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4.07/5 (sur 62 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Paris , 1947
Biographie :

Michel Delon est professeur émérite de littérature française du XVIIIe siècle à l’Université Paris IV-Sorbonne.

Après des études de lettres à la Sorbonne et une agrégation de Lettres modernes, il devient Assistant à l’Université de Caen en 1973, puis Maître de conférences à l’Université d’Orléans en 1981. Il obtient en 1985 le Doctorat d’État, sous la direction de Robert Mauzi, puis devient Professeur à l’Université de Paris X-Nanterre en 1988. Depuis 1997, il est Professeur à l’Université de Paris IV-Sorbonne.

Il est spécialiste du siècle des Lumières, en particulier de l’histoire des idées et de la littérature libertine. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur cette époque et l’éditeur, notamment, du "Dictionnaire européen des Lumières" (1997) ainsi que des "Œuvres" de Sade, des "Contes et romans" et des "Œuvres philosophiques" de Diderot dans la Bibliothèque de la Pléiade.

En 2014, il fut commissaire d'exposition à la Fondation Martin Bodmer pour "Sade, un athée en amour". Il collabore à de nombreux autres travaux.
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Source : Wikipédia
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Goethe et Diderot, l'invention du Neveu.


Citations et extraits (69) Voir plus Ajouter une citation
Comment faire sentir que ce philosophe du XVIIIe siècle vivait dans un monde tout différent du nôtre ? Ses références n'étaient pas celles qui nous aident à nous repérer. A son esprit, les citations antiques venaient les premières. Il pensait souvent en latin. Et ce militant anticlérical était nourri d'une culture religieuse que possèdent bien peu de baptisés d'aujourd'hui.
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Madame de Pompadour lui demande s'il est vraiment de là-bas :
- D'où donc ?
- De Venise
- Venise, Madame, n'est pas là-bas ; elle est là haut.
Le dialogue se déroule dans une salle d'opéra à Fontainebleau. Giacomo Casanova y a suivi l'ambassadeur de Venise. Il se trouve au-dessous de la loge où la maîtresse du Roi suit le spectacle. Il se fait remarquer par des rires puis par des éternuements intempestifs. Tel est Casanova, tel est son sens de la mise en scène. Le dialogue a-t-il réellement eu lieu ? On ne demande qu'à y croire. Un théâtre offre un décor idéal, double spectacle sur la scène et dans la salle. Casanova a besoin e s'approcher du pouvoir, d'attirer l'attention. Plus grand que la moyenne, plus chamarré qu'il ne convient, iil a le verbe haut, la réplique qui frappe. Ses dentelles, ses breloques, ses bagues, forcent l'attention.
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Sophie, grande lectrice de Montaigne, est encouragée à se prêter au défi extrême d'un amour hors norme, pensé comme une expérimentation philosophique: faire mentir le pessimisme des moralistes, combiner vertu courtoise (attachement , fidélité, raffinement du sentiment) avec la recherche d'une récompense terrestre.....

Diderot sait que dans la relation à Sophie, il choisit l'exploit, la difficulté: c'est un pari éthique autant qu'esthétique.
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Michel Delon
Les actifs partent à l’assaut du monde, le contemplatif se met à l'écoute de lui-même et de ce qui l'entoure.
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POÈME SUR LE DÉSASTRE DE LISBONNE

