Il fut un temps où les hommes étaient prêts à mourir pour briser les fers qu’on avait refermés de force sur leurs pieds et leurs mains. Aujourd’hui nous choisissons volontairement d’enchaîner nos poignets aux anses de nos sacs de shopping.
" Il fut un temps où les hommes étaient prêts à mourir pour briser les fers qu'on avait refermés de force sur leurs pieds et leurs mains.
Aujourd'hui nous choisissons volontairement d'enchaîner nos poignets aux anses de nos sacs de shopping ......"
Je crois d'ailleurs qu'il n'y a rien de plus satisfaisant au monde que d'ouvrir ses rideaux et de regarder par la fenêtre, le matin, en sachant que la journée va être belle. C'est un bonheur qui est sûr d'arriver. P. 71
… le printemps était déjà là, offert, un aperçu de l’été. Je me répétais intérieurement : Souviens-toi, souviens-toi, ce n’est pas une promesse de bonheur, c’est le bonheur. Il fallait souvent que je rappelle de cesser de voir les beaux moments de ma vie comme des ébauches de plus longs, de plus beaux moments encore à venir, mais au lieu de cela de les accepter comme tels, sans les charger d’un avenir qui ne viendrait pas puisqu’il était déjà là.
A un moment précis et très court, je compris ce que c'était qu'une famille. La seconde d'après j'avais oublié.
J'aimais bien la mère de Cassiopée, mais elle pouvait être agaçante. La fumée de ses cigarettes l'entourait de la même façon que les grandes écharpes indiennes qu'elle portait souvent: avec une fierté farouche, la fierté d'en savoir plus que les autres et d'avoir déjà vécu mille vies.
Il y a dans les fêtes de fin d'année, le Nouvel An surtout, une conscience collective de la mort qui arrive. La lumière du 1er janvier, qu'elle soit éclatante ou terne, lui paraît toujours passer par un vitrail d'eglise.
Elle vit dans une réalité de yaourts et de coussins, dont Romain, dès qu'il rentre, l'arrache pour l'entraîner avec lui dans un espace aussi désert que le parking d'un centre commercial en pleine nuit.
C’était un beau mariage. Je me souviens de la robe que maman avait mise ce jour-là. En la voyant arriver ainsi, j’ai eu honte, puis j’ai eu honte d’avoir honte de ma mère. « C’est ethnique, ma chérie », m’avait-elle dit avec un grand sourire. Elle portait avec ça des boucles d’oreilles en bois triangulaires, une catastrophe. Je me rappelle d’ailleurs avoir été furieuse contre elle, qu’elle choisisse de s’habiller comme cela le jour de mon mariage. Alors que je lui avais acheté une robe Hermès absolument somptueuse, qui était tout à fait de son âge... Je me suis dit que rien ne pouvait entraver mon bonheur, ce jour-là, et c’était aussitôt devenu vrai. Lucie était déjà dans mon ventre, Benjamin arriverait trois ans plus tard.
Ma mère avait amené une espèce de vieux beau en costume à mon mariage. Mon père était mort depuis longtemps, mais intérieurement j’étais tout de même révoltée. C’était comme la négation de toute la vie qu’on avait eue tous les trois. Je n’ai pas de frères et sœurs. Ça a toujours été moi, rien que moi. Quand mon père est parti, je me suis retrouvée seule face à elle, ne sachant quoi faire. Je ne voulais pas partager un deuil avec elle. Son regard était difficile à soutenir. Cet air vague qu’elle avait le matin en faisant le café. Je savais qu’elle pensait à lui. Et cette musique qu’elle écoutait toujours trop fort, Bob Dylan, Leonard Cohen, Janis Joplin. Je fais souvent l’expérience de ce type d’agacement bien particulier, celui que l’on ressent pour les gens dont on est proche et que l’on connaît par cœur.
Petite, j’avais honte quand elle venait me chercher à l’école. Toutes les autres mères portaient des colliers, des vestes en tweed, des petits talons. Ma mère arrivait en pantalon à carreaux et perfecto en cuir. Elle ne prêtait jamais attention aux autres mères, ou alors leur adressait un sourire radieux, dans lequel pointait l’insolence, lorsqu’elle croisait leur regard effaré. Elle fumait des joints devant mes copines. Je suis sûre qu’elle s’en est roulé un avant de se mettre au lit, le soir de sa mort. Je peux presque visualiser le mégot écrasé sur sa table de nuit. Plus tard, mes amies m’ont enviée d’avoir une mère aussi "rock’n’roll". Elles ne pouvaient pas comprendre.
Cela fait des années que je n’ai pas pleuré.
Tout était calme dans l'appartement, un calme très particulier, comme avant une bataille. Celle que nous livrons tous les jours et qui est toujours la même, dans le même ordre. La bataille que nous ferons jusqu'à la mort, et que nous ne pouvons qu'accepter, car nous ne savons pas faire autrement.