Un grand et sincère merci à Babelio et aux éditions Urban China qui m'ont permis de découvrir ce très bel album et ses deux grands auteurs. D'un côté,
LI Yaosha, journaliste d'investigation qui s'est tourné vers l'écriture et de l'autre, Seven, dessinateur et graphiste hors pair. Est-il utile de préciser que les deux sont chinois et qu'il est plutôt rare (pour moi, en tous cas) de lire des bd originaires de ce pays-là ?
Le narrateur de ce récit – je pense que nous pourrions parler, à l'instar de la télévision, de docu-fiction – nous entraîne sur les traces de trois prostituées : A Ping, tout d'abord, est mariée à un joueur invétéré de Mah-jong, endetté de surcroît, qui la frappe lorsqu'elle ne rapporte pas assez d'argent. Ensuite, nous trouvons Xiao Lan, jeune fille naïve de la campagne et novice : elle compte sur une rencontre avec un homme pour la sortir de la rue. Enfin, Soeur Tang, la quarantaine, est une prostituée de « second choix » en raison de son âge et de sa laideur. Toutes trois vivent dans l'immeuble du narrateur, propriétaire des lieux. C'est donc au quotidien de ces trois femmes que nous assistons, avec beaucoup de réalisme et d'empathie de la part des auteurs mais sans jamais tomber dans la surenchère, le misérabilisme et le pathos. Chacune de ces trois femmes va traverser les épreuves (fausse couche, violence, arrestations, trafic de fausse monnaie, épidémie du sida…) avec naïveté parfois, avec courage tout le temps.
Le scénario, pas toujours linéaire , est une sorte de documentaire qui sait tout de même utiliser les ressorts de la bd pour nous toucher de toutes les façons : émotion, suspense, colère, sentiment d'injustice, espoir… le lecteur vit donc un moment intense et prenant et c'est ce qu'on attend d'un bon album de bd. de plus, réellement plongé dans cet univers glauque, il se sent vraiment aux côtés de ces personnages, dans les bons et les moins bons moments, voisin sans être voyeur, simplement empathique.
Le dessin (le graphisme, devrais-je dire, tant la palette de Seven est travaillée et originale) n'est pas en reste : loin des clichés du comics américain ou du manga dont il reprend le format, le graphiste n'en a pas moins gardé un très grand sens du découpage : petites cases et grands panoramiques, gros plans, plans généraux, sens du mouvement… ne se succèdent jamais pour une simple esbroufe mais toujours au service de l'histoire. Et que dire du dessin lui-même : un joyau de finesse et de subtilité toujours juste, des couleurs parfois chatoyantes (un rouge omniprésent), loin du cliché d'une histoire aussi sombre où d'autres auraient abusé du noir et du gris.
C'est donc avec un grand bonheur et le sentiment de découvrir deux grands auteurs que j'ai suivi les destins cahotants de ces trois prostituées ? J'attends avec impatience les prochains albums de ces deux acolytes dont je suivrai les carrières avec attention. Je ne saurai donc que conseiller la lecture de cet ouvrage qui marque, laisse des traces dans notre rétine de manière indélébile.