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Diane Moquet (Traducteur)Camille Masy (Traducteur)
EAN : 9782366244861
165 pages
Cambourakis (21/10/2020)
3.98/5   24 notes
Résumé :
Première traduction en français de cette journaliste espagnole, performeuse post-porn et activiste féministe. Préfacé par Virginie Despentes et Paul B. Preciado, «Devenir chienne »relève autant du portrait collectif que de l'essai autobiographique. Itiziar Ziga y décrit l'expérience d'une féminité subversive car hyperbolique et parodique. Prostitution, voile, sexualités, transidentité, précarité sociale, sont autant de thématiques qui traversent le texte, dans une d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Ce livre est l'essai féministe radical de la journaliste basque Itziar Ziga "Devenir chienne". Il a été publié en 2009 en castillan, l'auteure vivant à Barcelone, et traduit en français en 2020.

Sans surprise, il a été préfacé par Virginie Despentes et Paul B. Preciado.

J'aime lire les écrits des féministes radicales (et radicaux) car ils n'ont pas les limites de bon ton et le vocabulaire lissé de la plupart des textes parus sur ce thème (et sur d'autres). Appeler un chat un chat aide à comprendre et diminue les risques d'erreurs d'interprétation.

Et puis je trouve cette "punk attitude" assez sympathique : créer une sororité fondée sur la solidarité, lutter contre le machisme par la liberté de s'habiller comme on veut : kitch, vulgaire, en nonne, en homme, en femme, en talons aiguilles ou pieds nus ; apprendre à se défendre verbalement et physiquement contre les agressions, ce dont culturellement nous n'avons même pas idée, comme si un interdit régnait dans notre tête, je trouve cela terriblement stimulant.

Mais il n'y a pas que la folle liberté dans "devenir chienne" : si certaines ont un gagne-pain et une relative sécurité matérielle, d'autres galèrent dans les marges extrêmes : squat, prostitution, drogue, avec les dangers que cela représente.

Et personnellement je n'appelle pas ça la liberté, mais la servitude. Bien sûr, pour ne pas sombrer, on peut revendiquer la chute et le mauvais regard d'autrui. On peut reprendre à son compte le mot "pute" comme une affirmation de puissance et de lutte (même si on n'en est pas une, d'ailleurs), tout comme les noirs se sont emparés du mot "nègres" pour en faire un signe de ralliement et une manifestation de fierté.

Mais au fin du fin, il n'en reste pas moins, pour en revenir aux chiennes, que si leur combat est légitime sur la plupart des aspects, il rencontre là une terrible pierre d'achoppement.

Transectionnelles (mot à la mode, mais qui a sa raison d'être), elles jettent l'anathème sur la femme blanche qui émet des réserves sur la prostitution. C'est injuste. La femme blanche n'est pas toujours aussi conne que le croit Itziar Ziga, ni aussi malhonnête.

Je suis une femme blanche, et si je suis navrée par l'existence de la prostitution, ce n'est pas pour une raison morale, mais pour les conditions de son exercice. Car je suis pragmatique et constate, à mon grand regret, c'est vrai, mais je constate quand même qu'on semble ne pas pouvoir s'en passer. Or je ne suis pas à ce point entêtée et le jugement péremptoire de la dame Itziar Ziga fragilise l'ensemble de sa démonstration en m'excluant d'autorité. C'est pas beau pour une intersectionnelle.

Cette dernière nous démontre que puisque notre corps a une valeur marchande (et il en a une puisque des hommes assez nombreux essaient de s'en emparer de force et gratuitement), autant se faire respecter en faisant payer ses faveurs sexuelles. On ne prend en considération que ce qui nous coûte. C'est bien vrai. Je peux comprendre ça : il existe des femmes qui après un viol se sont réapproprié leur corps de cette façon : en le louant moyennant rétribution. Virginie Despentes en fait partie : la prostitution l'a aidée à restaurer la valeur de son corps ruinée par un viol subi à la sortie d'un concert.

