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Parmi les écrits d'Antoine Volodine & Cie, les grands romans parus au Seuil sont à distinguer.
S'il était encore nécessaire de parler en terme de construction, ils en seraient les poutres : narrations au long cours, véritables trames romanesques, structures narrées de manière sérieuse.
De solides histoires, se déroulant dans des mondes qui le sont beaucoup moins, où narrateurs, personnages et spectateurs tentent de se raccrocher à des lambeaux de vie normale au milieu d'environnements en décomposition.

Ces Songes sont bien une manière élégante et vaguement désespérée de nous conter la difficile expérience d'une traversée du Bardo, équivalent tibétain de notre purgatoire, 49 chapitres dans cet univers noir.

La réussite de ce roman tient dans sa progression physique et géo-mentale ininterrompue, étageant ses différentes strates de réalités sans nécessité d'en consulter la carte, les quelques recours à la magie semblant plus vrais que nature.

Des oiseaux-mutants en sont les gardiens, ou peut-être simplement les prisonniers.
Le folklore post-historique y reste discret, nous situant dans une capitale orientale de l'Eurasie, si un tel lieu pouvait exister.

Rien n'y est facile, et pourtant, tout s'y passe naturellement.
La noirceur absolue qui y règne ne nous fait jamais perdre de vue la malice de son créateur ; on se prend même à sourire, à rêver et à rire, alors que toute couleur a disparu.

Un essentiel morceau d'histoire post-exotique, pas le premier ni le dernier, pour continuer son chemin…
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M'y revoilà donc, dans l'univers post-exotique de Volodine & co, pour une nouvelle expédition, dans les Songes de Mevlido, dans un réel de la puanteur, dans un monde où, comme vous le savez, la barbarie l'a emporté, mais où résonnent encore bien des slogans:
« Égare-toi, reprend à zéro tes vieux rêves! »
On s'y égare donc, dans les Songes et mensonges de Mevlido, portés par la puissance des obsessions post-exotiques, la force des images, l'atmosphère si particulière, dense et fascinante. Il y a la lune qui bloque la voie, se vautrant sur les rails, et l'impuissance face à ses démonstrations d'arrogance. Il y a un chant coréen, une mélopée d'après la défaite, qui cherche à rendre leur fierté aux vaincus. Mais qui bien sûr n'empêche pas le néant de se rapprocher à grande vitesse.
Ce n'est pas un monde rigolo que nous dresse Volodine, on y naufrage, on y sombre fou. Mevlido a beau s'exhorter à inspirer profondément l'idiotie et l'aveuglement, il n'arrive pas à apprécier la somnolence qu'ont apportée les vainqueurs.
Il n'arrive pas non plus, mais alors pas du tout, à remplir sa mission. L'échec prend une ampleur encore plus impressionnante ici que dans d'autres récits post-exotiques. Une dimension quasi-mythique, je dirais, avec ces Organes qui nous surplombent. Les hominidés sont devenus pour eux une source d'inquiétude :
«ils sont descendus à un niveau de barbarie et d'idiotie qui étonne même les spécialistes. C'est devenu une espèce inexplicable. Ils sortent de plusieurs guerres d'extermination, mais déjà un nouveau conflit est en vue… Des continents entiers sont à présent inhabitables… Les classes dirigeantes se sont gangstérisées, les pauvres obéissent. Les uns et les autres se comportent comme s'ils étaient déjà morts et comme si, en plus de ça, ils s'en fichaient.»
Manifestement, l'Humanité est entrée en phase d'extinction. Les Organes décident alors de réactiver leur ancien programme de compassion, et ils envoient Mevlido en immersion dans la barbarie humaine «afin de discerner quelques pistes pour le futur». Bon, je vais me contredire, mais en fait, si, il y a quand même dans ces ersatz de dieux, dans cette Bureaucratie olympienne décidant du destin de l'Humanité, où certains vont soutenir notre héros quand les autres auront décidé de l'abandonner, un truc que j'ai trouvé assez rigolo. Bien vu aussi, la mise en scène de l'écrivain «influencé par le post-exotisme», Mingrelian, «consterné par l'inexorable ratage de tout».

