Ce livre est l'essai féministe radical de la journaliste basque
Itziar Ziga "
Devenir chienne". Il a été publié en 2009 en castillan, l'auteure vivant à Barcelone, et traduit en français en 2020.
Sans surprise, il a été préfacé par
Virginie Despentes et
Paul B. Preciado.
J'aime lire les écrits des féministes radicales (et radicaux) car ils n'ont pas les limites de bon ton et le vocabulaire lissé de la plupart des textes parus sur ce thème (et sur d'autres). Appeler un chat un chat aide à comprendre et diminue les risques d'erreurs d'interprétation.
Et puis je trouve cette "punk attitude" assez sympathique : créer une sororité fondée sur la solidarité, lutter contre le machisme par la liberté de s'habiller comme on veut : kitch, vulgaire, en nonne, en homme, en femme, en talons aiguilles ou pieds nus ; apprendre à se défendre verbalement et physiquement contre les agressions, ce dont culturellement nous n'avons même pas idée, comme si un interdit régnait dans notre tête, je trouve cela terriblement stimulant.
Mais il n'y a pas que la folle liberté dans "
devenir chienne" : si certaines ont un gagne-pain et une relative sécurité matérielle, d'autres galèrent dans les marges extrêmes : squat, prostitution, drogue, avec les dangers que cela représente.
Et personnellement je n'appelle pas ça la liberté, mais la servitude. Bien sûr, pour ne pas sombrer, on peut revendiquer la chute et le mauvais regard d'autrui. On peut reprendre à son compte le mot "pute" comme une affirmation de puissance et de lutte (même si on n'en est pas une, d'ailleurs), tout comme les noirs se sont emparés du mot "nègres" pour en faire un signe de ralliement et une manifestation de fierté.
Mais au fin du fin, il n'en reste pas moins, pour en revenir aux chiennes, que si leur combat est légitime sur la plupart des aspects, il rencontre là une terrible pierre d'achoppement.
Transectionnelles (mot à la mode, mais qui a sa raison d'être), elles jettent l'anathème sur la femme blanche qui émet des réserves sur la prostitution. C'est injuste. La femme blanche n'est pas toujours aussi conne que le croit
Itziar Ziga, ni aussi malhonnête.
Je suis une femme blanche, et si je suis navrée par l'existence de la prostitution, ce n'est pas pour une raison morale, mais pour les conditions de son exercice. Car je suis pragmatique et constate, à mon grand regret, c'est vrai, mais je constate quand même qu'on semble ne pas pouvoir s'en passer. Or je ne suis pas à ce point entêtée et le jugement péremptoire de la dame
Itziar Ziga fragilise l'ensemble de sa démonstration en m'excluant d'autorité. C'est pas beau pour une intersectionnelle.
Cette dernière nous démontre que puisque notre corps a une valeur marchande (et il en a une puisque des hommes assez nombreux essaient de s'en emparer de force et gratuitement), autant se faire respecter en faisant payer ses faveurs sexuelles. On ne prend en considération que ce qui nous coûte. C'est bien vrai. Je peux comprendre ça : il existe des femmes qui après un viol se sont réapproprié leur corps de cette façon : en le louant moyennant rétribution.
Virginie Despentes en fait partie : la prostitution l'a aidée à restaurer la valeur de son corps ruinée par un viol subi à la sortie d'un concert.
Mais cela suppose une prostitution libre, sans proxénétisme. Cela suppose des clients bien élevés et non violents. Et la pratique établit que les prostituées sans macs ne sont pas légion, et que le métier est dangereux et expose à la violence.
Donc la petite blanche vexée et un peu bébête que je suis, attaquée par l'auteure, préconise très sérieusement (et c'est ce que je pense depuis longtemps) une prostitution transformée en profession libérale, avec cabinet de consultation, environnement juridique et administratif ; une prostitution reconnue comme une profession aussi honorable que celle de kiné, de poseuse d'ongles ou d'esthéticienne. Avec, pourquoi pas, en cas d'agression, alarme de sécurité branchée directement sur le standard d'une société de sécurité ou sur celui du commissariat, comme pour les cambriolages. Et peines exemplaires pour les proxénètes, parasites particulièrement dégueulasses. Qu'on aille chercher ailleurs les indics.
La seconde faille de raisonnement d'
Itziar Ziga se trouve dans la façon dont elle traite la question du voile : si la femme blanche n'a pas le droit de l'ouvrir sur le sort de ses consoeurs, (et le sien aussi parfois), en revanche, les femmes musulmanes ont la liberté d'afficher le symbole de leur esclavage : le hijab. Les féministes radicales, au nom de la liberté, le défendent comme elles défendent les talons de 13 cm ou la coupe iroquoise multicolore. J'ai la faiblesse de préférer la coupe iroquoise au hijab, car le hijab est souvent porté, non comme simple signe de coquetterie transgressive, même si ça arrive, mais comme le fanion visible de la revendication agressive d'une identité religieuse.
La femme qui s'affiche dans l'espace public avec un hijab exhibe ce qu'elle prétend cacher et affiche la vulnérabilité d'un corps à peine toléré à des fins autres que sexuelles, tout comme celui de la prostituée. On désigne ce qu'on couvre : la nudité. L'esprit des passants, même distraits, est immédiatement confronté, non à un visage, à une démarche, ou même à l'érotisme d'un joli décolleté (puisqu'on ne sait pas s'il est joli), mais à l'idée que l'individu rencontré est porteur d'un vagin, unique certitude. Se couvrir de façon trop ostentatoire c'est se désigner comme objet exclusivement sexuel et exciter l'imaginaire. La vogue des films pornographiques mettant en scène des femmes intégralement voilées est la preuve que le hijab est une usine à fantasmes, en Occident comme dans les pays musulmans.
Les féministes radicales se trompent de cause en légitimant l'argument fallacieux de la pudeur présenté par certaines en faveur du hijab. Elles font là cause commune avec ceux qui promeuvent la détestation du corps féminin qu'elles avaient pourtant vocation à glorifier. Elles ont cédé au chant de la sirène millénaire qui sait faire feu de tout bois et s'insinuer jusque dans la tête de celles qu'elle opprime. Elles ont fait alliance avec l'ennemi qu'elles n'ont pas su reconnaître ; pire, elles tentent de disqualifier celles qui ne partagent pas leurs vues en les traitant de racistes et d'islamophobes. S'il est un procédé dont on doit se méfier, c'est bien celui qui tente d'intimider en culpabilisant, en vue d'interdire la libre expression. J'en viens donc à formuler l'hypothèse d'une tactique politique de représentativité maximale visant à s'incorporer des éléments hétérogènes, voire idéologiquement opposés, en profitant d'une vague passionnelle (com-passionnelle ?) et de la complexité d'analyse du phénomène sociologique concerné.
Et la meilleure preuve que leur raisonnement est biaisé (et qu'elles se sont fait b..., pour les plus candides d'entre elles), c'est que si les "outils" traditionnels ou exagérés de la féminité sont portés aussi bien par les hommes drag queens que par les femmes (talons aiguilles, bijoux, maquillage, jupes courtes, cheveux multicolores, bas résilles, porte-jaretelles, que sais-je encore), ce n'est pas le cas du hijab, qui est ultra archi discriminatoire et absolument-entièrement-exclusivement réservé au sexe feminin.
Eh bien voilà, j'accepterai le port du hijab quand les hommes féministes et athées le porteront aussi pour faire la fête ou pour se féminiser.
Itziar Ziga devrait lire
Abnousse Shalmani et
Chahdortt Djavann.