Le manga a confirmé ce qui m'était apparu comme une révélation durant le visionnage de son adaptation cinématographique par Takashi Miike : l'homme idéal est un yakuza SM.
Kakihara, masochiste extrême au sourire si large qu'il doit le fermer avec des piercings, second d'un boss yakuza porté disparu (un homme, un vrai, qui sait lui faire vraiment mal, juste comme il aime), croise la route d'Ichi, cycliste aux mollets de béton et aux chaussures tranchantes, tueur sadique pour le compte d'un petit vieux au passé trouble qui semble avoir une sérieuse dent contre les yakuzas. Pour Kakihara, à mesure que les corps de ses camarades mis en pièces s'amoncellent, l'excitation monte, et avec elle la certitude d'avoir enfin à portée de main son âme-soeur, le sadique de ses rêves qui le ferait morfler jusqu'à son dernier souffle.
Il serait facile de reprocher à
Hideo Yamamoto son jusqu'au boutisme. La violence outrancière de la série, dans laquelle rien, jusqu'aux scènes nécrophiles, ne nous est épargné, en rebutera plus d'un. Pourtant, je suis convaincue que, loin d'être un tare, cette violence, essentielle au propos, est dans son excès même l'un des aspects qui fait la qualité de la série. Nul besoin, ici, d'effusion de boyaux dessinés avec une précision chirurgicale, comme ce peut être le cas dans Gantz. L'horreur, la violence au carré, naissent de l'inventivité et de la cruauté dans les supplices et leurs mises en scène. Pour lui parler avec justesse de douleur, de sadomasochisme, l'auteur sait à propos faire grincer des dents son lecteur. Cette violence va bien au-delà des atteintes physiques : les manipulations mentales dont est victime Ichi sont elles aussi particulièrement vicieuses et retorses.
Yamamoto jongle à merveille avec les genres et registres. Ichi tient tout à la fois de la comédie absurde, de la romance malsaine, du thriller horrifique, de l'histoire de yakuzas et du délire gore et pervers. le récit gravite autour de deux pôles : d'un côté, Kakihara, le maso dénué de morale prêt à se trancher un bout de langue pour prouver sa loyauté ; de l'autre, Ichi, le sadique pathétique se masturbant sur les cadavres en charpie de ses victimes qu'il met en pièces à coups de talon. L'auteur insère ses personnages dans un univers qui n'a plus aucune limite. La seule loi est celle des yakuzas qui agissent en toute impunité dans le quartier de Shinjuku. Dresser un parallèle entre le manga et IGH, le roman de Ballard, est tentant. La majeure partie du récit se déroule dans un immeuble imposant : la résidence yakuza, un univers clos symbole d'un emprisonnement des personnages non pas physique, mais d'un véritable embrigadement qui les pousse à placer le clan avant leurs vies propres, même lorsqu'ils sont menacés par un tueur que personne n'est en mesure de stopper. L'immeuble ultramoderne de Ballard duquel les personnages refusent un beau jour de sortir, quitte à être privés de ressources au point de devoir dévorer (dans un premier temps) leurs animaux de compagnie, n'est pas loin. Les mêmes logiques absurdes et autodestructrices dont on perçoit très vite l'inéluctable issue régissent les deux univers. Ce n'est probablement pas un hasard si le représentant le plus marquant du monde yakuza, Kakihara, est masochiste au point d'être suicidaire.
La lecture d'Ichi the killer est intense, choquante et, évidemment, à déconseiller aux personnes sensibles. Je l'ai savourée de la première à la dernière page. Mon seul reproche irait à la traduction dont on sent qu'elle peine parfois à transcrire complètement le propos.
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