne une puanteur indescriptible.
Et Dondog rêve de vengeance.
Dans sa tête s'immiscent des noms comme Tonny Bronx, Eliane Hotchkiss, Gulmuz Korsakov... mais il ne sait par vraiment pourquoi ce sont précisément eux qui doivent payer. le régime a parfaitement gommé la mémoire de Dondog, et il est maintenant obligé de solliciter à grand peine ses souvenirs, afin de se trouver une bonne raison pour régler ces vieilles dettes. C'est la seule façon de retrouver sa liberté, sa seule façon de mourir en paix.

En réalité (tout comme Kronauer dans "Terminus Radieux"), il n'est même pas clair si Dondog est encore vivant, ou s'il est déjà mort. Au début, je ne me posais jamais la question, mais plus on pénètre dans l'univers post-exotique, et plus la présence du "Bardo Thödol" (signifiant littéralement "la libération par l'écoute dans les états intermédiaires" ; merci, Wikipédia* !) se fait sentir. Comme si tout cela se passait derrière une vitre sale qui déforme la vision du monde qui se trouve derrière, malgré quelques éléments rassurants : l'électricité y fonctionne encore (parfois) et on paye en dollars.
Je me méfie un peu du terme "postmoderne" mis à toutes les sauces, mais ici il prend vraiment tout son sens. Dondog se souvient de son enfance, de sa formidable grand-mère, mais aussi de l'époque où il écrivait des romans et des pièces post-exotiques. Dans son monologue, il passe facilement de "je" à "il", et l'un de ses noms d'autrefois - Schlumm - nous dirige vers un autre roman de Volodine... roman qui s'intitule comme par hasard "Bardo or not Bardo"... de ce fait, je me dis que toute tentative de trancher définitivement sur le sujet des (non)existences volodinesques n'est que pure vanité.
Comme tous les autres personnages, Dondog affronte ses terreurs par l'invention de son propre passé. Les seules armes qui lui restent sont l'ironie, et l'obsession des jeux avec les mots. L'incompréhensible ville est à l'image de ces terreurs : la mafia règne, les ethnies et les langues se mélangent, les frontières entre le réel et l'irréel s'effacent.

La forme de "Dondog" est astucieuse, mais elle est moins expérimentale que certains autres écrits de Volodine. L'histoire se déroule de façon classique, et elle est facile à suivre ; j'avoue que parfois c'est un soulagement, même si j'étais tout aussi séduite par les fragmentaires "Moines-Soldats".
L'ensemble est totalement envoûtant comme d'habitude, et en y ajoutant la taille honnête (l'auteur dépasse exceptionnellement 350 pages !), il mérite amplement ses 5 étoiles, 5 marteaux, et 5 faucilles.

*P.S. Pour revenir une dernière fois vers le "Livre des morts tibétain" (je cite) : "la récitation du principal chapitre par un LAMA lors de l'agonie ou après la mort est censée aider à la libération du cycle des réincarnations, ou du moins à obtenir une meilleure réincarnation".
J'espère donc que ma critique a atteint son but... repose en paix, Dondog Balbaïan ! Je t'aimais bien, et j'espère te retrouver bientôt dans une meilleure réincarnation.
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Treizième livre publié extrait de la bibliothèque du post-exotisme par Antoine Volodine, «Dondog» fut publié en 2003 aux éditions du Seuil, dans la collection Fiction & Cie.

Au sortir de trente ans d'enfermement dans les camps, après avoir survécu aux exterminations des Ybürs, Dondog Balbaïan sent bien qu'il va vers la fin et qu'il ne lui reste que très peu de temps avant de disparaître. Il voudrait se venger des responsables du malheur avant son extinction, mais de qui et pourquoi ? La mémoire de Dondog est défaillante, et, dans les ténèbres de son amnésie, au bout de sa vie d'Untermensch, trois noms de bourreaux le hantent, Gulmuz Korsakov, Tony Bronx et sans doute Éliane Hotchkiss.
À partir de ces noms, des lambeaux de sa mémoire, de souvenirs cauchemardesques, Dondog dit, ou parfois murmure ou grommelle des récits, et suggère l'utopie défaite, la barbarie et la mort de l'espoir.

«La silhouette d'Eliane Hotchkiss trois secondes flotta derrière ou devant ses yeux, sans chair ni étoffe, sans apparence précise. le nom était là, lié à son désir impérieux de vengeance avant la mort, mais, en dehors du nom, l'image était illisible. C'était comme s'il avait mentionné une image secondaire d'un rêve de son enfance, ou comme s'il avait évoqué une maîtresse furtive du temps des camps, lorsque la nuit on l'enfermait au pavillon des grands blessés et des fous, ou encore comme si elle avait appartenu aux courtes années de clandestinité totale, quand jour après jour se perdait la guerre pour l'égalitarisme et le châtiment des progromistes, des mafieux et des milliardaires. le flou entourait Eliane Hotchkiss. Comme Tony Bronx ou Gulmuz Korsakov, elle se cachait au fond d'un des abîmes décevants de sa mémoire, dont une grande quantité était à jamais clos et inexplorables. Mais elle était moins distincte que les deux autres.»

Dondog cherche ses bourreaux dans une cité obscure, où ne survivent plus que les insectes et quelques autres gueux ; sa mémoire et sa volonté vacillent et les personnages et les événements eux-mêmes semblent frappés d'amnésie et d'incertitude, tandis que les récits, où les personnages s'entrecroisent et changent d'identité, semblent démultiplier la parole de Dondog.