Mais cela suppose une prostitution libre, sans proxénétisme. Cela suppose des clients bien élevés et non violents. Et la pratique établit que les prostituées sans macs ne sont pas légion, et que le métier est dangereux et expose à la violence.

Donc la petite blanche vexée et un peu bébête que je suis, attaquée par l'auteure, préconise très sérieusement (et c'est ce que je pense depuis longtemps) une prostitution transformée en profession libérale, avec cabinet de consultation, environnement juridique et administratif ; une prostitution reconnue comme une profession aussi honorable que celle de kiné, de poseuse d'ongles ou d'esthéticienne. Avec, pourquoi pas, en cas d'agression, alarme de sécurité branchée directement sur le standard d'une société de sécurité ou sur celui du commissariat, comme pour les cambriolages. Et peines exemplaires pour les proxénètes, parasites particulièrement dégueulasses. Qu'on aille chercher ailleurs les indics.

La seconde faille de raisonnement d'Itziar Ziga se trouve dans la façon dont elle traite la question du voile : si la femme blanche n'a pas le droit de l'ouvrir sur le sort de ses consoeurs, (et le sien aussi parfois), en revanche, les femmes musulmanes ont la liberté d'afficher le symbole de leur esclavage : le hijab. Les féministes radicales, au nom de la liberté, le défendent comme elles défendent les talons de 13 cm ou la coupe iroquoise multicolore. J'ai la faiblesse de préférer la coupe iroquoise au hijab, car le hijab est souvent porté, non comme simple signe de coquetterie transgressive, même si ça arrive, mais comme le fanion visible de la revendication agressive d'une identité religieuse.

La femme qui s'affiche dans l'espace public avec un hijab exhibe ce qu'elle prétend cacher et affiche la vulnérabilité d'un corps à peine toléré à des fins autres que sexuelles, tout comme celui de la prostituée. On désigne ce qu'on couvre : la nudité. L'esprit des passants, même distraits, est immédiatement confronté, non à un visage, à une démarche, ou même à l'érotisme d'un joli décolleté (puisqu'on ne sait pas s'il est joli), mais à l'idée que l'individu rencontré est porteur d'un vagin, unique certitude. Se couvrir de façon trop ostentatoire c'est se désigner comme objet exclusivement sexuel et exciter l'imaginaire. La vogue des films pornographiques mettant en scène des femmes intégralement voilées est la preuve que le hijab est une usine à fantasmes, en Occident comme dans les pays musulmans.

Les féministes radicales se trompent de cause en légitimant l'argument fallacieux de la pudeur présenté par certaines en faveur du hijab. Elles font là cause commune avec ceux qui promeuvent la détestation du corps féminin qu'elles avaient pourtant vocation à glorifier. Elles ont cédé au chant de la sirène millénaire qui sait faire feu de tout bois et s'insinuer jusque dans la tête de celles qu'elle opprime. Elles ont fait alliance avec l'ennemi qu'elles n'ont pas su reconnaître ; pire, elles tentent de disqualifier celles qui ne partagent pas leurs vues en les traitant de racistes et d'islamophobes. S'il est un procédé dont on doit se méfier, c'est bien celui qui tente d'intimider en culpabilisant, en vue d'interdire la libre expression. J'en viens donc à formuler l'hypothèse d'une tactique politique de représentativité maximale visant à s'incorporer des éléments hétérogènes, voire idéologiquement opposés, en profitant d'une vague passionnelle (com-passionnelle ?) et de la complexité d'analyse du phénomène sociologique concerné.

Et la meilleure preuve que leur raisonnement est biaisé (et qu'elles se sont fait b..., pour les plus candides d'entre elles), c'est que si les "outils" traditionnels ou exagérés de la féminité sont portés aussi bien par les hommes drag queens que par les femmes (talons aiguilles, bijoux, maquillage, jupes courtes, cheveux multicolores, bas résilles, porte-jaretelles, que sais-je encore), ce n'est pas le cas du hijab, qui est ultra archi discriminatoire et absolument-entièrement-exclusivement réservé au sexe feminin.