Malheureusement, dans la dernière partie, trop répétitive à mon goût, la fascination que provoque souvent chez moi le post-exotisme s'est ratatinée - mais c'est peut-être que l'atmosphère se faisant un peu lourde aussi du côté du monde réel, j'avais besoin de plus de légèreté dans celui des Songes?
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Antoine Volodine, dans une approche expérimentale de l'écriture, a créé le post-exotisme, un courant littéraire qui entrelace l'histoire et la réalité politique du vingtième siècle à un univers imaginaire, onirique.
Dès les premières lignes, j'ai senti que j'entrais dans un monde singulier et chaotique où le rêve et la réalité s'entremêlent ; où la frontière entre la conscience et l'inconscient devient floue ; où la ligne entre la raison et la folie est presque invisible ; où l'imaginaire et le réel se confondent ; où le passé, le présent et le futur se superposent, s'imbriquent et se fondent.
Le jour ressemble à un rêve éveillé, étrange et mystérieux. Les nuits emplies de cauchemars s'apparentent à une réalité non travestie.

« … impossible de dire dans quel endroit de la réalité nous nous étions fourrés, dans un cauchemar ou simplement dans le banal horrible couloir de la vie qu'il faut parcourir de bout en bout si on veut atteindre la mort. »

*
Antoine Volodine nous plonge dans un monde sombre, réel et irréel à la fois, peuplé de volatiles mutants, d'êtres hybrides, d'enfants-soldats, de chamane coréenne, de révolutionnaires et de vieille femme bolchevique.
Quelques êtres humains ont trouvé refuge dans une ville, Oulang-Oulane, saccagée par des années de guerre intense. Tout est à reconstruire, mais pour l'instant, les immeubles bombardés, grêlés d'éclats d'obus et de balles sont inhabitables et servent de refuge aux enfants-soldats.
De cette guerre, le lecteur en sait peu, à part qu'elle a été totale, dévastatrice, ne laissant que peu d'espoirs à une humanité en survie.

« Ceux qui ont survécu restent organisés socialement, mais ils ne croient plus ni à eux-mêmes ni à la société. Ils ont hérité de systèmes politiques dont ils ont perdu les clés, pour eux l'idéologie est une prière vide de sens. Les classes dirigeantes se sont gangstérisées, les pauvres obéissent. Les uns et les autres se comportent comme s'ils s'estimaient déjà morts et comme si, en plus de ça, ils s'en fichaient. »

Mevlido est policier chargé d'espionner les révolutionnaires dans un des ghettos de la ville du nom de Poulailler Quatre. Il vit, ou survit, avec sa nouvelle compagne, Maleeya. Il n'y a pas d'amour entre eux, ils ne peuvent pas s'aimer dans ce monde qui les a détruits, abîmés. Ce sont deux êtres égarés, perdus, sûrement fous : alors que le policier est hanté par la mort violente de sa femme Verena Becker, Maleeya confond Mevlido avec son époux Yasar, tué dans un attentat contre un autobus.

Dans un contexte aussi monstrueux, où la solitude, la duplicité et la lassitude du quotidien, la violence des souvenirs, l'agonie et la mort, la peur et la honte, les songes sont autant de prisons qui s'emboîtent, Mevlido est à la dérive, au bord d'un précipice que j'ai senti de plus en plus proche au fil de la lecture : il erre comme un fantôme, un somnambule et se débat entre une réalité trop difficile à vivre et des nuits érotiques, cauchemardesques.
Et dans ses songes nimbés de désirs sexuels et d'obsessions qu'éclaire une Lune pleine et aveuglante, une femelle corbeau s'invite.

« C'était une nuit comme toutes les nuits. Mevlido et Maleeya se cognaient à des semi-cadavres, ils avaient les mollets attaqués par des volatiles, ils progressaient en tâtonnant. Quand ils émergeaient à la lumière de la lune, ils plissaient les yeux, éblouis.
Ils transpiraient à chaudes gouttes.
Ils avalaient des débris de plumes.
Ils étouffaient. »

J'ai aimé vivre ces quelques jours dans cette réalité incertaine, un monde où se confond rêves, fantasmes, cauchemars, mensonges, folie et réalité. L'originalité de ce livre réside également dans sa capacité à mélanger les frontières temporelles. le temps semble disloqué : la journée, la nuit, les jours et les années s'amalgament.

