Le dimanche 22 novembre 2020, François Groff, de la librairie le Livre et la Tortue, présente sur le journal de 13h de TF1, le nouveau roman de Gilles Marchand, REQUIEM POUR UNE APACHE (éditions Aux forges de Vulcain).
Pour en savoir plus sur ce roman : https://www.auxforgesdevulcain.fr/collections/fiction/requiem-pour-une-apache/
Et par les campagnes, les femmes se raconteront cette histoire, entre femmes, entre servantes, entre dames, et l'histoire voyagera vers le sud et vers le nord à travers l'île, elle deviendra légende, et la légende servira de mise en garde, et ses moniales seront doublement protégées par ce puissant récit.
… les enfants qu’on envoie dans ce type d’école sont des requins, mon jeune ami. Des bébés requins issus d’une longue lignée de requins, tous autant qu’ils sont. Et les requins sentent l’odeur du sang à des kilomètres à la ronde, et quel est le sang qui les attire ici ? La peur. S’ils la reniflent dans l’eau, ils pourchassent celui qui saigne. Ce n’est pas de leur faute. Ils ne peuvent pas s’en empêcher.
(Édition de l’Olivier, p.201)
Ils s’appelaient Lotto et Mathilde. L’espace d’une minute, ils contemplèrent une mare remplie de créatures pleines d’épines qui, en se cachant, soulevaient des tourbillons de sable. Il prit son visage entre ses mains et embrassa ses lèvres pâles. Il aurait pu mourir de bonheur en cet instant. Il eut une vision, il vit la mer enfler pour les ravir, emporter leur chair et rouler leurs os sur ses molaires de corail dans les profondeurs. Si elle était à ses côtés, pensa-t-il, il flotterait en chantant. Certes, il était jeune, vingt-deux ans, et ils s’étaient mariés le matin même en secret. En ces circonstances, toute extravagance peut être pardonnée.
« Elle se surprit à penser que la vie avait une forme conique, le passé s’évasait à mesure qu’il s’éloignait du moment présent, à la pointe du cône. Plus on vivait, plus la base s’élargissait, de sorte que des blessures et des trahisons, quasi imperceptibles au moment où elle s’était produites, s’étiraient comme des points minuscules sur un ballon de baudruche qu’on gonfle peu à peu. Une petite tache sur l’enfant frêle se transformait en une difformité énorme sur l’adulte, impossible à franchir et aux bords frangés. »
Il souffre de la maladie du "Grand Artiste américain". Toujours plus grand. Toujours plus bruyant. Se battant pour avoir la place la plus en vue dans une lutte hégémonique. Vous ne croyez pas qu'une sorte de mal s'abat sur les hommes de ce pays quand ils s'essaient à l'art ?
Elle est déconcertée de découvrir que Paris est devenu en quelque sorte floridien, avec toute cette humidité, ces stucs roses et la cellulite qui dépasse des shorts. Il fait dix degrés de plus qu'il ne devrait, et le bruit et la lumière sont plus violents que dans son souvenir. Elle a toujours pensé que Paris serait l'endroit où se réfugier quand éclateraient les guerres climatiques qu'elle voit inexorablement poindre à l'horizon. Une cité d'eau entourée de champs, tempérée, contenue. Mais peut-être ne reste-t-il plus aucun refuge possible ; peut-être que sur une planète chaude, les endroits seront tous aussi néfastes les uns que les autres, partout le désert et la faim, même ici.
J’ai un million d’idées. Elles bouillonnent en moi. J’ai dû faire un tour pour leur échapper, mais le problème avec les idées, c’est que plus on marche, plus il y en a. Elles se multiplient dans le chaudron de l’esprit.
(Édition de l’Olivier, p.148)
Au pied de l'escalier, Lancelot souriait à son propre visage buriné dans le miroir tout en nouant sa cravate. A le voir ainsi, on ne pouvait deviner combine son corps avait été meurtri cette année-là. Il avait souffert, mais en était ressorti plus fort. Et peut-être même plus séduisant. Les hommes en sont capable, ils gagnent en charme avec l'âge. Les femmes se contentent de vieillir. Pauvre Mathilde avec son front pareil à de la tôle ondulée. Dans vingt ans, elle aurait les cheveux gris, le visage plein de rides. Mais elle serait toujours belle, songea-t-il avec une impeccable loyauté.
À un moment, malgré son intelligence et son art d'administrer les choses, elle était devenue une épouse, et les épouses, nous le savons tous, sont invisibles. Les elfes de minuit du mariage.
« Entre leurs deux peaux, le plus fin des espaces, à peine assez pour l’air, pour ce voile de sueur qui à présent refroidissait. Et pourtant, un troisième personnage, leur couple, s’y était glissé. »