Eh bien voilà, j'accepterai le port du hijab quand les hommes féministes et athées le porteront aussi pour faire la fête ou pour se féminiser.

Itziar Ziga devrait lire Abnousse Shalmani et Chahdortt Djavann.
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Cet ouvrage est à la fois un essai, une autobiographie, une étude qui ne s'en veut pas une. L'autrice interroge ses amies féministes, ses "chiennes", sur leur vie, leur vision du genre et du féminisme, leur combat pour lutter contre le patriarcat.

Itziar Ziga a grandi dans une cité au Pays basque espagnol, elle a fait des études de journalisme et enchaîné des petits boulots tout en faisant des piges. Elle lutte aux côtés des LGBTQIA+, des TDS dont font partie quelques unes de ses amies. Elle aime la féminité revendiquée, extravagante, voire parodique, une forme d'hyperféminité, et dit elle-même parler comme un camionneur. C'est son langage cru et son humour qui m'ont séduite. Elle se hérisse contre le féminisme qui n'aurait pas réfléchi les questions de classe ou de genre, débouchant sur du validisme ou de la transphobie.
Elle révère Virginie Despentes et Paul B. Preciado qui le lui rendent bien avec un prologue élogieux signé de leurs mains.
Ce livre est le manifeste d'un féminisme punk, il charrie avec lui une ambiance de cabarets, de bars, de joie et de travestissement, de lutte au sein de la précarité.
J'ai aimé le fond et la forme, ses idées parfois livrées comme une confidence, par exemple l'idée qu'il est impossible de s'affranchir du binarisme ou du regard masculin qui scrute et valide les corps féminins. Qu'il est donc extrêmement difficile de choisir son apparence seulement pour soi, quand on est femme.
Ce livre déborde de joie et de liberté. Difficile de résister à la gouaille d'Itziar Ziga.
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Je ne sais pas pourquoi mais quand j'ai acheté ce bouquin, j'avais imaginé qu'il s'agissait d'un roman. Que nenni. Il s'agit là d'un manifeste. Un manifeste affirmant que les femmes ont le droit d'être pute si elles le désirent, d'être homme si ça leur chante, de s'habiller en latex transparent si ça leur plait. Bref, un manifeste pour qu'éclate la liberté de chacune (et chacun) de faire ce que bon lui semble de son corps et de son apparence, sans que celle-ci soit interprétée comme une invitation au viol ou au bashing.
La langue est vivante, elle claque et clashe, elle hurle l'indépendance et la tolérance, la sororité et l'anarchie.
J'adhère et sortirais bien mes talons aiguille, ma mini jupe en skaï et mon bustier pour être dans le ton.
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Accompagnée de ses chiennes-amies, l'auteure déglingue l'hétéronormativité et le patriarcat. C'est vulgaire, cru, crade et TELLEMENT jouissif.
J'ai rarement été aussi électrisé et galvanisé par un écrit féministe. Bienveillant et putain de puissant, ce texte est inoubliable !
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
l’écriture d’Itziar Ziga surgit de la périphérie de la grande ville, des barres d’immeubles d’Errenteria, de la périphérie du langage universitaire mais aussi de la périphérie du féminisme. Des périphéries viennent les meutes . Quand la féminité se construit en meute, elle se transforme en féminité subversive. Une chienne seul est une chienne morte, une meute est un commando politique. Les chiennes ne se consacre ni à la cuisine ni à la surveillance des enfants de la patrie. En meute chaque chienne est capable de mordre de s’organiser pour vivre en dehors du foyer. Les chiennes d’Itziar Ziga sont des animaux des confins, des salopes transnationales ou des gouines sans papiers pour qu’il le glamour de dépotoir est une façon de résister aux constructions normatif de genre, de classe, de sexualité ou d’appartenance nationale.
