Rares étaient ceux qui pouvaient comprendre qu'ils devaient sauver le monde non par la violence à court terme, mais par la douceur à long terme.
Lorsque les nébuleuses étaient jeunes, le cosmos entier vibrait de leur bavardage.
Dans sa forme la plus pure et la plus réussie, bien sûr, la religion du moi s'identifie presque à celle de l'amour sublimé. Aimer, c'est vouloir le parfait accomplissement de l'être aimé et trouver, dans l'acte même d'aimer, une réalisation fortuite, mais stimulante , de soi-même. D'autre part, être fidèle à soi-même, à toutes ses possibilités, implique l'amour et réclame l'allégeance du moi individuel à un moi plus grand embrassant la communauté et l'accomplissement de l'esprit de la race.
Mais la religion du moi n'avait pas plus de prise sur les échinodermes que sur nous celle de l'amour. Le précepte : Tu aimeras ton voisin comme toi-même nourrit le plus souvent chez nous la faculté de considérer notre voisin comme une pâle imitation de nous-même, et de la haïr s'il ose être différent.
Comme nous, ils avaient atteint l'étape où l'esprit sorti de l'abrutissement et très loin de la maturité peut souffrir le pire désespoir et infliger la pire férocité. Comme nous, ces mondes tragiques, mais vivants, étaient tourmentés par l'incapacité de suivre les circonstances changeantes. Ils étaient toujours en retard, appliquant toujours de vieux concepts et de vieux idéaux inappropriés aux situations nouvelles. Comme nous, ils étaient sans cesse torturés par la faim d'une communion que leur nature réclamait, mais que leurs pauvres esprits couards et égoïstes ne pouvaient en aucune façon atteindre. Seuls les couples et les petits cercles d'amis pouvaient établir une vraie communauté, la communion de la compréhension et du respect mutuels, et de l'amour. Mais en tribus et en nations ils concevaient trop facilement la fausse communauté de la horde, hurlant en chœur leur peur et leur haine.
La seule, la vraie question, c'est de savoir si la véritable place de l'amour est sur la croix ou sur le trône.
Le sport du vol désincarné parmi les étoiles est sans doute le plus exaltant des exercices athlétiques. Ce n'était pas sans danger, mais un danger, comme nous ne tardâmes pas à le découvrir, psychologique et non pas physique.
Les gouvernements découvrirent bientôt que la nouvelle invention leur donnait un pouvoir à bon marché sur leurs sujets. Un apport constant de luxe illusoire permettait de faire tolérer les taudis.
(...)
Grèves et révoltes pouvaient être jugulées sous la menace de fermer les studios d'émission ou en inondant l'air au moment critique de quelque nouveauté à sensation.
II Le second âge des ténèbres
Il nous faut à présent passer rapidement sur le second âge des ténèbres, pour n'y observer que les influences qui devaient s'exercer sur l'avenir de l'humanité.
Siècle après siècle, l'énergie contenue de l'immense explosion se perdit, mais il fallut des centaines de milliers d'années pour que commencent à s'éteindre tous les volcans jeunes, et des millions d'années pour que la vie soit à nouveau possible sur toute la planète.
Pendant cette période, il y eut de grands changements, l'atmosphère devint plus claire, plus pure et moins turbulente. Avec l'abaissement de la température, le gel et la neige réapparurent de temps à autre dans les régions arctiques. Et le moment arriva où les calottes glaciaires se reformèrent. Entre temps, le processus géologique ordinaire, renforcé par les bouleversements que l'accroissement de la pression interne faisait subir à la planète, commença à changer les continents....
(extrait du chapitre VI "Transition")
En radio et télévision par exemple, les Autres Hommes étaient techniquement très en avance sur nous, mais l'usage qu'ils faisaient de leurs étonnantes inventions était désastreux. Dans ces pays civilisés, tous, sauf les parias, transportaient dans leur poche un récepteur. Comme la musique n'existait pas, cela pouvait sembler bizarre ; mais comme ils étaient sans journaux, la radio était le seul moyen de connaître, pour l'homme de la rue, les résultats de la loterie et du sport, élément capital dans leur vie.
Pourtant, malgré l'épouvante, nous voulions voir et faire face à l'Esprit du cosmos. Car, à mesure que nous avancions, de tragédie en farce, de farce en gloire, de gloire en tragédie, la sensation d'un secret terrible, sacré et meurtrier en même temps, se précisait. Nous étions déchirés entre l'horreur et la fascination, entre la rage contre l'univers (ou le Créateur d'étoiles) et la ferveur irraisonnée.