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Le voyageur passant par la bonne ville de Lausanne, au sein de la mésestimée Confédération Helvétique, a pour obligation — au moins aussi impérieuse qu'une longue contemplation de son Lac — de dédier une demi-journée à la visite de sa Collection de l'Art Brut, incroyable musée établi dans le discret Château de Beaulieu, abritant les oeuvres que Jean Dubuffet a réuni tout au long de sa vie sous la bannière d' « art des fous ».
(en passant, on remarquera une fois encore l'acte manqué de l'Etat Français pour accueillir ce type de fondation…)
Les questions que posent ces créations sur la nature même d'une oeuvre d'art, déjà sérieusement chamboulée par l'explosion des médiums dans les Arts Modernes et Contemporains, sont innombrables… alors que l'intelligence artificielle vient en poser de nouvelles, plus complexes encore.
La sincérité et le caractère quasi-naturel de leur essence les singularisent certainement, justifiant ce distinguo que d'autres trouveraient choquant, voire dégradant pour les adeptes de théories post-relativistes telle cette « neurodiversité », autre réponse de ceux qui pensent qu'essayer de se mettre d'accord sur certaines vérités équivaut à de l'oppression… le propos n'étant pas de réduire un individu à sa pathologie, mais bien de réfléchir à sa prééminence dans l'action créatrice…

Tout ça pour vous introduire un des plus beau exemple à ma connaissance d'Art Brut en littérature, fascinante et rare occurence d'une folie conscientisée, décrite avec la distance nécessaire par son récipiendaire dont la schizophrénie permettait ces effrayants moments de lucidité, d'auto-analyse jusqu'au vertige, sans toutefois en sortir tout à fait.

Unica Zürn s'est faite aussi connaitre pour ses dessins, malheureusement absents des deux livres en ma possession (avec « Sombre Printemps » au Serpent à Plumes), et pour ses anagrammes ou « écritures sorcières », proches de l'écriture automatique des Surréalistes qu'elle a fréquenté, dont certains exemples émaillent le livre, impossibles à apprécier du fait de leur traduction de l'Allemand.

Reste l'expérience sensorielle et abyssale de cette folie dont l'équilibre a fini par céder, émouvante résonance personnelle pour ceux qui la fréquente dans leur intimité ou dans leur entourage, ne cessant jamais de défier tout appel à une possible normalité.
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"Dans un abominable cliquetis un scorpion rouge et laqué tomba du ciel et heurta le plateau. Sans réfléchir si j'en avais le droit je le broyai au moyen d'une statuette de Bouddha en pierre que je trouvai à côté du plateau. le grincement furieux que provoqua sa destruction fit place à un craquement de verre lorsque je le jetai dans le feu. Un frisson d'ailes blanches traversa la fenêtre ouverte. Un aigle blanc s'inclina devant moi et pendant un long instant je me sentis étreinte par ses ailes. Ses magnifiques yeux bleus fixaient sur moi leur regard fier et heureux. Puis il reprit son vol vers le lointain. La poupée de cire, percée d'aiguilles noires, avec son visage pareil au mien, je la jetai au feu."

Récit autobiographique -
Descriptions de ses incarcérations en asile psychiatrique,
lourd - pesant - plombant
terrible - effrayant
dur - révoltant
d'une désespérance sans nom.

Allez ! Viens !
Je t'emmène loin, loin, dans le délire d'une âme qui se perd, une âme et d'autres avec elle déjà perdues.

Allez ! Viens !
Regarde le monde, ce monde
au-dedans de Soi
au-dehors des Autres

Loin, très loin, où la musique est triste
où la tendresse n'existe plus
où un gouffre s'ouvre sous ses pieds
où l'esprit vagabonde sur des routes sinueuses
où personne jamais n'y trouve son chemin
Et se perd .... se perd ....
Inexorablement !

Le corps ploie
L'esprit vacille
Regarde ! regarde par la fenêtre
Le jour, l'horizon du possible ...

Souris !
Rêve !
Attrape le Soleil, la Lumière, la Vie !

Tout déchire
Suprême douleur.

Fin du voyage

Fais dodo !

"Elle regarde se dérouler un film fascinant qui ne finit jamais".

Délire !
Quel livre !!!