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On ne pardonne pas à la butch et au transgenre, qui sont cousins germains, de ne pas servir les hommes, de ne pas baiser avec eux et donner naissance à leurs fils, leurs héritiers. On ne pardonne pas à la femme féminine radicale d’être appétissante physiquement mais pas constamment disponible sexuellement. (…) Il y a quelques années, je jurais mes grands dieux que je m’habillais comme une pute parce que j’en avais envie, indépendamment de ce que pensaient les hommes. Mais ça n’est pas vrai : il est impossible de se construire à la marge du regard hégémonique masculin. Toutes les chiennes avec qui j’ai parlé m’ont expliqué comment leur mise en scène s’est toujours adaptée à leur besoin de répondre aux constantes interpellations publiques de la part des mâles. (p. 65)
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Ça me gêne toujours autant que l'on me recommande de changer (d'autant que les conseils normalisants, dans mon cas, ça rentre dans une oreille pour ressortir par l'autre). Être plus discrète, me couvrir plus, cacher mes formes avec des vêtements amples, mettre moins de fard à paupières, baisser la tête, dissimuler ma silhouette. Pour moi, ça reviendrait à céder. Et il ne mest jamais venu à l'idée de dire à quelqu'un : ma chérie, montre plus tes cuisses. Ce que chacune fait de son corps, ce sont les affaires identitaires de chacune, point. Une fois, j'ai raconté à un idiot qu'on m'avait agressée dans le métro à sept heures du matin alors que j'allais au travail et il m'a demandé : « Comment t'étais habillée ? » Il m'a presque paru plus machiste, à essayer de me rendre responsable de l'agression dont j'avais été victime, que l'inconnu qui m'avait attaquée.
Ce n'est pas parce qu'une femme montre ses cuisses que ça lui plait de se faire agresser. À chaque fois qu'elle se défend, c'est la sécurité de toutes les femmes qu'elle défend. À chaque fois qu'une pute, quelque part dans le monde, fait comprendre à un client que c'est elle qui contrôle la situation, c'est nous toutes qui y gagnons. Notre tamagotchi Pussy Power (littéralement, « pouvoir de la chatte ») gagne des vies. À chaque fois qu'une chienne ose sortir dans la rue dans une tenue transparente, la langue aiguisée prête à répondre et le pas décidé, la misogynie dominante perd des points.
De petits points certes, mais l'ennemi est grand et la moindre victoire compte.
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A croire que l’archétype de la femme lisant Cosmo et rêvant de Sex in the city a été créée par les féministes. Ces idiotes lâchent leur recette, un conseil à la superwoman de notre temps – stressée, blanche, hétéro et appartenant à la classe moyenne : ne renonce pas à ta féminité. Personnellement, je ne comprends pas, je dois vraiment être bête. C’est précisément cette femme – celle qui se rend malade à essayer d’incarner la meilleure des épouses, des mères et des employées possibles, celle qui veut continuer à être éternellement bonne pour que son mari ne se jette pas tout de suite sur sa secrétaire et aille moins baiser à droite à gauche, celle qui a en plus un hobby merveilleux qui lui apporte une touche de personnalité – c’est précisément elle qui a renoncé à tout sauf à sa féminité. Elle est encore mieux que la parfaite femme au foyer des années 50, parce qu’en plus elle ramène de l’argent à la maison. (p. 36)
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Autre chose que je n’arrive pas à comprendre dans ce discours prônant le retour à une douce féminité – est-ce que les femmes qui se sont rassemblées en groupes féministes aux États-Unis, en France ou encore en Espagne, ont cessé une seule fois de préparer le dîner à leurs petits maris ? (…) Que ce soit bien clair : je ne parle pas d’une féminité douce et autocomplaisante, loin de là. Je ne revendique pas la féminité des gentilles filles mais bien celle des chiennes méchantes. Une féminité extrême, radicale, subversive, spectaculaire, insurgée, explosive, parodique, sale, jamais impeccable, féministe, politique, précaire, combative, incommodante, vénère, pas coiffée, au mascara qui coule, bâtarde, décalée, perdue, prêtée, volée, déviante, excessive, exaltée, malpolie, canaille, vicieuse, marginale, trompeuse… (p. 37)
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