O malheureux mortels! ô terre déplorable!
O de tous les mortels assemblage effroyable!
D'inutiles douleurs éternel entretien!
Philosophes trompés qui criez : « Tout est bien »;
Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants l'un sur l'autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés;
Cent mille infortunés que la terre dévore,
Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours
Dans l'horreur des tourments leurs lamentables jours!
Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous: « C'est l'effet des éternelles lois
Qui d'un Dieu libre et bon nécessitent le choix? »
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes:
« Dieu s'est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes? »
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants?
Lisbonne, qui n'est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices:
Lisbonne est abîmée, et l'on danse a Paris.
Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,
De vos frères mourants contemplant les naufrages,
Vous recherchez en paix les causes des orages:
Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups,
Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.
Croyez-moi, quand la terre entr'ouvre ses abîmes,
Ma plainte est innocente et mes cris légitimes.
Partout environnés des cruautés du sort,
Des fureurs des méchants, des pièges de la mort,
De tous les éléments éprouvant les atteintes,
Compagnons de nos maux, permettez-nous les plaintes.
C'est l'orgueil, dites-vous, l'orgueil séditieux,
Qui prétend qu'étant mal, nous pouvions être mieux.
Allez interroger les rivages du Tage;
Fouillez dans les débris de ce sanglant ravage;
Demandez aux mourants, dans ce séjour d'effroi,
Si c'est l'orgueil qui crie: « O ciel, secourez-moi!
O ciel, ayez pitié de l'humaine misère! »
« Tout est bien, dites-vous, et tout est nécessaire. »
Quoi! l'univers entier, sans ce gouffre infernal,
Sans engloutir Lisbonne, eût-il été plus mal?
Êtes-vous assurés que la cause éternelle
Qui fait tout, qui sait tout, qui créa tout pour elle,
Ne pouvait nous jeter dans ces tristes climats
Sans former des volcans allumés sous nos pas?
Borneriez-vous ainsi la suprême puissance?
Lui défendriez-vous d'exercer sa clémence?
L'éternel artisan n'a-t-il pas dans ses mains
Des moyens infinis tout prêts pour ses desseins?
Je désire humblement, sans offenser mon maître,
Que ce gouffre enflammé de soufre et de salpêtre
Eût allumé ses feux dans le fond des déserts.
Je respecte mon Dieu, mais j'aime l'univers.
Quand l'homme ose gémir d'un fléau si terrible,
Il n'est point orgueilleux, hélas! il est sensible.
Les tristes habitants de ces bords désolés
Dans l'horreur des tourments seraient-ils consolés
Si quelqu'un leur disait: « Tombez, mourez tranquilles;
Pour le bonheur du monde on détruit vos asiles;
D'autres mains vont bâtir vos palais embrasés,
D'autres peuples naîtront dans vos murs écrasés;
Le Nord va s'enrichir de vos pertes fatales;
Tous vos maux sont un bien dans les lois générales;
Dieu vous voit du même oeil que les vils vermisseaux
Dont vous serez la proie au fond de vos tombeaux? »
A des infortunés quel horrible langage!
Cruels, à mes douleurs n'ajoutez point l'outrage.
Non, ne présentez plus à mon coeur agité
Ces immuables lois de la nécessité,
Cette chaîne des corps, des esprits, et des mondes.
O rêves des savants! ô chimères profondes!
Dieu tient en main la chaîne, et n'est point enchaîné;
Par son choix bienfaisant tout est déterminé:
Il est libre, il est juste, il n'est point implacable.
Pourquoi donc souffrons-nous sous un maître équitable?
Voilà le noeud fatal qu'il fallait délier.
Guérirez-vous nos maux en osant les nier?
Tous les peuples, tremblant sous une main divine,
Du mal que vous niez ont cherché l'origine.
Si l'éternelle loi qui meut les éléments
Fait tomber les rochers sous les efforts des vents,
Si les chênes touffus par la foudre s'embrasent,
Ils ne ressentent point les coups qui les écrasent:
Mais je vis, mais je sens, mais mon coeur opprimé
Demande des secours au Dieu qui l'a formé.
Enfants du Tout-Puissant, mais nés dans la misère,
Nous étendons les mains vers notre commun père.
Le vase, on le sait bien, ne dit point au potier:
« Pourquoi suis-je si vil, si faible et si grossier? »
Il n'a point la parole, il n'a point la pensée;
Cette urne en se formant qui tombe fracassée,
De la main du potier ne reçut point un coeur
Qui désirât les biens et sentît son malheur.
Ce malheur, dites-vous, est le bien d'un autre être.
De mon corps tout sanglant mille insectes vont naître;
Quand la mort met le comble aux maux que j'ai soufferts,
Le beau soulagement d'être mangé des vers!
Tristes calculateurs des misères humaines,
Ne me consolez point, vous aigrissez mes peines;
Et je ne vois en vous que l'effort impuissant
D'un fier infortuné qui feint d'être content.
Je ne suis du grand tout qu'une faible partie:
Oui; mais les animaux condamnés à la vie,
Tous les êtres sentants, nés sous la même loi,
Vivent dans la douleur, et meurent comme moi.
Le vautour acharné sur sa timide proie
De ses membres sanglants se repaît avec joie;
Tout semble bien pour lui: mais bientôt à son tour
Un aigle au bec tranchant dévora le vautour;
L'homme d'un plomb mortel atteint cette aigle altière:
Et l'homme aux champs de Mars couché sur la poussière,
Sanglant, percé de coups, sur un tas de mourants,
Sert d'aliment affreux aux oiseaux dévorants.
Ainsi du monde entier tous les membres gémissent:
Nés tous pour les tourments, l'un par l'autre ils périssent:
Et vous composerez dans ce chaos fatal
Des malheurs de chaque être un bonheur général!
Quel bonheur! Ô mortel et faible et misérable.
Vous criez « Tout est bien » d'une voix lamentable,
L'univers vous dément, et votre propre coeur
Cent fois de votre esprit a réfuté l'erreur.
Éléments, animaux, humains, tout est en guerre.
Il le faut avouer, le mal est sur la terre:
Son principe secret ne nous est point connu.
De l'auteur de tout bien le mal est-il venu?
Est-ce le noir Typhon, le barbare Arimane,
Dont la loi tyrannique à souffrir nous condamne?
Mon esprit n'admet point ces monstres odieux
Dont le monde en tremblant fit autrefois des dieux.
Mais comment concevoir un Dieu, la bonté même,
Qui prodigua ses biens à ses enfants qu'il aime,
Et qui versa sur eux les maux à pleines mains?
Quel oeil peut pénétrer dans ses profonds desseins?
De l'Être tout parfait le mal ne pouvait naître;
Il ne vient point d'autrui, puisque Dieu seul est maître:
Il existe pourtant. O tristes vérités!
O mélange étonnant de contrariétés!
Un Dieu vint consoler notre race affligée;
Il visita la terre, et ne l'a point changée!
Un sophiste arrogant nous dit qu'il ne l'a pu;
« Il le pouvait, dit l'autre, et ne l'a point voulu:
Il le voudra, sans doute »; et, tandis qu'on raisonne,
Des foudres souterrains engloutissent Lisbonne,
Et de trente cités dispersent les débris,
Des bords sanglants du Tage à la mer de Cadix.
Ou l'homme est né coupable, et Dieu punit sa race,
Ou ce maître absolu de l'être et de l'espace,
Sans courroux, sans pitié, tranquille, indifférent,
De ses premiers décrets suit l'éternel torrent;
Ou la matière informe, à son maître rebelle,
Porte en soi des défauts nécessaires comme elle;
Ou bien Dieu nous éprouve, et ce séjour mortel
N'est qu'un passage étroit vers un monde éternel.
Nous essuyons ici des douleurs passagères:
Le trépas est un bien qui finit nos misères.
Mais quand nous sortirons de ce passage affreux,
Qui de nous prétendra mériter d'être heureux?
Quelque parti qu'on prenne, on doit frémir, sans doute.
Il n'est rien qu'on connaisse, et rien qu'on ne redoute.
La nature est muette, on l'interroge en vain;
On a besoin d'un Dieu qui parle au genre humain.
Il n'appartient qu'à lui d'expliquer son ouvrage,
De consoler le faible, et d'éclairer le sage.
L'homme, au doute, à l'erreur, abandonné sans lui,
Cherche en vain des roseaux qui lui servent d'appui.
Leibnitz ne m'apprend point par quels noeuds invisibles,
Dans le mieux ordonné des univers possibles,
Un désordre éternel, un chaos de malheurs,
Mêle à nos vains plaisirs de réelles douleurs,
Ni pourquoi l'innocent, ainsi que le coupable,
Subit également ce mal inévitable.
Je ne conçois pas plus comment tout serait bien:
Je suis comme un docteur; hélas! je ne sais rien.
Platon dit qu'autrefois l'homme avait eu des ailes,
Un corps impénétrable aux atteintes mortelles;
La douleur, le trépas, n'approchaient point de lui.
De cet état brillant qu'il diffère aujourd'hui!
Il rampe, il souffre, il meurt; tout ce qui naît expire;
De la destruction la nature est l'empire.
Un faible composé de nerfs et d'ossements
Ne peut être insensible au choc des éléments;
Ce mélange de sang, de liqueurs, et de poudre,
Puisqu'il fut assemblé, fut fait pour se dissoudre;
Et le sentiment prompt de ces nerfs délicats
Fut soumis aux douleurs, ministres du trépas:
C'est là ce que m'apprend la voix de la nature.
J'abandonne Platon, je rejette Épicure.
Bayle en sait plus qu'eux tous; je vais le consulter:
La balance à la main, Bayle enseigne à douter,
Assez sage, assez grand pour être sans système,
Il les a tous détruits, et se combat lui-même:
Semblable à cet aveugle en butte aux Philistins,
Qui tomba sous les murs abattus par ses mains.
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Poète français né à Clermont-Ferrand le 22 juin 1738, Jacques Delille, souvent appelé l'abbé Delille, est décédé à Paris le 2 mai 1813.