L'écriture sensorielle d'Antoine Volodine entretient cette confusion : ce roman sent la pauvreté et la crasse, les excréments et le sang, les cadavres en décomposition, la chaleur tropicale humide et collante, les fientes d'oiseaux. A ces odeurs abjectes qui prennent à la gorge, se mêlent des relents de désespoir, de détresse, de claustration, d'aliénation.

« L'air du quartier aussitôt l'enveloppa et il ferma les yeux pour mieux combattre la nausée qui le saisissait souvent à cet instant, quand il quittait l'espace relativement clos du tramway pour pénétrer dans l'univers de Poulailler Quatre. La brise nocturne charriait des remugles de guano, des relents de basse-cour et d'excrétions animales et humaines de toutes sortes. C'était une odeur abjecte de ghetto, filamenteuse et humide, noire, malsaine, une odeur de désespoir pré-insurrectionnel et de fosse commune.
L'odeur de notre avenir et de notre passé.
L'odeur du monde réel depuis toujours.
Puis il rouvrit les yeux. »

*
Je n'ai pas vu de lumières dans ce roman obsédant, envoûtant, captivant. L'ambiance est brumeuse, poisseuse, grisâtre de poussière et surtout horrifiante. Aux images ternes et monochromes d'un paysage ravagé portant les stigmates de la guerre, se mêlent la puanteur, les rumeurs de la ville, les tambours chamanes et le chant sacré des morts.

Mais dans toute cette noirceur, j'ai trouvé que l'écriture d'Antoine Volodine illuminait ce huis-clos intérieur d'une atmosphère onirique, nocturne et fiévreuse.

*
L'auteur évoque un paysage post-apocalyptique face à l'échec des révolutions, un monde défait, brisé, décoloré, atone et sinistre, où des enfants torturent et tuent, où les hommes perdent contact avec la réalité et sont la proie d'hallucinations, où les araignées se multiplient et ont des visées expansionnistes, où les fourmis volantes s'agrippent aux cheveux, où les rats pullulent.

« Sur le mur, au-dessus du garde-manger, les araignées s'agitaient, provoquant dans leurs toiles ces vastes vibrations qu'elles préfèrent réserver aux heures les plus profondes de la nuit et qui, selon quelques spécialistes contestés, correspondent à une sorte de langage. »

Le décor de guerre, sombre, sinistre, apocalyptique, maculé d'une grenaille noire comme de la suie pourrait rappeler un pays d'Asie, où beaucoup d'enfants sont recrutés par l'armée, où l'ambiance est poissante, humide, envahi par des bestioles répugnantes et agressives.

*
Cet univers superbement décrit, tourmenté et angoissant, m'a fait penser à celui de Jérôme Bosch, un enfer qui dévore les hommes corps et âme, un enfer peuplé de monstres, de démons et de visions infernales. Mevlido y voyage parmi les damnés dans un chaos sinistre et inquiétant, tel Orphée descendant aux Enfers pour ramener sa belle Eurydice.

J'ai perçu la construction narrative comme une succession de strates qui se superposent et se chevauchent : les chapitres sont des marches que Mevlido empruntent, descendant de plus en plus dans un monde intérieur où les frontières entre la réalité, la folie, les songes, la mort, la renaissance s'effacent.
Mais si cet univers paraît imaginaire, il est évident que l'auteur décrit notre monde toujours plus violent.

*
Les figures féminines dominent dans ce récit, séduisantes, attirantes, fantasmées, combattantes ou folles. Souvent, elles se superposent ou se confondent dans le passage incessant entre les rêves, les cauchemars, les hallucinations nocturnes et la réalité. Ainsi Verena Becker, sa femme, a son double dans une autre réalité, Linda Siew. Certaines, sensuelles, ensorcelantes, se couvrent de plumes. D'autres, belles dans leurs habits de guerrière, continuent la lutte et assassinent.

*
Le style d'écriture d'Antoine Volodine m'a beaucoup plu, poétique, teinté de réalisme magique. J'ai aimé sa force narrative mais aussi sa complexité, son rythme et sa musicalité, ses longues phrases descriptives.

