- Ça se fait vraiment, ça ? Nous appeler les "viveurs" ? Ça donne l'impression qu'on passe notre temps à faire la fête.
- Tu as un meilleur mot ?
- Pourquoi pas les "gens" ?
- Les fantômes aussi sont des gens.
- D'accord. Sauf que les morts ont leur propre mot: "fantômes". Les vivants devraient s'appeler les gens, tout simplement.
- Tu chipotes.
- Excuse moi d'être en vie.
Le sommeil est une petite tranche de mort. Et tu t'en es déjà mis plein la panse, pas vrai ? Tu as englouti tout le foutu gâteau.
- Parfois, j'ai l'impression de faire semblant d'être une adulte.
Carla sourit.
- C'est pareil pour tout le monde, je crois. On commence par faire semblant, et tôt ou tard, ça devient vrai.
- Tu crois qu'on aura droit à une fin heureuse ? Ou est-ce que tu trouverais ça ridicule ?
- Nous deux, tu veux dire ?
Imogen soupesa la question avec méfiance.
- Je crois qu'il est un peu tôt pour envisager la fin.
- Je n'étais pas en train d'envisager la fin, se défendit Darcy.
- Tu réalises que "le dessert en dernier" et "les fins heureuses sont ridicules" se contredisent l'une l'autre, pas vrai ?
Imogen haussa les épaules.
- L'une est une stratégie. L'autre une philosophie. Aucune contradiction.
Chercher pendant mille ans en vaut la peine, si on finit par trouver son bonheur.
- Sur une échelle de un à dix, dix étant le plus pénible, tu me situerais où comme petite amie ?
- Tu n'es pas une petite amie pénible. Tu demandes beaucoup d'efforts, c'est tout.
Peut-être était-ce le prix à payer quand on aimait quelqu'un: on perdait la limite entre ce que l'on était et où commençait l'autre.
- Je veux dire, comment pouvez-vous supporter une telle adulation ?
- L'adulation c'est comme la pluie. Une fois trempé, on ne la sent plus.
Un premier roman, c'est comme un premier amour. C'est seulement des années plus tard que l'on comprend vraiment les décisions qu'on a prises. Et il y a toutes les chances qu'on ait déjà bousillé la fin.