«Nuits, passé, hallucinations secrètes, expérience vécue, constructions enfantines, réalité et réalités parallèles se confondaient. Dans quelle sphère de la mémoire, par exemple, devait-il ranger les fermes à l'abandon, les hauts plateaux et les steppes qui l'obsédaient ?... Et ces temples enfumés, ces villes portuaires que la guerre civile ensanglantait ? D'où venaient ces individus qui s'adressaient à lui comme s'ils étaient de proches parents ?... Quand avait-il erré dans ces immenses labyrinthes urbains aux issues toujours closes avec des barbelés ? Et ces maisons de feutre, ces yourtes mongoles où sa famille se comportait d'une manière incompréhensible, y avait-il dormi ou non, et quand ?»

Noir et bouleversant.

«Les êtres aimés disparaissent, la révolution mondiale s'éparpille en poussière comme une bouse sèche, dans l'espace noir on ne rencontre plus les personnes qu'on aime, les golems s'effondrent les uns après les autres, le sens de l'histoire s'inverse, les passions dérivent vers le rien, la signification des mots s'évanouit, les ennemis du peuple et les mafias triomphent à jamais, les rêves trahissent la réalité, mais la vengeance subsiste, un chicot irréductible de vengeance qui n'a plus aucune justification, qui se limite à un geste de violence sur une cible très douteuse. Et ceci encore, le plus révoltant : on n'échappe pas à son schwitt.»
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Dondog Balbaïan n'en a plus pour longtemps. Sa mémoire s'efface et c'est sans perdre de temps qu'il doit régler quelques affaires importantes. D'un immeuble-ville glauque et humide à une improbable colonie pénitentière, il erre à la recherche de lui-même, revivant son existence par bribes. Ce roman ancré dans la tradition du réalisme magique est tout à fait déconcertant, les époques et les lieux s'y croisent de manière inattendue, à tel point qu'on croit suivre le héros dans sa perte de répères. le vrai, le faux, l'ancien, le nouveau s'entremêlent dans un récit fantastique qui touche à ce qui fait l'humanité. Je ne suis pas sortis indemne de cette rencontre avec le Ouïgour Balbaïan.
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Dondog, c'est le nom de la blatte humaine Ybür, survivant dans les camps où il attend le jour de sa vengeance.
Dondog c'est le nom du livre de Volodine qui traite de la 1ère et 2nde extermination des Ybürs à travers la mémoire fabulatrice de divers narrateurs s'échangeant les vues sur les événements (perspective « chamanique »).
Dondog est un livre puissant qui parcourt les territoires du post-exotisme si étranges par leurs images, si proches par les échos qu'il fait résonner dans la mémoire collective.

Car ce livre travaille cette matrice de proximité et de décalage sur le sujet (l'objet ? le débris ?) de l'extermination ethnique.
Bien sûr, on n'est nulle part. Bien sûr tout lien avec des personnes ou des événements connus sont fortuits… Mais en même temps : les camps, la purification ethnique, les exécutions sommaires, le glissement onomastique possible des Ybürs aux Ouïghours, on reconnait avec horreur cette fange historique s'étendant sur tous les continents. Et cette hésitation créé un malaise bien plus puissant que si le référent était précisé. Ce ne sont pas les chinois, les khmers, radio Mille Collines, les nazis, les pogroms, les exactions soldatesques de telle ou telle guerre, c'est un peu de tout cela, de toutes ces catastrophes, de toutes ces situations passées, présentes, et peut-être à venir.

C'est pourquoi à mon sens, en cela Volodine réussit par la fiction à mettre en question une triple question historique (qu'on lui a souvent adressée) : peut-on parler de ce dont on a pas été le témoin ; que peut l'histoire ou la littérature pour éviter le pire de se reproduire ; peut-on écrire après Auschwitz.

Dondog est un livre qui répond à ces questions avec toutes les réponses brutales que cela suppose. Avec aussi ses vertiges et son courage.

« Schlumm et moi, nous sommes restés très unis, très indissociables depuis cette nuit-là [seconde extermination Ybürs], depuis la nuit des péniches qui n'est pas terminée encore, qui n'est pas terminée encore, qui ne sera jamais terminée, depuis cette nuit que, certes, même des Ybürs parviendront à éclaircir grâce à l'oubli, mais que nul ne saura clore véritablement, car, quoi qu'il arrive, de nombreux Schlumm de tout âge et de tout acabit y ont élu, comme moi, domicile, sachant qu'il fallait y rester pour que nul ne la pût clore. »

Lien : http://lucienraphmaj.wordpre..
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« Nous sommes de la même étoffe que les songes, et notre vie infime est cernée de sommeil... » disait Shakespeare .Les univers de Volodine sont de celle des cauchemars : personnages zombies à l'identité incertaine ou mouvante , temps ralenti où les gestes s'étirent à l'extrême , cadre fantomatique d'un Goulag étiré à l'échelle du monde .Et de cette lente horreur saturée de sensations ignobles nait pourtant une poésie étrange , comme sourd le chant d'une source au milieu d'un bombardement.
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Du noir. de la brume. du flou. du sang. Des boucles. La Mort. de la sueur. Des pourritures. Des bestioles. de la souffrance. du sang. Des boucles. La Mort. Des relations. Des souvenirs. Des massacres. Des révolutions. du sang. Des boucles. La Mort. de la fuite. de l'errance. de la résignation. Des dédales. du sang. Des boucles. La Mort. de la solitude. de la spiritualité. de la Vie. du sang. Des boucles. La Mort. Et caetera.
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Un univers a decouvrir, une ecriture presque organique.
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