Les jardins ou L'art d'embellir les paysages (poème)


CHANT 1

Le doux printemps revient, et ranime à la fois
Les oiseaux, les zéphirs, et les fleurs, et ma voix.
Pour quel sujet nouveau dois-je monter ma lyre?
Ah! Lorsque d' un long deuil la terre enfin respire,
Dans les champs, dans les bois, sur les monts d' alentour,
Quand tout rit de bonheur, d' espérance et d' amour,
Qu' un autre ouvre aux grands noms les fastes de la gloire;
Sur un char foudroyant qu' il place la victoire;
Que la coupe d' Atrée ensanglante ses mains:
Flore a souri; ma voix va chanter les jardins.
Je dirai comment l' art, dans de frais paysages,
Dirige l' eau, les fleurs, les gazons, les ombrages.

Toi donc, qui, mariant la grace et la vigueur,
Sais du chant didactique animer la langueur,
Ô muse! Si jadis, dans les vers de Lucrèce,
Des austères leçons tu polis la rudesse;
Si par toi, sans flétrir le langage des dieux,
Son rival a chanté le soc laborieux;
Viens orner un sujet plus riche, plus fertile,
Dont le charme autrefois avoit tenté Virgile.
N' empruntons point ici d' ornement étranger;
Viens, de mes propres fleurs mon front va s' ombrager;
Et, comme un rayon pur colore un beau nuage,
Des couleurs du sujet je tiendrai mon langage.
L' art innocent et doux que célèbrent mes vers,
Remonte aux plus beaux jours de l' antique univers.
Dès que l' homme eut soumis les champs à la culture,
D' un heureux coin de terre il soigna la parure;
Et plus près de ses yeux il rangea sous ses loix
Des arbres favoris et des fleurs de son choix.
Du simple Alcinoüs le luxe encor rustique
Décoroit un verger. D' un art plus magnifique
Babylone éleva des jardins dans les airs.
Quand Rome au monde entier eut envoyé des fers,
Les vainqueurs, dans des parcs ornés par la victoire,
Alloient calmer leur foudre et reposer leur gloire.

La sagesse autrefois habitoit les jardins,
Et d' un air plus riant instruisoit les humains:
Et quand les dieux offroient un élysée aux sages,
Étoit-ce des palais? C' étoit de verds bocages;
C' étoit des prés fleuris, séjour des doux loisirs,
Où d' une longue paix ils goûtoient les plaisirs.
Ouvrons donc, il est temps, ma carrière nouvelle;
Philippe m' encourage, et mon sujet m' appelle.
Pour embellir les champs simples dans leurs attraits,
Gardez-vous d' insulter la nature à grands frais.
Ce noble emploi demande un artiste qui pense,
Prodigue de génie, et non pas de dépense.
Moins pompeux qu' élégant, moins décoré que beau,
Un jardin, à mes yeux, est un vaste tableau.
Soyez peintre. Les champs, leurs nuances sans nombre,
Les jets de la lumière, et les masses de l' ombre,
Les heures, les saisons, variant tour à tour
Le cercle de l' année et le cercle du jour,
Et des prés émaillés les riches broderies,
Et des rians côteaux les vertes draperies,
Les arbres, les rochers, et les eaux, et les fleurs,
Ce sont là vos pinceaux, vos toiles, vos couleurs;
La nature est à vous; et votre main féconde
Dispose, pour créer, des élémens du monde.

Mais avant de planter, avant que du terrein
Votre bêche imprudente ait entamé le sein,
Pour donner aux jardins une forme plus pure,
Observez, connoissez, imitez la nature.
N' avez-vous pas souvent, aux lieux infréquentés,
Rencontré tout-à-coup ces aspects enchantés
Qui suspendent vos pas, dont l' image chérie
Vous jette en une douce et longue rêverie?
Saisissez, s' il se peut, leurs traits les plus frappans,
Et des champs apprenez l' art de parer les champs.
Voyez aussi les lieux qu' un goût savant décore.
Dans ces tableaux choisis vous choisirez encore.
Dans sa pompe élégante admirez Chantilli,
De héros en héros, d' âge en âge embelli.
Beloeil, tout à la fois magnifique et champêtre,
Chanteloup, fier encor de l' exil de son maître,
Vous plairont tour-à-tour. Tel que ce frais bouton,
Timide avant-coureur de la belle saison,
L' aimable Tivoli, d' une forme nouvelle
Fit le premier en France entrevoir le modèle.

