Rencontre avec Georges Patrick Gleize dont le dernier livre s'intitule "La dernière traque"
Le son lointain d'une cloche égrena les heures, monocorde. Sans doute provenait-il d'une sonnerie électrique car, dans le pays, il n'y avait plus de bedeau depuis belle lurette en ces temps de déchristianisation profonde où les curés officiaient devant des auditoires faméliques.
Ce plastique stratifié issu d’un assemblage de feuilles de papier kraft imprégné de résine de synthèse que l’on polymérisait, alliait la robustesse d’un matériau résistant aux chocs et le brillant d’une surface facile à nettoyer. « Le Formica, c’est formidable… », comme le proclamait à longueur de journée le slogan publicitaire sur les ondes d’Andorradio.
Vaincus autant par la force mécanique des dictatures que par la lâcheté des démocraties, la tête basse, la rage au cœur, ils (les Républicains espagnols) avaient été enfermés comme du bétail derrière les barbelés des camps du mépris.
Dans ce village bien tranquille où il ne devait sans doute jamais rien se passer, il devinait l'imperceptible mouvement des rideaux derrière les carreaux des fenêtres. En cette France profonde de toujours et d'aujourd'hui, tout étranger était un suspect en puissance dont l'apparition alimentait commentaires et ragots. Il n'y échapperait pas.
De toutes les fibres de sa perspicacité, elle sentait que ce type avait quelque chose de particulier. Il était différent des clients ordinaires. C’était indéfinissable.
Un pays rude où les vieux sont économes de leurs mots parce qu'ils connaissent mieux que quiconque le prix du silence qui mène au chemin de l'oubli.
Le bâtiment ressemblait à nombre de ces fermes en ruine que la végétation grignote comme les lotissements mitent l’espace rural pour le périurbaniser et lui ôter la profondeur de son âme.
Formés à l’école normale, pétris des valeurs d’une république laïque, nourris de « Liberté, Égalité, Fraternité » que l’État français avait remplacées par « Travail, Famille, Patrie », ses parents, militants avant-guerre au syndicat national des instituteurs que le régime de Vichy avait dissous, n’étaient-ils pas de fervents lecteurs de l’hebdomadaire L’École libératrice où le philosophe Alain publiait des tribunes ?
Sans se soucier davantage du devenir de son grincheux voisin, Pauline laissa tomber le pan de rideau en Tergal de la croisée et baissa la tête pour se concentrer sur son ouvrage : repriser maille après maille des fils de coton beige afin de rapetasser le talon translucide d’une paire de chaussettes de son mari tant qu’il y avait assez de lumière pour ses yeux fatigués.
Mais Roger Darmon avait la sérénité de l’histoire pour lui. Loin de tout sentiment de revanche, il n’avait fait que chercher la vérité pour honorer la mémoire d’un père inconnu, sans doute idéalisé.