Je ne vais pas vous faire le résumé de cette lecture, tant cela paraît à la fois superflu et impossible. Alors plus qu'une chronique d'histoire, ce sera une chronique de sentiments.
Au cours du premier tiers de ma lecture, j'ai retrouvé mes 10 ans et cette sensation trouble ressentie face à cette toile de Monet que je regardais pour la première fois, posté à moins de vingt centimètres du mur. Je n'ai vu tout d'abord que des taches de couleurs mêlées, superposées, s'affrontant dans un patchwork dont le sens m'échappait. Dans les premières pages de ce livre, les fragments de textes arrivent ainsi : disparates, enchaînés, parfois superposés, et ils content le traumatisme héréditaire de la guerre, celui plus lancinant d'être l'autre dans ce pays terre d'asile, la violence de la mère, de l'enfance, de cette langue qui nous résiste, de l'ostracisation, et les prémices de cette différence en bourgeon qui n'éclora que bien plus tard. Fragments de vie entre Viêtnam et Amérique, miettes de quotidien marqué par les angles acérés de la pauvreté ordinaire et des espoirs occis dans l'oeuf, je trouvais l'écriture jolie, agréable, mais j'avais l'oeil et l'esprit distrait.
Et puis… la révélation. À 10 ans, j'ai fait quelques pas en arrière, et Impression, soleil levant m'est apparu dans toute sa splendeur, une magnificence qui résonne encore telle une note parfaire se poursuit dans le silence d'après. Au tiers de ma lecture, quelque chose s'est produit. Je ne saurais définir comment, peut-être qu'il fallait juste se reculer un peu, mais soudain ces morceaux de textes se sont assemblés et ont formé un tout, une toile impressionniste d'une élégance et d'une justesse infinie. J'en ai versé une larme, je l'avoue sans nulle honte. On ne pleure pas assez pour la beauté.
Dans ma tête, la guerre et l'amour naissant, la douleur et l'addiction, la mère et l'amant, tout s'est rassemblé et une vie s'est dévoilée entière, nue et gracieuse entre mes mains. Un instant de splendeur. Impossible dès lors de lâcher ce roman, chaque ligne apparaissant plus délicate encore que la précédente.
Le texte s'est ensuite morcelé à nouveau, comme on s'émiette de douleur, mais j'ai suivi des yeux chaque tesson tel un éclat de vitrail qui ne perdrait rien de sa lumière ; les paragraphes se sont alors fait larmes versées pour la folie maternelle, pour la disparition, pour tous ces mots qu'on n'a pas eu le temps ou le courage de dire, ces mots qu'elle ne lira pas, cette mère à qui l'auteur s'adresse et qui ne sait pas lire. Monet devenu Seurat.
Je finis à l'instant ce roman, le premier que je lis de cet auteur, et j'ai comme un hématome au coeur. Plus que sans voix, je suis sans mots. Je pourrais vous parler du style, de son élégance et de sa force, je pourrais vous parler de ce tour de force de raconter la guerre sans en parler, je pourrais aussi vous parler de la façon si juste et si émouvante de conter les premiers émois de ce garçon qui en aime un autre, mais ce serait trop peu. Trop lourd. Trop maladroit.
Alors je ne vous dirai que cela : lisez-le. Il se savoure comme on goûte au Soleil levant, tel
un bref instant de splendeur.