Les graces en riant dessinèrent Montreuil.
Maupertuis, le désert, Rincy, Limours, Auteuil,
Que dans vos frais sentiers doucement on s' égare!
L' ombre du grand Henri chérit encor Navarre.
Semblable à son auguste et jeune déité,
Trianon joint la grace avec la majesté.
Pour elle il s' embellit, et s' embellit par elle.
Et toi, d' un prince aimable ô l' asyle fidèle!
Dont le nom trop modeste est indigne de toi,
Lieu charmant! Offre lui tout ce que je lui doi,
Un fortuné loisir, une douce retraite.
Bienfaiteur de mes vers, ainsi que du poète,
C' est lui qui, dans ce choix d' écrivains enchanteurs,
Dans ce jardin paré de poétiques fleurs,
Daigne accueillir ma muse. Ainsi du sein de l' herbe
La violette croît auprès du lys superbe.
Compagnon inconnu de ces hommes fameux,
Ah! Si ma foible voix pouvoit chanter comme eux,
Je peindrois tes jardins, le dieu qui les habite,
Les arts et l' amitié qu' il y mène à sa suite.
Beau lieu! Fais son bonheur. Et moi, si quelque jour,
Grace à lui, j' embellis un champêtre séjour,
De mon illustre appui j' y placerai l' image.
De mes premières fleurs je veux qu' elle ait l' hommage:
Pour elle je cultive et j' enlace en festons
Le myrte et le laurier, tous deux chers aux Bourbons.
Et si l' ombre, la paix, la liberté m' inspire,
À l' auteur de ces dons je dévouerai ma lyre.
J' ai dit les lieux charmans que l' art peut imiter;
Mais il est des écueils que l' art doit éviter.
L' esprit imitateur trop souvent nous abuse.
Ne prêtez point au sol des beautés qu' il refuse:
Avant tout connoissez votre site; et du lieu
Adorez le génie, et consultez le dieu.
Ses loix impunément ne sont pas offensées.
Cependant moins hardi qu' étrange en ses pensées,
Tous les jours, dans les champs, un artiste sans goût
Change, mêle, déplace, et dénature tout;
Et, par l' absurde choix des beautés qu' il allie,
Revient gâter en France un site d' Italie.
Ce que votre terrein adopte avec plaisir,
Sachez le reconnoître, osez vous en saisir.
C' est mieux que la nature, et cependant c' est elle;
C' est un tableau parfait qui n' a point de modèle.

Ainsi savoient choisir les Berghems, les Poussins.
Voyez, étudiez leurs chefs-d' oeuvre divins:
Et ce qu' à la campagne emprunta la peinture,
Que l' art reconnoissant le rende à la nature.
Maintenant des terreins examinons le choix,
Et quels lieux se plairont à recevoir vos loix.
Il fut un temps funeste où, tourmentant la terre,
Aux sites les plus beaux l' art déclaroit la guerre,
Et, comblant les vallons et rasant les côteaux,
D' un sol heureux formoit d' insipides plateaux.
Par un contraire abus l' art, tyran des campagnes,
Aujourd' hui veut créer des vallons, des montagnes.
Évitez ces excès. Vos soins infructueux
Vainement combattroient un terrein montueux;
Et dans un sol égal, un humble monticule
Veut être pittoresque, et n' est que ridicule.
Désirez-vous un lieu propice à vos travaux?
Loin des champs trop unis, de monts trop inégaux,
J' aimerois ces hauteurs où sans orgueil domine
Sur un riche vallon une belle colline.
Là, le terrein est doux sans insipidité,
Élevé sans roideur, sec sans aridité,
Vous marchez: l' horizon vous obéit. La terre
S' élève ou redescend, s' étend ou se resserre.

Vos sites, vos plaisirs changent à chaque pas.
Qu' un obscur arpenteur, armé de son compas,
Au fond d' un cabinet, d' un jardin symmétrique
Confie au froid papier le plan géométrique;
Vous, venez sur les lieux. Là, le crayon en main,
Dessinez ces aspects, ces côteaux, ce lointain;
Devinez les moyens, pressentez les obstacles:
C' est des difficultés que naissent les miracles.
Le sol le plus ingrat connoîtra la beauté.
Est-il nu? Que des bois parent sa nudité.
Couvert? Portez la hache en ces forêts profondes:
Humide? En lacs pompeux, en rivières fécondes
Changez cette onde impure; et, par d' heureux travaux,
Corrigez à la fois l' air, la terre et les eaux:
Aride enfin? Cherchez, sondez, fouillez encore:
L' eau, lente à se trahir, peut-être est près d' éclore.
Ainsi d' un long effort moi-même rebuté,
Quand j' ai d' un froid détail maudit l' aridité,
Soudain un trait heureux jaillit d' un fond stérile,
Et mon vers ranimé coule enfin plus facile.