Le titre fait écho à la thématique centrale du roman autour des rêves et de la quête de sens, de l'errance et des utopies bafouées, des cauchemars et d'une humanité en perdition, des délires et de la mémoire, de la réalité et de la survie.

« L'avenue avait été déblayée après la guerre mais les maisons qui la bordaient restaient trop dégradées pour y accueillir des locataires. On longeait des kilomètres d'immeubles inhabitables, avec leurs ouvertures noires et leurs façades pourries qui exhalaient des puanteurs de moisissures. Selon certaines rumeurs, quelques enfants-soldats y avaient trouvé refuge, d'anciens acteurs du dernier, du énième génocide. Ils erraient de ruine en ruine sans se montrer jamais, incapables de vieillir normalement dans l'âge adulte, cachant derrière les murs leur absence obstinée de remords, le souvenir froid des atrocités qu'ils avaient commises, et, un jour, une de leurs anciennes victimes les débusquait et se vengeait. »

*
Pour conclure, j'ai été attirée, happée par ce récit troublant dans lequel se côtoient dans un va-et-vient incessant, rêves et réalité, folie et fantasmes, vivants et morts. C'est un chaos où passé, présent et futur s'amalgament et qui propulse le lecteur dans une vertigineuse mise en abyme.
« Songes de Mevlido » est un très beau roman, sombre et obsédant que je vous conseille.
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« Un nouveau tramway glissa sur sa gauche en annonçant son passage à coups de cloche rituelle. Tu n'en peux plus dans cette chaleur poisseuse, Mevlido, pensa-t-il. Mais reprends-toi. Ne laisse pas les horreurs du passé déborder sur ton présent. Évite de songer au passé, ne considère le présent que sous son jour le plus favorable. Apaise-toi. Regarde le réel tel qu'il est au centre-ville, agrippe-toi à lui. Regarde Memorial Avenue. Tu es au centre de la civilisation, au centre de ce qui n'a pas été détruit, c'est vrai que cela ne représente plus grand-chose à l'échelle de la planète, puisque presque rien n'y a été épargné, mais tout de même, c'est le centre. La ville a tenu bon en dépit des massacres, elle regroupe ceux qui ont tenu bon, ceux qui restent, elle s'appelle maintenant Oulang-Oulane. ».

Dans cette ville tentaculaire, Mevlido, un policier au service d'un état corrompu, habite Poulailler Quatre, un quartier pauvre. Pas par choix mais pour surveiller ses autres habitants, mi-humains, mi-oiseaux pour beaucoup d'entre eux. Il joue un double-jeu car il a aussi des contacts avec des groupes terroristes.

L'atmosphère de ce quartier est littéralement étouffante, entre plumes et poux en suspension dans l'air ambiant. Et la canicule perpétuelle aggrave encore la situation.
Son amour, Verena Becker, a été assassinée par des enfants-soldats et il est resté inconsolable. Un peu comme Orphée, il sera tenté d'aller la récupérer dans des enfers toujours plus labyrinthiques, entre présent et passé, vie et mort.

Je ne sais qu'ajouter au sujet de ce roman, qui brasse beaucoup des thèmes favoris de l'auteur. Mais la donne issue de ce brassage est à chaque fois différente. Et pour ma part je ne peux qu'avancer dans ces mondes étranges et sombres. J'ai lu environ une dizaine de textes de cet auteur et à chaque fois je suis captif. Je n'en abuse pas, car je sais que cela me fera forte impression et que la lecture ne sera pas toujours une partie de plaisir. Une sorte d'humour est parfois présent, mais le ton général reste cauchemardesque.
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Je n'ai pas accroché, et ça, c'est peu de le dire!!!!!

Pourtant, j'en attendais beaucoup, je me suis dit: » Tiens un super livre de SF, avec un amour tellement grandiose qu'il traverse l'espace et le temps, il est fait pour moi ce livre ». La grande romantique en moi se voyait déjà partir dans ce monde chaotique, mais guidé par une grande force, je m'en suis fait tout un plat…..

