Frank Westerman s'est intéressé à l'autre catastrophe qui a agité l'année 1986, celle du Lac Nyos niché au coeur de la vallée montagneuse du nord-ouest du Cameroun. Moins retentissante que la catastrophe nucléaire de Tchernobyl - aucun dégât matériel, aucune altération de la nature environnante-, elle a pourtant provoqué la mort soudaine de 1746 personnes.
Bien entendu le journaliste néerlandais expose les différentes explications scientifiques autour du phénomène d'explosion naturelle qui a semé la mort par asphyxie. Mais les divergences des chercheurs ont conduit Westerman à s'attarder sur les mythes, légendes et rumeurs qui ont bénéficié de la controverse pour prospérer pendant les vingt ans de l'enquête.
Au terme d'une investigation de terrain, il a recueilli profusion de témoignages, collection d'histoires pour aboutir à une superposition de discours dont il n'est pas évident de tirer un enseignement clair et limpide. L'auteur a accompli un travail remarquable de collecte d'informations mais les efforts déployés provoquent parfois une sensation de saturation. Il est bien dommage de voir Westerman se contenter de jouer les témoins passifs là où le le sujet invite à métaboliser les informations, on a parfois l'impression de lire les bases d'une étude qui reste encore à écrire.
Mais bon si l'absence de conclusions incisives rend la lecture laborieuse, elle ne la rend pas pour autant moins enrichissante. L'ouvrage possède la vertu non pas comme l'indique la quatrième de couverture de décortiquer la naissance des mythes mais de mettre en avant le processus qui permet au récit traditionnel de se revivifier.
En démêlant l'écheveau, il est assez intéressant de constater comment la tragédie de Nyos a généré non pas une mais plusieurs fictions élaborées qui toutes puisent dans les mythes traditionnels. Des mythes qui, par leur enracinement dans la vallée, sont capables d'apporter non pas une justification mais un sens pour l'imagination, un discours cohérent pour l'esprit. La circonstance que ces mythes fondateurs se sont vus contaminer par des apports spirituels et politiques extérieurs, que ce soit par l'implantation en Afrique des religions monothéistes ou l'apparition de thèses conspirationnistes, n'a pas affecté leur pouvoir de rayonnement. Bien au contraire, capable de fournir un système explicatif encore plus structuré, la tradition mythologique renouvelée en devient plus vivace face à une catastrophe qui n'a laissé aucune trace dans le paysage et de ce fait ouvre la voie à toute sorte de récits fantaisistes ou de spéculations.
Touffu, cet ouvrage n'atteint malheureusement pas l'altitude requise pour mener l'enquête à laquelle se prête le sujet, une investigation mêlant journalisme et étude socio-ethnographique. Mais il illustre l'idée que
L Histoire ne se construit pas uniquement sur des faits réels et tangibles, elle se nourrit également de rumeurs et de légendes.
Et on peut être séduit par les récit légendaires qui, par leur faculté à capter les ondes secrètes entre l'homme et la nature ou à relier le visible à l'invisible, donnent une dimension merveilleuse à cet ouvrage.