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Unica Zurn est une écrivaine et plasticienne allemande née en 1916. Elle participa au courant surréaliste avec son compagnon Hans Bellmer. Elle composa des poèmes sous forme d'anagrammes et des textes poétiques ainsi que de nombreux dessins et des gravures.
Elle fut très proche d'Henri Michaux qui lui a inspiré le présent livre "L'homme Jasmin" et écrivit également un récit fantasmé d'enfance et de jeunesse intitulé "Sombre Printemps".
Elle fut très appréciée du cercle surréaliste car elle était la seule à pouvoir franchir la zone qui sépare la réalité de l'imaginaire grâce à ses troubles psychiatriques dont elle sut faire une source de création.
Unica Zurn se suicida en 1970.
L'homme Jasmin est le journal d'une folie. On mesure bien à sa lecture le génie de cette femme qui sut transformer des symptômes cliniques dont elle connaissait la banalité en oeuvre d'art. le style est limpide et envoûtant.
Pourquoi n'est-elle pas davantage connue ? Sans doute, l'univers de qui passe à travers le miroir est-il inquiétant. Mais cette lecture est une expérience à tenter si on aime le surréalisme.
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L'Homme-Jasmin commence par un rêve d'enfance. Suivant l'exemple d'Alice, la jeune Unica Zürn passe de l'autre côté du miroir, où a lieu un dédoublement a priori assez bénin, puisqu'il s'agit de l'apparition d'un ami imaginaire : l'Homme-Jasmin éponyme. Mais celui-ci provoque d'emblée un jeu de regards interne, comme deux miroirs face à face dédoublant à l'infini l'image que la jeune Unica se fait d'elle-même. En effet, la forme originelle de l'Homme-Jasmin n'est décrit que par ses yeux bleus, dans lesquelles Zürn voit « l'image de l'amour ». Il lui dispense « deux leçons qu'elle n'oubliera jamais :
Distance.
Passivité. »

Zürn se retrouve ainsi hors d'elle-même, et l'on comprend mieux son choix narratif de se désigner par le pronom « elle ». Cette distance, enseignée par l'Homme-Jasmin, lui permettra de se ressaisir objectivement hors du chaos de sa folie à venir.

Mais la distance est aussi un symptôme de sa crise d'altérité. À travers son double inavoué de l'Homme-Jasmin, l'observée se voit s'observer elle-même, et ne sait plus où elle est, qui elle est.

À l'âge adulte, elle rencontrera le poète Henri Michaux, un personnage qui la fascinera au point de lui paraître incarner l'Homme-Jasmin. La sensation d'être observée par son idéal devient ainsi objective, mais d'autres fantasmes viennent s'y greffer, comme celui d'être manipulée de loin. La réalité commence ainsi à être interprétée à l'aune de ces projections paranoïaques, qui s'auto-alimentent.

Dans ce texte, Zürn évite soigneusement de nommer Michaux, préférant lui substituer l'alias de l'Homme blanc (reliquat de la blancheur du jasmin ?) ou de HM, initiales que Zürn confond à dessein avec son écrivain favori Hermann Melville, comme pour se tromper elle-même et préserver ainsi sa santé mentale, dont elle comprend la fragilité en parvenant parfois à trouver assez de recul pour définir son mal : « Comme elle n'est pas assez intelligente, elle veut absolument croire qu'il l'hypnotise. Son cerveau, pas plus grand que celui d'un poulet, ne comprend pas que c'est elle-même qui s'hypnotise en laissant constamment sa pensée tourner autour de la même personne. Lui, c'est l'aigle qui décrit des cercles autour du petit poulet masochiste. »

À l'instar de cette dernière image tragi-comique, le rapport entre Unica Zürn et Henri Michaux se fait avant tout sur le mode de la rêverie surréaliste, comme dans le passage hallucinatoire où la narratrice se voit (à distance bien sûr, au fond d'elle-même) exécutant sous les ordres de l'Homme blanc une danse difforme, qui démultiplie ses membres et la métamorphose de façon symbolique. La « passivité » inculquée par l'Homme-Jasmin devient une soumission inconditionnelle à la volonté de l'Homme blanc.

Le fantasme d'une force hypnotique exercée par une figure masculine m'a fait penser au récit En-bas de Leonora Carrington, autre épitomé de la folie féminine chez les surréalistes. Toutefois, malgré l'importance donnée ici à la distance, Zürn ne bénéficie justement pas du même recul que Carrington, puisqu'elle écrit entre deux crises, là où son aînée avait su, en partie grâce à l'écriture, traverser sa « grande épreuve de l'esprit » (pour reprendre une expression de Michaux, qui admirait le récit de Carrington : tout se rejoint, il y aurait de quoi devenir paranoïaque…). de plus, fidèle à la passivité de l'Homme-Jasmin, Zürn refuse de changer : à un psychiatre qui lui demande si elle croit en sa guérison, elle répond « non », « avec un certain plaisir ». le monde lui paraît « morne » sans les visions hallucinatoires causée par le premier stade de ses crises.

En pratiquant l'écriture et le dessin, Unica Zürn ne cherche donc pas à se guérir. Son identité d'artiste s'affirme par la dépersonnalisation, via les figures extraordinaires qui lui apparaissent au début de ses crises et lui inspirent ensuite ses dessins aux formes foisonnantes et aux yeux grouillants. Ils sont comme un jeu pour faire éclater les formes : des figures définies par la disparition de corps définis et singuliers. de même, le recueil est truffé d'anagrammes qui disloquent le langage et font émerger de nouveaux sens. Tous ces jeux participent de son identité paradoxale, qui prend forme en déformant. Mais c'est aussi sa schizophrénie qui y triomphe.

Avec son homme-jasmin devenu Homme blanc, Unica Zûrn pratique un « jeux à deux » dont les règles délirantes visent à laisser ses personnages imaginaires s'entre-déchirer de leurs regards distants, jusqu'à avoir « succombé au pouvoir de leurs yeux ».