Et patratas, dès les premières pages je n'accroche pas…Le style, le Monde, le personnage, enfin, Tout quoi. Et c'est ça qui m'a le plus frustrée, c'est que l'auteur part sans nous, il nous laisse sur le bas coté, pendant que lui, s'envole au dessus. Il n'y a pas d'introduction pour rentrer dans son univers, il nous balance ses trips, ses songes, ses rêves ou ses envolées , sans apprivoiser aussi son lecteur…C'est dommage, et très énervant aussi.

Il est rare que je ne finisse pas un livre, d'autant plus que c'est un partenariat, mais là, je m'ennuyais trop, je ne saisissais rien, aucun fil conducteur à quoi se raccrocher, aucune émotion ne m'a traversée à part cet ennui terrible, et la terrible frustration de l'échec, en plus, de peut être passer à coté de quelque chose. J'ai essayé jusqu'à la moitié du livre, mais quand j'ai vu que la mayonnaise ne prenait pas, je me suis fait une raison et je l'ai reposé.

La déception n'est que pour moi, puisque j'ai vu que ce livre avait de bons avis, et que l'auteur avait même reçu un prix en 2014.Ce livre n'a pas été le coup de coeur attendu, mais plutôt ma plus grosse déception de l'année.

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Antoine Volodine, dans ce roman comme dans d'autres, utilise une imagerie venue de la science-fiction post apocalyptique, et des thèmes, comme celui de la réincarnation, qu'on peut trouver aussi en science-fiction (Kim Stanley Robinson, "Chroniques des années noires", par exemple). Ceci a pu induire certains lecteurs en erreur et les attirer vers ce livre dépourvu de toutes les facilités linéaires narratives et commerciales de la SF courante auxquelles ils sont habitués. Il est aussi ardu de lire Volodine que, mettons, Frank Herbert : encore, le sens de l'épopée rend les romans du second intéressants et accessibles. Ici, rien de tel : un univers désespérant, en train de se désagréger, la mort de l'espèce humaine dans les guerres, la misère, les génocides, et la fin de tout par pourrissement. Trois couleurs dans les paysages des "Songes de Mevlido" : le noir, le blanc agressif d'une énorme lune, et le gris. Des ambiances moites, la pluie, les ruines, la crasse, des assassins survivants ou leurs victimes rescapées, des mutants répugnants, des décombres partout (on songe au "Voyage d'Anna Blume" de Paul Auster). Les frontières entre la vie et la mort, entre l'humain et l'animal, entre le rêve et la veille, sont constamment piétinées ou brouillées. L'ordre chronologique du récit linéaire est bouleversé, sans que l'auteur prenne la peine d'encombrer son texte de repères pour le lecteur paresseux. En somme, une lecture pénible, ennuyeuse par moments, car tout semble se répéter et tout conspire à nous faire perdre nos marques.

"Frères sorcières" présentait la même imagerie, mais la drôlerie et l'humour noir rachetaient et allégeaient l'ensemble : ici, rien de tel ou presque. "Songes de Mevlido" est un roman douloureux, presque de bout en bout. La quête orphique de Mevlido, dans cette ambiance d'échec perpétuel, semble vouée, elle aussi, à l'échec. Reverra-t-il la femme perdue ? Le reverra-t-elle ? Se retrouveront-ils ? Cette histoire d'Orphée réécrite et développée sur 450 pages nous plonge dans la douleur de l'homme et dans son désarroi, sans nous lâcher une minute. Un Orphée diminué, traumatisé, oublieux de lui-même et de sa mission, doutant de sa raison, n'ayant que quelques rêves et souvenirs confus pour donner un sens à son existence. Mais comme dans l'histoire d'Orphée, de la douleur et de la perte émane une poésie étonnante, présente dans le style fort travaillé, dans les paysages d'angoisse (on revoit "Les Villes Tentaculaires" de Verhaeren), dans les errances infernales de Mevlido arpentant les rues vides comme Baudelaire les faubourgs misérables. Aussi, comme lecteur, j'accepte de me laisser surprendre, et même ennuyer par ce gros livre sans séduction, que je juge excellent bien qu'il ne m'ait pas plu. Le roman, d'ailleurs, contient sa propre critique et dit lui-même le mot de la fin : "On peut expliquer le désintérêt des lecteurs par l'abus des adjectifs et des néologismes dont Mingrelian (hétéronyme de l'auteur) truffe ses textes, ainsi que par les surcharges syntaxiques, par les collages baroques ou lyriques qui les rendent illisibles... Ils ont été perçus comme relevant d'une esthétique surannée et trop difficile à comprendre..." Et plus loin, le narrateur ajoute : "Nous aimons les livres de Mingrelian." (p. 408)
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Trois siècles après notre ère, la guerre a tout ravagé. Les génocides, les meurtres de masse et les violences ethniques ont de nouveau bouleversé l'histoire humaine. Dans Poulailler Quatre, vaste ghetto où s'entassent les hommes et la crasse, où les araignées tissent leurs toiles solides et où les poules et autres volatiles mutants forment des groupes hostiles, vit Mevlido, un flic d'une cinquantaine d'années. Infiltré auprès de vieilles bolcheviques qui continuent de hurler leurs slogans, tandis que les tracts appellent à des attentats contre la Lune et que des attentats réels sont commis contre les anciens seigneurs de guerre, Mevlido est partagé entre le réel et les rêves, sans parfois bien les distinguer. Il vit aussi dans le souvenir de sa femme, Verena Becker, torturée et tuée vingt ans plus tôt par des enfants soldat, lesquels, aujourd'hui, sont traqués et massacrés.