Il est des soins plus doux, un art plus enchanteur.
C' est peu de charmer l' oeil, il faut parler au coeur.
Avez-vous donc connu ces rapports invisibles
Des corps inanimés et des êtres sensibles?
Avez-vous entendu des eaux, des prés, des bois,
La muette éloquence et la secrette voix?
Rendez-nous ces effets. Que du riant au sombre,
Du noble au gracieux, les passages sans nombre
M' intéressent toujours. Simple et grand, fort et doux,
Unissez tous les tons pour plaire à tous les goûts.
Là, que le peintre vienne enrichir sa palette;
Que l' inspiration y trouble le poète;
Que le sage, du calme y goûte les douceurs;
L' heureux, ses souvenirs; le malheureux, ses pleurs.
Mais l' audace est commune, et le bon sens est rare.
Au lieu d' être piquant, souvent on est bizarre.
Gardez que, mal unis, ces effets différens
Ne forment qu' un chaos de traits incohérens:
Les contradictions ne sont pas des contrastes.
D' ailleurs, à ces tableaux il faut des toiles vastes.
N' allez pas resserrer dans des cadres étroits
Des rivières, des lacs, des montagnes, des bois.
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L'INVENTION
PAR ANDRÉ CHÉNIER


La terre ouvrant son sein, ses ressorts, ses miracles,
Ses germes, ses coteaux, dépouille de
Thétis ;
Les nuages épais, sur elle appesantis,
De ses noires vapeurs nourrissant leur tonnerre,
Et l'hiver ennemi pour envahir la terre
Roi des antres du
Nord ; et de glaces armés,
Ses pas usurpateurs sur nos monts imprimés;
Et l'œil perçant du verre, en la vaste étendue.
Allant chercher ces feux qui fuyaient notre vue ;
Aux changements prédits, immuables, fixés,
Que d'une plume d'or
Bailly nous a tracés,
Aux lois de
Cassini les comètes fidèles ;
L'aimant, de nos vaisseaux seul dirigeant les ailes,
Une
Cybèle neuve et cent mondes divers.
Aux yeux de nos
Jasons sortis du sein des mers :
Quel amas de tableaux, de sublimes images,
Naît de ces grands objets réservés à nos âges !
Sous ces bois étrangers qui couronnent ces monts.
Aux vallons de
Cusco, dans ces antres profonds,
Si chers à la fortune et plus chers au génie,
Germent des mines d'or, de gloire et d'harmonie.
Pensez-vous, si
Virgile ou l'Aveugle divin
Renaissaient aujourd'hui, que leur savante main
Négligeât de saisir ces fécondes richesses,
De notre
Pinde auguste éclatantes largesses ?

Nous en verrions briller leurs sublimes écrits :

Et ces mêmes objets, que vos doctes mépris
Accueillent aujourd'hui d'un front dur et sévère.
Alors à vos regards auraient seuls droit de plaire ;
Alors, dans l'avenir, votre inflexible humeur
Aurait soin de défendre à tout jeune rimeur
D'oser sortir jamais de ce cercle d'images
Que vos yeux auraient vu tracé dans leurs ouvrages.

Mais qui jamais a su, dans des vers séduisants,
Sous des dehors plus vrais peindre l'esprit aux sens ?
Mais quelle voix jamais d'une plus pure flamme
Et chatouilla l'oreille et pénétra dans l'âme ?
Mais leurs mœurs et leurs lois, et mille autres hasards,
Rendaient leur siècle heureux plus propice aux beaux-ans.

Eh bien ! l'âme est partout ; la pensée a des ailes.
Volons, volons chez eux retrouver leurs modèles.
Voyageons dans leur âge, où, libre, sans détour.
Chaque homme ose être un homme et penser au grand jour
Au tribunal de
Mars, sur la pourpre romaine.
Là du grand
Cicéron la vertueuse haine
Ecrase
Céthégus,
Catilina,
Verres ;
Là tonne
Démosthène; ici, de
Périclès
La voix, l'ardente voix, de tous les cœurs maîtresse,
Frappe, foudroie, agice, épouvante la
Grèce.
Allons voir la grandeur et l'éclat de leurs jeux.
Ciel! la mer appelée en un bassin pompeux!
Deux flottes parcourant cène enceinte profonde.
Combattant sous les yeux des conquérants du monde.
O terre de
Pélops ! avec le monde entier
Allons voir d'Épidaure un agile coursier
Couronné dans les champs de
Némée et d'Élide ;
Allons voir au théâtre, aux accents d'Euripide,
D'une sainte folie un peuple furieux
Chanter :
Amour, tyran des hommes et des
Dieux.
Puis, ivres des transports qui nous viennent surprendre.

Parmi nous, dans nos vers, revenons les répandre;
Changeons en notre miel leurs plus antiques fleurs ;

Pour peindre notre idée, empruntons leurs couleurs ;
Allumons nos flambeaux à leurs feux poétiques ;
Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques.

Direz-vous qu'un objet né sur leur
Hélicon
A seul de nous charmer pu recevoir le don ?
Que leurs fables, leurs
Dieux, ces mensonges futiles.
Des
Muses noble ouvrage, aux
Muses sont utiles ?
Que nos travaux savants, nos calculs studieux.
Qui subjuguent l'esprit et répugnent aux yeux.
Que l'on croit malgré soi, sont pénibles, austères.
Et moins grands, moins pompeux que leurs belles chimères ?
Voilà ce que traités, préfaces, longs discours.
Prose, rime, partout, nous disent tous les jours.
Mais enfin, dites-moi, si d'une œuvre immortelle
La nature est en nous la source et le modèle,
Pouvez-vous le penser que tout cet univers.
Et cet ordre éternel, ces mouvements divers,
L'immense vérité, la nature elle-même,
Soit moins grande en effet que ce brillant système
Qu'ils nommaient la nature, et dont d'heureux efforts
Disposaient avec art les fragiles ressorts ?

Mais quoi! ces vérités sont au loin reculées,
Dans un langage obscur saintement recelées :
Le peuple les ignore.

ô
Muses, ô
Phébus !
C'est là, c'est là sans doute un aiguillon de plus.
L'auguste poésie, éclatante interprète,
Se couvrira de gloire en forçant leur retraite.
Cette reine des cœurs, à la touchante voix,
A le droit, en tous lieux, de nous dicter son choix,
Sûre de voir partout, introduite par elle.
Applaudir à grands cris une beauté nouvelle,
Et les objets nouveaux que sa voix a tentés
Partout, de bouche en bouche, après elle chantés.
Elle porte, à travers leurs nuages plus sombres.

