Été

Charity lut cette lettre avec la sensation étrange qu'elle venait de si loin qu'elle avait perdu en chemin presque toute sa signification.

Toutes ses impulsions, si contradictoires et si ballottées, s’étaient fondues en une acceptation fataliste de la volonté de celui qu’elle aimait. Ce n’était pas qu’elle sentît en lui l’ascendant du caractère - il y avait déjà eu des moments où elle s’était rendu compte qu’elle était la plus forte -, c’était parce que tout le reste de la vie n’était plus à ses yeux que la bordure d’ombre qui entourait le foyer lumineux de leur passion. Toutes les fois qu’elle cessait un instant de penser à son amour, elle éprouvait une impression pareille à celle qui lui venait lorsque, étendue sur l’herbe, elle avait fixé le ciel trop longtemps : ses yeux étaient si éblouis par la lumière qu’autour d’elle tout apparaissait indistinct.

Pendant un moment, ce qu'il disait alors - et quelque chose dans sa manière de le dire - lui avait fait comprendre pourquoi cet homme lui était toujours apparu si solitaire.

Son enfant était à la fois le poids qui la faisait fléchir et la main qui l'obligeait à se redresser.

- Embrassez-moi encore... comme hier soir, dit-il.
Et il écarta ses cheveux comme pour aspirer tout son visage dans un baiser.

Après un moment les feux dispersés cessèrent.
Un plus long intervalle d'obscurité suivit, puis tout à coup la nuit tout entière s'ouvrit comme une fleur.

Aucun son ne montait plus du village endormi.
Dans l'obscurité profonde du jardin elle percevait, de temps en temps, un secret frémissement des branches, comme si quelque oiseau nocturne les frôlait.

La nuit avait été si calme que la rosée était demeurée partout suspendue, non comme une buée légère mais en gouttes translucides qui frangeaient les fougères et posaient des diamants dans les herbes.

- La Montagne ? (...). Voilà longtemps que la police aurait dû balayer toute cette engeance malsaine. Mais on avait peur (...).Non, pas un gendarme (..) qui ait osé s'aventurer là-haut... Quand on entend dire qu'il se passe quelque chose à la Montagne nos conseillers municipaux détournent la tête... et votent des crédits supplémentaires pour l'embellissement de l'abreuvoir communal !

Croyez-moi, vous tous qui m'écoutez, la meilleure façon de faire du bien là où l'on vit, c'est d'y vivre en étant heureux d'y vivre.