De vieilles réminiscences lui reviennent en mémoire, souvenirs de vies d'avant ou de moments vraiment vécus : ne pas toucher les rats, ne pas parler aux araignées, ne pas parler à un psychiatre … Il faut dire qu'en réalité, Mevlido est en mission. Il a été envoyé par les Organes, organisation ou Etat mystérieux et puissant, pour constater l'évolution et surtout la déchéance des hominidés. Après un voyage particulièrement éprouvant, il est envoyé dans un nouveau corps, un corps d'homme, dans lequel il renaît intégralement, oubliant jusqu'à sa mémoire passée, jusqu'aux quarante années d'entraînement subi, et seuls quelques noms, quelques phrases et images lui reviennent parfois.

Dans le monde des hommes, Mevlido mène des enquêtes. Il bat son chef lors des séances d'autocritiques, il se soumet lui-même à cette pratique qui rappelle les Grands Procès de Moscou. Il partage son existence et son appartement étouffant avec Maleeya Bayerlag, folle à force de tristesse qui prend Mevlido pour son défunt compagnon, Yasar. Tous deux, ensemble, tâchent de traverser la vie et malgré une affection certaine entre les deux êtres, tous deux regrettent désespérément leur amour ancien.

La vie de Mevlido, ses errements, l'effondrement de son monde, tout cela est retracé par un de ses anciens camarades du centre d'entraînement, Mingrelian, dans des rapports-romans que personne ne lit. En Mingrelian, on pourrait voir un double de Volodine, notamment dans la description que le narrateur fait de son écriture : « L'art de Mingrelian, influencé par le post-exotisme, joue avec l'incertitude, l'inaboutissement, le brouillage des contraires, le néant. »

Tel pourrait être le résumé littéraire de Songes de Mevlido, récit à la fois onirique, poétique, brutal et amoureux, désespéré aussi, conteur d'une humanité en voie de destruction, d'une humanité recroquevillée sur elle-même, d'une humanité qui cède le pas à l'animalité. Volodine n'apporte pas de réponse ; d'ailleurs, il ne pose pas de question. Il peint un monde futur, terriblement inquiétant, et pourtant encore riche, qu'il évoque par touches, par sensation (celles de chaleur et celle d'humidité, affreusement omniprésentes). En tant que lecteur, on tâtonne dans ce monde autant que Mevlido tâtonne lorsqu'il est au volant du bus qui roule immobile. On se perd dans un monde sans visibilité, on s'accroche à Mevlido, qui nous guide sans savoir où il va.