Des rayons lumineux qui dissipent leurs ombres.

Et rit quand, dans son vide, un auteur oppressé

Se plaint qu'on a tout dit et que tout est pensé.

Seule, et la lyre en main, et de fleurs couronnée,

De doux ravissements partout accompagnée,

Aux lieux les plus déserts, ses pas, ses jeunes pas.

Trouvent mille trésors qu'on ne soupçonnait pas.

Sur l'aride buisson que son regard se pose,

Le buisson à ses yeux rit et jette une rose.

Elle sait ne point voir, dans son juste dédain.

Les fleurs qui trop souvenr, courant de main en main,

Ont perdu tout l'éclat de leurs fraîcheurs vermeilles ;

Elle sait même encore, ô charmantes merveilles !

Sous ses doigts délicats réparer et cueillir

Celles qu'une autre main n'avait su que flétrir ;

Elle seule connaît ces extases choisies.

D'un esprit tout de feu mobiles fantaisies.

Ces rêves d'un moment, belles illusions.

D'un monde imaginaire aimables visions,

Qui ne frappent jamais, trop subtile lumière,

Des tetrestres esprits l'œil épais et vulgaire.

Seule, de mots heureux, faciles, transparents.

Elle sait revêtir ces fantômes errants :

Ainsi des hauts sapins de la
Finlande humide,

De l'ambre, enfant du ciel, distille l'or fluide,

Et sa chute souvent rencontte dans les airs

Quelque insecte volant qu'il porte au fond des mers ;

De la
Baltique enfin les vagues orageuses

Roulent et vont jeter ces larmes précieuses

Où la fière
Vistule, en de nobles coteaux.

Et le ftoid
Niémen expirent dans ses eaux.

Là les arts vont cueillir cette merveille utile,

Tombe odotante où vit l'insecte volatile;

Dans cet or diaphane il est lui-même encor.

On dirait qu'il respire et va prendre l'essor.

Qui que tu sois enfin, ô toi, jeune poète,
Travaille ; ose achever cette illustre conquête.

De preuves, de raisons, qu'est-il encor besoin ?
Travaille.
Un grand exemple est un puissant témoin.
Montre ce qu'on peut faire en le faisant toi-même.
Si pour toi la tettaite est un bonheut suprême,
Si chaque jout les vêts de ces maîtres fameux
Font bouillonner ton sang et dressent tes cheveux ;
Si tu sens chaque jour, animé de leur âme,
Ce besoin de créer, ces transports, cette flamme,
Travaille. À nos censeurs, c'est à toi de monttet
Tous ces trésors nouveaux qu'ils veulent ignorer.
II faudra bien les voir, il faudra bien se taire,
Quand ils verront enfin cette gloire éttangère
De rayons inconnus ceindre ton front brillant.
Aux anttes de
Paros le bloc étincelant
N'est aux vulgaires yeux qu'une pierre insensible.
Mais le docte ciseau, dans son sein invisible.
Voit, suit, trouve la vie, et l'âme, et tous ses traits.
Tout l'Olympe tespire en ses détouts sectets.
Là vivent de
Vénus les beautés souveraines ;
Là des muscles nerveux, là de sanglantes veines
Serpentent; là des flancs invaincus aux ttavaux,
Pour soulager
Atlas des célestes fardeaux.
Aux volontés du fer leur enveloppe énorme
Cède, s'amollit, tombe ; et de ce bloc informe
Jaillissent, éclatants, des
Dieux pour nos autels :
C'est
Apollon lui-même, honneur des immortels ;
C'est
Alcide vainqueur des monstres de
Némée ;
C'est du vieillard rroyen la mon envenimée ;
C'est des
Hébreux errants le chef, le défenseur :
Dieu tout entier habite en ce marbre penseur.
Ciel ! n'entendez-vous pas de sa bouche profonde
Eclater cette voix créatrice du monde ?
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Le parallèle entre Don Juan et Casanova est devenu un exercice comparable à celui de Corneille et Racine dans les anciennes dissertations. Don Juan se montre aussi prédateur et provocateur que Casanova généreux et conciliateur. L'un est dans le défi, l'autre dans l'accommodement. L'un ment, l'autre se ment à lui-même, sincère dans des serments qui ne durent pas.
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EPITRE 13. 1716

À monsieur le duc d'Orléans, régent.

Prince chéri des dieux, toi qui sers aujourd'hui
De père à ton monarque, à son peuple d'appui;
Toi qui, de tout l'état portant le poids immense,
Immoles ton repos à celui de la France;
Philippe, ne crois point, dans ces jours ténébreux,
Plaire à tous les français que tu veux rendre heureux:
Aux princes les plus grands, comme aux plus beaux ouvrages,
Dans leur gloire naissante il manque des suffrages.
Eh! Qui de sa vertu reçut toujours le prix?
Il est chez les français de ces sombres esprits,
Censeurs extravagants d'un sage ministère,
Incapables de tout, à qui rien ne peut plaire.
Dans leurs caprices vains tristement affermis,
Toujours du nouveau maître ils sont les ennemis;
Et, n'ayant d'autre emploi que celui de médire,
L'objet le plus auguste irrite leur satire:
Ils voudraient de cet astre éteindre la clarté,
Et se venger sur lui de leur obscurité.
Ne crains point leur poison: quand tes soins politiques
Auront réglé le cours des affaires publiques,
Quand tu verras nos coeurs, justement enchantés,
Au-devant de tes pas volant de tous côtés,
Les cris de ces frondeurs, à leurs chagrins en proie,
Ne seront point ouïs parmi nos cris de joie.
Mais dédaigne ainsi qu'eux les serviles flatteurs,
De la gloire d'un prince infâmes corrupteurs;
Que ta mâle vertu méprise et désavoue
Le méchant qui te blâme et le fat qui te loue.
Toujours indépendant du reste des humains,
Un prince tient sa gloire ou sa honte en ses mains;
Et, quoiqu'on veuille enfin le servir ou lui nuire,


