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Citations sur La Maladie de Sachs (101)

J’ai vu passer des milliers de personnes, mais en cet instant même, je ne pourrais spontanément en évoquer qu’une douzaine […]… Alors, je crois qu’écrire, pour un médecin comme pour n’importe qui, c’est prendre la mesure de ce qu’on ne se rappelle pas, de ce qu’on ne retient pas. Écrire, c’est tenter de boucher les trous du réel évanescent avec des bouts de ficelle, faire des nœuds dans des voiles transparents en sachant que ça se déchirera ailleurs. Écrire, ça se fait contre la mémoire et non pas avec. Écrire, c’est mesurer la perte.
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3. UNE CONSULTATION

- Eh bien, je ne sais pas par où commencer...

Tu hoches la tête, Mmmhh. Tu pivotes vers les étagères, tu fouilles dans une des boîtes grises. Tu en sors une enveloppe brune. Tandis que je t'explique le motif de ma venue, tu sors de l'enveloppe un bristol quadrillé au format carte postale et tu le poses sur le plateau de bois peint ; tu tires un stylo plume noir de la poche de poitrine de ta blouse, tu dévisses le capuchon, tu l'ajustes sur le corps du stylo, tu tires un trait sur le bristol, tu marques la date près du bord gauche.

- Eh bien, voilà...

Penché sur le bristol quadrillé, tu écris.

*

Quand tu écris, tu te tiens voûté au-dessus du plateau de bois peint. Derrière toi, à travers les rideaux de voile jaunissants et les feuilles de plastique opaque mais translucide qui recouvrent les vitres, la grande fenêtre déverse une vive clarté. Sans lâcher ton stylo, tu tournes la tête vers moi. Les verres de tes lunettes sont légèrement teintés, je ne sais si tu regardes ma bouche ou mes yeux. De temps à autre, tu baisses les yeux vers le bristol quadrillé et tu traces quelques mots. Tu interromps parfois mon récit pour poser des questions :

- Quand est-ce que ça a commencé ? C'était la première fois ? Tous les jours ? Pendant ou entre les repas ? Y a-t-il des jours où vous ne sentez plus rien ? Et la nuit ? Et aujourd'hui, par exemple ? Est-ce que vous avez pris quelque chose contre la douleur ?

Tu commentes mes réponses d'un Mmmhh, ou d'un Je vois. Tu écris sur le bristol quadrillé, tu hoches la tête, Oui, ce doit être très pénible... Finalement, tu reposes le stylo.

Tu tournes le dos au plateau de bois peint et tu désignes le lit bas placé à deux mètres de nous, contre la cloison qui sépare le cabinet médical de la salle d'attente.

- Eh bien nous allons voir ça. Je vais vous demander de vous déshabiller et de vous allonger, si vous le voulez bien.