Antoine Volodine semble livrer là une oeuvre extrêmement visuelle, comme un tableau littéraire que l'on découvrirait au fur et à mesure des pages tournées. Par sa force poétique, son évocation d'un futur désenchanté, le roman construit une parenté avec les oeuvres dessinées d'Enki Bilal. Et si de nombreuses significations, de nombreuses clés du roman m'ont probablement échappé, au moins reconnais-je là un roman marquant, puisque son empreinte imaginaire me semble particulièrement prégnante, voire obsédante.
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À une époque indéterminée, deux cent ou trois cent ans après le désastre historique du XXème siècle, la planète a été ravagée par les guerres, les catastrophes écologiques et les génocides ; les espoirs révolutionnaires ont été systématiquement déçus et les rares survivants de l'humanité agonisante sont maintenant regroupés dans la ville d'Oulang-Oulane.

Aux marges de cette mégalopole, Mevlido, qui exerce la profession d'inspecteur de police, mène une vie de survivant dans un ghetto sordide, le Poulailler Quatre, où survivent les membres de la «sous-humanité», refugiés pouilleux, malades mentaux, vieilles bolcheviques insanes et oiseaux menaçants, sous la lumière d'une lune inquiétante.

«Dès qu'ils furent de l'autre côté de la Porte Marachvili, le blanchoiement de toutes choses sous les rayons lunaires s'atténua. Les rues avaient rétréci. L'éclairage urbain avait des défaillances. On devait parcourir des dizaines, et parfois des centaines de mètres dans l'ombre, au petit bonheur. Les trottoirs et la chaussée étaient jonchés d'épaves. Souvent on frôlait des drogués des deux sexes, affalés dans leur vomi et dans leurs rêves. Quand l'obscurité était profonde, des oiseaux la colonisaient : des mouettes obèses, gigantesques, des corneilles monstrueuses, des chouettes, des poules ; elles recouvraient de larges portions du sol, constituant des groupes compacts qui protestaient contre les intrusions et interdisaient le passage à coups de bec. On marchait au milieu des gloussements et des cris.»

Dans cette atmosphère crépusculaire et moite, Mevlido est un héros englué dans ses fantasmes, ses cauchemars et dans les mensonges qu'il doit faire, à la hiérarchie policière, à la psychiatre et à tous les autres pour protéger ses rêves. Il partage sa vie avec Maleeya Bayarlag, une femme abîmée par la perte de son compagnon tué dans un attentat, et qui a depuis basculé dans la folie. Et Mevlido est lui-même égaré et psychiquement fragile, sans cesse assailli par les souvenirs et les songes de la femme qu'il a aimé, Verena Becker, martyrisée et assassinée vingt ans plus tôt par des enfants soldats. Toutes les femmes qu'il croise et qui meurent autour de lui le renvoient vers cette quête de Verena Becker à laquelle il ne peut renoncer.

Mevlido est-il dans le rêve ou la vie éveillée ? Déjà au-delà de la vie ? Ou se trouve le mensonge et la vérité ? Ces questions se posent, mais on peut s'en défaire puisque la recherche de vérité et d'idéal apparaît comme vouée à l'échec.
Dans notre humanité crépusculaire, voisine familière de cette fiction et également hantée par la perte d'idéal, pénétrer l'oeuvre monde d'Antoine Volodine semble un recours indispensable. Et ce seizième roman de l'auteur, paru en 2007 aux éditions du Seuil, peut constituer, à l'instar d'«Écrivains» (2010) ou de «Terminus radieux» (à paraître fin août 2014), une magnifique introduction à son univers imaginaire unique, étrange et visionnaire.