Lui seul peut s'élever, lui seul peut se détruire.
En vain contre Henri la France a vu longtemps
La calomnie affreuse exciter ses serpents;
En vain de ses rivaux les fureurs catholiques
Armèrent contre lui des mains apostoliques;
Et plus d'un monacal et servile écrivain
Vendit, pour l'outrager, sa haine et son venin;
La gloire de Henri par eux n'est point flétrie:
Leurs noms sont détestés, sa mémoire est chérie.
Nous admirons encor sa valeur, sa bonté;
Et longtemps dans la France il sera regretté.
Cromwell, d'un joug terrible accablant sa patrie,
Vit bientôt à ses pieds ramper la flatterie;
Ce monstre politique, au Parnasse adoré,
Teint du sang de son roi, fut aux dieux comparé:
Mais malgré les succès de sa prudente audace,
L'univers indigné démentait le parnasse,
Et de Waller enfin les écrits les plus beaux
D'un illustre tyran n'ont pu faire un héros.
Louis fit sur son trône asseoir la flatterie;
Louis fut encensé jusqu'à l'idolâtrie.
En éloges enfin le parnasse épuisé
Répète ses vertus sur un ton presque usé;
Et, l'encens à la main, la docte académie
L'endormit cinquante ans par sa monotonie.
Rien ne nous a séduits: en vain en plus d'un lieu
Cent auteurs indiscrets l'ont traité comme un dieu;
De quelque nom sacré que l'opéra le nomme,
L'équitable français ne voit en lui qu'un homme.
Pour élever sa gloire on ne nous verra plus
Dégrader les Césars, abaisser les Titus;


Et, si d'un crayon vrai quelque main libre et sûre
Nous traçait de Louis la fidèle peinture,
Nos yeux trop dessillés pourraient dans ce héros
Avec bien des vertus trouver quelques défauts.
Prince, ne crois donc point que ces hommes vulgaires
Qui prodiguent aux grands des écrits mercenaires,
Imposant par leurs vers à la postérité,
Soient les dispensateurs de l'immortalité.
Tu peux, sans qu'un auteur te critique ou t'encense,
Jeter les fondements du bonheur de la France;
Et nous verrons un jour l'équitable univers
Peser tes actions sans consulter nos vers.
Je dis plus: un grand prince, un héros, sans l'histoire,
Peut même à l'avenir transmettre sa mémoire.
Taisez-vous, s'il se peut, illustres écrivains,
Inutiles appuis de ces honneurs certains;
Tombez, marbres vivants, que d'un ciseau fidèle
Anima sur ses traits la main d'un Praxitèle;
Que tous ces monuments soient partout renversés.
Il est grand, il est juste, on l'aime: c'est assez.
Mieux que dans nos écrits, et mieux que sur le cuivre,
Ce héros dans nos coeurs à jamais doit revivre.
L'heureux vieillard, en paix dans son lit expirant,
De ce prince à son fils fait l'éloge en pleurant;
Le fils, encor tout plein de son règne adorable,
Le vante à ses neveux; et ce nom respectable,


Ce nom dont l'univers aime à s'entretenir,
Passe de bouche en bouche aux siècles à venir.
C'est ainsi qu'on dira chez la race future:
Philippe eut un coeur noble; ami de la droiture,
Politique et sincère, habile et généreux,
Constant quand il fallait rendre un mortel heureux;
Irrésolu, changeant, quand le bien de l'empire
Au malheur d'un sujet le forçait à souscrire;
Affable avec noblesse, et grand avec bonté,
Il sépara l'orgueil d'avec la majesté;
Et le dieu des combats, et la docte Minerve,
De leurs présents divins le comblaient sans réserve;
Capable également d'être avec dignité
Et dans l'éclat du trône et dans l'obscurité:
Voilà ce que de toi mon esprit se présage.
Ô toi de qui ma plume a crayonné l'image,
Toi de qui j'attendais ma gloire et mon appui,
Ne chanterai-je donc que le bonheur d'autrui?
En peignant ta vertu, plaindrai-je ma misère?
Bienfaisant envers tous, envers moi seul sévère,
D'un exil rigoureux tu m'imposes la loi;
Mais j'ose de toi-même en appeler à toi.
Devant toi je ne veux d'appui que l'innocence;
J'implore ta justice, et non point ta clémence.
Lis seulement ces vers, et juge de leur prix;
Vois ce que l'on m'impute, et vois ce que j'écris.
La libre vérité qui règne en mon ouvrage
D'une âme sans reproche est le noble partage;
Et de tes grands talents le sage estimateur
N'est point de ces couplets l'infâme et vil auteur.
Philippe, quelquefois sur une toile antique
Si ton oeil pénétrant jette un regard critique,
Par l'injure du temps le portrait effacé
Ne cachera jamais la main qui l'a tracé;
D'un choix judicieux dispensant la louange,
Tu ne confondras point Vignon et Michel-Ange.
Prince, il en est ainsi chez nous autres rimeurs;
Et si tu connaissais mon esprit et mes moeurs,
D'un peuple de rivaux l'adroite calomnie

Me chargerait en vain de leur ignominie;
Tu les démentirais, et je ne verrais plus
Dans leurs crayons grossiers mes pinceaux confondus;
Tu plaindrais par leurs cris ma jeunesse opprimée;
À verser les bienfaits ta main accoutumée
Peut-être de mes maux voudrait me consoler,
Et me protégerait au lieu de m'accabler.
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Le Mondain, 1736.