*

Pendant que j'enlève mes chaussures, tu traverses la pièce. De
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Pour faire ce boulot jusqu’au bout, il faut être cinglé. Il n’y a que des cinglés pour vouloir sauver la vie des gens, sans se rendre compte que c’est impossible. Ceux qui font semblant de croire le contraire sont des salauds.
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Les gens causent, ils disent qu'il ne faut pas trop dépenser , que la sécurité sociale n'a plus d'argent, mais moi je ne vois pas les choses comme ça, la santé c'est important ou alors c'est pas la peine qu'on ait travaillé toute sa vie pour ne pas se soigner.
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Ecrire, c'est tenter de boucher les trous du réel évanescent avec des bouts de ficelle, faire des noeuds dans des voiles transparents en sachant que ça se déchirera ailleurs. Ecrire, ça se fait contre la mémoire et non pas avec.
Ecrire, c'est mesurer la perte.
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Que puis-je faire pour vous ?
C'est pour ma fille. Elle voulait pas venir mais je l'ai obligée.
C'est pour mon petit garçon. Il ne mange rien. Il fait encore pipi au lit. Il veut pas dormir. Il me fait des colères. Il hurle dès que j'éteins la télé. Il se réveille la nuit et il vient dans notre lit, je suis obligée de le prendre avec moi pour qu'il dorme, et comme mon mari embauche à cinq heures, il va dormir dans le lit du petit. (Ou bien) Il est pas propre. Il parle mal. Y a pas moyen de lui faire manger de la viande. Il est infernal à l'école, les maîtresses s'en plaignent. (Ou bien) Il a été enrhumé pendant trois semaines et il a eu des antibiotiques deux fois et il arrive pas à s'en remettre, faut m'arranger ça. (Ou bien) Il n'aime que les yaourts et le pain beurré, le goûter c'est son meilleur repas. Je le trouve pas gros, il faudrait lui donner des fortifiants.
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Combien de temps faut-il, pour jouir ? Une éternité. Combien de temps ça dure ?
Combien de temps faut-il, pour se mettre à souffrir ? Une fraction de seconde. Combien de temps ça dure ?
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Je t'ai regardé, j'ai demandé : "Pourquoi pleure-t-elle?" Tu m'as lancé un regard mauvais et tu as croisé les bras en tendant le menton vers les autres. Je me suis retourné vers la surveillante, les deux internes, le chef de clinique, les six étudiants, les élèves infirmières et l'aide-soignante [...]. J'ai redemandé : "Pourquoi pleure-t-elle?" Personne n'a répondu. Je me suis levé, je t'ai lancé : "Bon, eh bien tu me répondras quand tu connaîtras le dossier", et je suis sorti de la chambre avec l'intention de claquer la porte derrière moi, mais tu as doublé tout le monde, tu m'as suivi dans le couloir et c'est toi qui as refermé la porte au nez des autres. [...]
Et tu m'as raconté sèchement, en quelques phrases, l'histoire de cette femme qui voulait rentrer chez elle deux jours après son admission alors que son médecin l'avait adressée pour un œdème aigu du poumon dont elle avait failli claquer, qu'elle avait vingt-deux de tension à l'entrée, qu'elle pesait quatre-vingt-cinq kilos pour un mètre soixante [...] mais que ses problèmes de boulot de mari de belle-mère de déménagement et je ne sais quoi encore, enfin sa foutue vie quotidienne, semblaient avoir plus d'importance pour elle que ses foutus symptômes.
- D'accord, d'accord. Mais pourquoi tu n'as rien dit dans la chambre?
- Nous étions quinze, Monsieur.
Alors, je t'ai regardé à travers mes lunettes et je t'ai vu pour la première fois. tu avais vingt ou vingt-deux ans et tu étais déjà en colère.
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- Euhlamondieu ! C'est vrai que j'ai travaillé dans ma vie ! J'y dis, à mon mari : Marcel, c'est pas dieu possible que je sois fatiguée comme ça... C'est pas la circulation ?
Tu hoches la tête.
- T-tt.
- Ah, tant mieux. Mais aussi, c'est mon cœur Euhlamondieu que j'ai mal !
Rien que l'autre nuit, c'est offreux ce que j'ai souffert ! Mon mari m'a grondée parce que je l'empêchais de dormir, il avait beau m'avoir touchée avant que je me couches, j'avais quand même mal...
- Touchée ?
- Ben oui, vous savez bien, mon mari il a le "don". Il était toucheux, dans le temps, il "arrêtait le feu". Maintenant bien sûr, il ne le fait plus beaucoup, qu'à moi, et j'ai l'impression que ça ne fait plus rien...
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[...] j'ai vu des types comme toi emprunter pour s'installer, tirer la langue et au bout de dix-huit mois décrocher leur plaque et changer de région ou devenir fonctionnaires, médecins contrôleurs d'une caisse de sécu ou d'une mutuelle, et passer leur temps à contrôler les prescriptions de leurs anciens confrères (les deux tubes de calmazépam sur l'ordonnance de la mère, ce ne serait pas pour la belle-soeur, qui en fait une consommation stupéfiante?) ou à vérifier que l'arrêt de travail du mari c'est bien un lumbago ou une entorse de la cheville et pas une flémingite aigüe, et s'amuser à débarquer sans prévenir au beau milieu de la matinée en se disant: "Celui-là, si je le chope à biner son jardin, je lui règle son compte." Des frustrés, des aigris, mais plus des médecins.
(p.88)
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