«Mevlido se rappelait l'épisode final de ce livre dont il avait oublié le titre. Un être invulnérable, condamné à mort, était exécuté dans l'unique endroit où on avait pu l'atteindre, à l'intérieur d'un de ses rêves. Profondément endormi, il ouvrait les yeux et il voyait sur le sol des bourreaux qui étaient venus à lui sans armes ni vêtements, des assassins que la traversée des mondes oniriques avait empoisonnés et presque tués : un homme et deux femmes, précisément. L'asphyxie ralentissait leurs gestes, leur peau avait bleui, ils grelottaient à l'entrée de la chambre. Lui, l'être qu'aucune arme ne blessait, quittait son lit, il s'approchait d'eux, il les examinait comme s'il allait brutalement leur régler leur compte, et pourtant, envers ces trois individus qui avaient pour tâche de le détruire, il ressentait de la compassion. Tel était le mécanisme infernal de ce cauchemar. Méprisant le fait que les agresseurs se trouvaient à sa merci, il les consolait, il se penchait sur eux et leur parlait. Et ainsi se refermait le piège de pitié qu'on avait tendu autour de lui. Une à une, ses défenses s'étiolaient, ses capacités de résistance à l'anéantissement. La sympathie, l'empathie dissolvaient sa carapace, et, pour finir, en contradiction avec les principes qui avaient gouverné jusque-là son existence, il perdait toute envie de s'évader et il allait avec philosophie à la rencontre de sa mort.»
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Prévenons tout de suite les amatrices et amateurs de lecture rapide, il faudra passer son chemin. L'oeuvre est remarquablement bien écrite mais il m'a fallu un environnement calme et un crayon pour suivre et adhérer à ce récit post-apocalyptique, d'une certaine manière polyphonique et totalement d'anticipation.
Un roman à tiroir mêlant une ville fantôme, une société dévastée partagée entre êtres humains et animaux symboliques (oiseaux, rapaces, araignées, poules mutantes), un système social, politique et économique gangréné par une dictature à caractère policier et proche du communisme. Dans cet univers sombre, le lecteur suit de près le parcours de Mevlido, policier aux collègues suspicieux et dont le commissariat est soumis à un patron peu orthodoxe, perdu entre le souvenir de sa femme, tuée par des enfants - soldats, persécuté par des rêves/cauchemars récurrents, vivant dans un appartement saugrenu au coeur d'une cité anxiogène, il le partage avec Maleeya, une ouvrière que la folie assaille mais ils partagent tous les deux, tel un rempart, un semblant d'amour.
Mevlido ne trouve pas sa place ni son but existentiel, partagé entre des sentiments contraires vis à vis de la société dans laquelle il a été plongé, sans le vouloir vraiment. Partagé entre le respect d'une société policière mais aussi sensible aux thèses terroristes qu'il est censé combattre, entre l'amour de sa femme et la passionaria de l'ennemie numéro un, défenseur supposé d'un système politique corrompu, il n'en soutient pas moins ses ennemis et il est en plus en quête de sa vengeance..... Être sensible, simple outil aux mains d'une entité supérieure, manipulé malgré lui, homme désespéré.... il erre, brinqueballé et mis à mal suscitant chez le lecteur un certain malaise et une compassion, une empathie sincère.
Les clés de ce récit et les quêtes affichées et secrètes qui constituent les démarches quotidiennes de Mevlido, dans des journées dramatiquement sombres, sont autant de pièces de puzzle qu'il nous faut assembler. Pour nous y aider, le livre se partage en sept parties où on découvre alors que cet anti héros est en mission longue de transition pour tenter de faire comprendre cette civilisation où la violence prédomine, le totalitarisme est récurrent et finalement le règne arachnide (symboliquement parlant) en passe de s'installer. Au coeur de cet univers onorico - cauchemardesque, Antoine Volodine dresse, en fait le procès de tous les totalitarismes, la déliquescence de nos sociétés, d'une Humanité si violente et le portrait des difficultés existentielles de certains d'entre nous, des utopistes de tout poil dont on brime l'existence.
Une description acérée des personnages (3 à 4 majeurs), des décors sordides et du bestiaire forme le corps de ce livre. On se rapproche totalement aussi du genre glaçant de Kafka dans un système social et politique sordide. Antoine Volodine, c'est aussi un style d'écriture tranché, riche, un rythme parfois chaotique, on ne peut qu'en apprécier la qualité mais c'est un auteur qui ne peut pas laisser insensible, auquel on peut aussi bien adhérer que pas du tout.

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Engagez-vous, qu'ils disaient ! Lire Volodine c'est s'engager dans un voyage sur «Cauchemar Airline » , un univers poisseux , pulvérulent et fracassé de bidonvilles apocalyptiques envahis d'araignées et d'oiseaux mutants , résonnant de slogans surréalistes et de chants chamaniques, où les personnages tuent , rêvent qu'ils tuent , rêvent qu'ils sont tués , aiment , rêvent qu'ils aiment , rêves qu'ils sont aimés . Et il faut le lire Volodine , pas seulement pour son imaginaire fascinant , sa remarquable écriture mais aussi parce c'est notre monde qu'il décrit.
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