Regrettera qui veut le bon vieux temps,
Et l'âge d'or, et le règne d'Astrée,
Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,
Et le jardin de nos premiers parents
;
5 Moi je rends grâce à la nature sage
Qui, pour mon bien, m'a fait naître en cet âge
Tant décrié par nos tristes frondeurs
:
Ce temps profane est tout fait pour mes mœurs
.
J'aime le luxe, et même la mollesse,
10 Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,
La propreté, le goût, les ornements
:
Tout honnête homme a de tels sentiments.
Il est bien doux pour mon cœur très immonde
De voir ici l'abondance à la ronde,
15 Mère des arts et des heureux travaux,
Nous apporter, de sa source féconde,
Et des besoins et des plaisirs nouveaux.
L'or de la terre et les trésors de l'onde,
Leurs habitants et les peuples de l'air,
20 Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde.

Ȏ le bon temps que ce siècle de fer
!
Le superflu, chose très nécessaire,
A réuni l'un et l'autre hémisphère.
Voyez
-vous pas ces agiles vaisseaux
25 Qui, du Texel, de Londres, de Bordeaux,
S'en vont chercher, par un heureux échange,
De nouveaux biens, nés aux sources du Gange,
Tandis qu'au loin, vainqueurs des musulmans,
Nos vins de France enivrent les sultans
?
30 Quand la nature était dans son enfance,
Nos bons aïeux vivaient dans l'ignorance,
Ne connaissant ni le tien ni le mien.
Qu'auraient
-ils pu connaître ?
Ils n'avaient rien.
Ils étaient nus : et c'est chose très claire
35 Que qui n'a rien n'a nul partage à faire.
Sobres étaient. Ah ! Je le crois encor
:
Martialo n'est point du siècle d'or.
D'un bon vin frais ou la mousse ou la sève
Ne gratta point le triste gosier d'Eve
;
40 La soie et l'or ne brillaient point chez eux.
Admirez
-vous pour cela nos aïeux
?
Il leur manquait l'industrie et l'aisance
:
Est
-ce vertu ? C'était pure ignorance.
Quel idiot, s'il avait eu pour lors
45 Quelque bon lit, aurait couché dehors
?
Mon cher Adam, mon gourmand, mon bon père,
Que faisais
-tu dans les jardins d'Eden
?
Travaillais
-tu pour ce sot genre humain
?
Caressais
-tu madame
Ève ma mère
?
50 Avouez
-moi que vous aviez tous deux
Les ongles longs, un peu noirs et crasseux,
La chevelure un peu mal ordonnée,
Le teint bruni, la peau bise et tannée.
Sans propreté l'amour le plus heureux
55 N'est plus amour, c'est un besoin honteux.
Bientôt lassés de leur belle aventure,
Dessous un chêne ils soupent galamment
Avec de l'eau, du millet, et du gland
;
Le repas fait, ils dorment sur la dure
:
60 Voilà l'état de la pure nature.
Or maintenant voulez
-vous, mes amis,
Savoir un peu, dans nos jours tant maudits,
Soit à Paris, soit dans Londre, ou dans Rome,
Quel est le train des jours d'un honnête homme
?
65 Entrez chez lui : la foule des beaux
-arts,
Enfants du goût, se montre à vos regards.
De mille mains l'éclatante industrie
De ces dehors orna la symétrie.
L'heureux pinceau, le superbe dessin
70 Du doux Corrège et du savant Poussin
Sont encadrés dans l'or d'une bordure
;
C'est Bouchardon qui fit cette figure,
Et cet argent fut poli par Germain.
Des Gobelins l'aiguille et la teinture
75 Dans ces tapis surpassent la peinture.
Tous ces objets sont vingt fois répétés
Dans des trumeaux tout brillants de clartés.
De ce salon je vois par la fenêtre,
Dans des jardins, des myrtes en berceaux
;
80 Je vois jaillir les bondissantes eaux.
Mais du logis j'entends sortir le maître
:
Un char commode, avec grâces orné,
Par deux chevaux rapidement traîné,
Paraît aux yeux une maison roulante,
85 Moitié dorée, et moitié transparente
:
Nonchalamment je l'y vois promené
;
De deux ressorts la liante souplesse
Sur le pavé le porte avec mollesse
Il court au bain : les parfums les plus doux
90 Rendent sa peau plus fraîche et plus polie.
Le plaisir presse ; il vole au rendez
-vous

Chez Camargo, chez Gaussin, chez Julie
;
Il est comblé d'amour et de faveurs.
Il faut se rendre à ce palais magique
95 Où les beaux vers, la danse, la musique,
L'art de tromper les yeux par les couleurs,
L'art plus heureux de séduire les cœurs
,
De cent plaisirs font un plaisir unique.
Il va siffler quelque opéra nouveau,
100 Ou, malgré lui, court admirer Rameau.
Allons souper. Que ces brillants services,
Que ces ragoûts ont pour moi de délices
!
Qu'un cuisinier est un mortel divin
!
Chloris, Églé, me versent de leur main
105 D'un vin d'Aï dont la mousse pressée,
De la bouteille avec force élancée,
Comme un éclair fait voler le bouchon
;
Il part, on rit ; il frappe le plafond.
De ce vin frais l'écume pétillante
110 De nos Français est l'image brillante.
Le lendemain donne d'autres désirs,
D'autres soupers, et de nouveaux plaisirs.
Or maintenant, monsieur du Télémaque,
Vantez
-nous bien votre petite Ithaque,
115 Votre Salente, et vos murs malheureux,
Où vos Crétois, tristement vertueux,
Pauvres d'effet, et riches d'abstinence,
Manquent de tout pour avoir l'abondance
:
J'admire fort votre style flatteur,
120 Et votre prose, encor qu'un peu traînante
;
Mais, mon ami, je consens de grand cœur
D'être fessé dans vos murs de Salente,
Si je vais là pour chercher mon bonheur.
Et vous, jardin de ce premier bonhomme,
125 Jardin fameux par le diable et la pomme,
C'est bien en vain que, par l'orgueil séduits,
Huet, Calmet, dans leur savante audace,
Du paradis ont recherché la place
:
Le paradis terrestre est où je suis.
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