Notons pour finir que l'influence du style de Michaux devient palpable dans la dernière partie du recueil, intitulée « La maison des maladies », où l'on retrouve l'exploration fantaisiste d'un corps altéré - ici celui d'Unica Zürn - observé à distance, dans un état de conscience modifié. Ce corps devient bien plus grand que sa propriétaire, suffisamment pour qu'elle tienne tout entière dans chacune de ses parties, mais sans le contrôler. le « je » d'Unica Zürn se retrouve enfin dans la narration, mais prisonnier d'un corps non contrôlé, de ce « elle » où rôde une mort personnifiée, qui la supervise. Cela constitue une magnifique métaphore filée renvoyant à la fois à cette sensation d'être prisonnière d'elle-même, mais aussi à ses séjours dans des institutions psychiatriques en Allemagne puis en France qui rythment le récit de l'Homme-Jasmin et la confrontent à des malades mentaux qui se parlent à eux-mêmes et luttent avec eux-mêmes. Autant de reflets déformés du cas Unica, dans le miroir brisé d'Alice.

Au-delà de tout ce qu'il peut avoir de dérangeant, ce livre demeure très éclairant sur les prisons que l'on peut se construire, et les rapports ambigus qu'elles entretiennent avec la création artistique (Dali ne disait-il pas que ce qu'il haïssait le plus au monde, c'était la liberté ?)
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Challenge ABC 2018-2019, 14/26
Challenge Plumes Féminines

Qu'en dire ? Ce n'est pas une lecture facile. Ce n'est pas facile d'en parler non plus. Elle m'a beaucoup fait penser à L'Ombilic des Limbes d'Artaud (qu'elle évoque aussi), surtout lors de la lecture de la première partie, où elle décrit (est-ce vraiment le bon terme ?) ses hallucinations lors des ses périodes à la fois dépressives et schizophrènes. C'est la partie la plus pesante, celle que j'ai eu le plus de mal à lire. Celle où les obsessions sont les plus présentes : l'homme-jasmin, qui devient l'Homme Blanc (et qui n'est pas un médecin), les deux figures qui annoncent les internements, mais aussi les injections faites pour changer de sexe (ainsi, elle craint que l'homme avec qui elle vit, Hans Bellmer ne soit transformé en femme). Les dernières parties sont moins lourdes à lire, elle parle de ses différents internements et reconnait les signes avant-coureurs d'une crise ; elle peut anticiper Globalement, l'hôpital psy semble être un endroit où elle se sent en sécurité, où elle peut travailler
Cette plongée dans la psyché de Zürn ne se fait pas sans mal, ni sans malaise. Il n'ai pas facile de se figurer dans un cerveau malade, qui fonctionne d'une manière différente du sien propre.
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Découverte dans ce livre d'un mystère trop rationnel pour ne pas être psychotique. Mystère démystifié et vide qui n'attend que la toute-puissance du néant pour anéantir tout signe de vie. En attendant, le mystère se traîne et se cogne contre la banalité quotidienne. Unica Zürn témoigne d'une folie discrète qui pourrait presque passer inaperçue si elle ne venait pas saluer régulièrement son entourage sous la forme du retour d'une obsession étrange, fascination autour d'un mot ou d'une image qui devient, l'espace de quelques jours, le point iconique guidant une existence, et plus réel que les objets alentours.


Le récit de Zürn témoigne de ces crises qui surgissent entre deux périodes où les jours s'écoulent, calmes et pleins d'une énergie qui déjà tourne en rond. La créativité littéraire s'épanouit alors sous forme d'anagrammes. Lors des crises, c'est l'inquiétante étrangeté qui vient se glisser partout et fait au monde ordinaire se superposer une nouvelle réalité d'interprétations discordantes.
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Entre Paris et Berlin
Entre visuel et verbal
Entre l'"écriture (d'une adepte du dessin) automatique" et la technicité de l'anagramme
Entre le journal (à la 3ème personne) d'une aliénée et le récit d'hallucinations accueillies comme des dons
Entre numérologie (parmi d'autres sur-interprétations) et Alice au pays des merveilles
Entre le regard ébloui d'une enfant et les visions sanglantes d'une suicidaire
Entre la précision tragique des réclusions psychiatriques et le flou onirique des relaxes dangereuses.

[Entre sueurs fiévreuses sous l'édredon et un velux couvert de neige d'où ne pointe que la complexité touffue d'innombrables branches noires.]

Témoignage artistique d'une bipolaire : profondément et durablement troublant.
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une oeuvre littéraire lucide, tirée du plus profond de l'être de son auteur.....
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Ne pas se fier au sous-titre "Impressions d'une malade mentale" qui laisserait croire qu'on est ici en face d'un simple témoignage comme il en existe des milliers ou, pire, d'un rapport clinique. Non, ceci est de la littérature, et de la bonne : empreinte de sensibilité et de poésie. D'origine allemende, Unica Zurn, adepte des anagrammes et du "dessin automatique" a été la compagne de Hans Bellmer, elle s'est suicidée en 1970. Un beau à livre à découvrir grâce à la collection "L'Imaginaire" de Gallimard qui décidément ne publie que des textes de qualité.
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FOR EVER UNICA.
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