Un extrait de lémission « Heures de culture française » diffusée le 10 février 1959 sur France III Nationale. Intervenant : Gabriel Timmrory.
Un astre luit au ciel et dans l'eau se reflète.
Un homme qui passait dit à l'enfant-poète :
"Toi qui rêves avec des roses dans les mains
Et qui chantes, docile au hasard des chemins,
Tes vains bonheurs et ta chimérique souffrance,
Dis, entre nous et toi, quelle est la différence ?
- Voici, répond l'enfant. Levez la tête un peu ;
Voyez-vous cette étoile, au lointain du soir bleu ?
- Sans doute !
-Fermez l'oeil. La voyez-vous, l'étoile ?
- Non, certes."
Alors l'enfant pour qui tout se dévoile
Dit en baissant son front doucement soucieux :
"Moi, je la vois encore quand j'ai fermé les yeux."
RESTE. N'ALLUME PAS LA LAMPE...
Reste. N'allume pas la lampe. Que nos yeux
S'emplissent pour longtemps de ténèbres, et laisse
Tes bruns cheveux verser la pesante mollesse
De leurs ondes sur nos baisers silencieux.
Nous sommes las autant l'un que l'autre. Les cieux
Pleins de soleil nous ont trompés. Le jour nous blesse.
Voluptueusement berçons notre faiblesse
Dans l'océan du soir morne et délicieux.
Lente extase, houleux sommeil exempt de songe,
Le flux funèbre roule et déroule et prolonge
Tes cheveux où mon front se pâme enseveli...
Ô calme soir, qui hais la vie et lui résistes,
Quel long fleuve de paix léthargique et d'oubli
Coule dans les cheveux profonds des brunes tristes.
Spleen d'été
L'orageux crépuscule oppresse au loin la mer
Et les noirs sapins. L'ombre, hélas ! revient toujours.
Ah ! je hais les désirs, les espoirs, les amours,
Autant que les damnés peuvent haïr l'enfer.
Car je n'étais point né pour vivre : j'étais né
Pour végéter, pareil à la mousse ou pareil
Aux reptiles, et pour me gorger de soleil
Sur un roc d'un midi sans trêve calciné.
Aux plantes contigu, voisin de l'animal,
Famélique sans crainte et repu sans remord,
Je n'aurais pas connu ce que c'est que la mort ;
Mais, je vis ! et je sais qu'il est un jour fatal.
Le soir qui m'avertit, lugubre et solennel,
Que d'un soleil éteint le temps est plus âgé,
Accable abondamment mon cœur découragé
Du dégoût d'un bonheur qui n'est pas éternel.
Ô pins ! comme la nuit fonce vos mornes deuils !
La cigale avec ses grêles cris obsédants
Fait le bruit d'une scie aux innombrables dents
Dans l'arbre détesté dont on fait les cercueils.
LE MATIN RIAIT, INGENU...
Le matin riait, ingénu;
Tu m'as dit: Viens! je suis venu
Un peu plus tard, tu m'as dit: Chante!
J'ai chanté ta grâce méchante.
Mais vint la nuit, la nuit d'été;
Tu m'as dit: Pars! je suis resté.
(Sérénades.)
L'enfant et l'étoile
Un astre luit au ciel et dans l'eau se reflète.
Un homme qui passait dit à l'enfant-poète:
" Toi qui rêves avec des roses dans les mains
Et qui chantes, docile au hasard des chemins
Tes vains bonheurs et ta chimérique souffrance,
Dis, entre nous et toi, quelle est la différence ?
- Voici, répond l'enfant.Levez la tête un peu;
Voyez-vous cette étoile, au lointain du ciel bleu ?
- Sans doute !
- Fermez l'oeil.La voyez-vous, l'étoile ?
- Non, certes."
Alors l'enfant pour qui tout se dévoile
Dit en baissant son front doucement soucieux:
" Moi, je la vois encore quand j'ai fermé les yeux."
( " Intermède")
Ce texte, antérieur au Petit Prince , en est un bel écho...
- Ah ! votre nom de Dieu de Paris ! comme il étiole et comme il dévirilise ! C'est la ville femme, la femelle de l'Europe, et quelle femelle ! Ni chair, ni sang, ni os ; du maquillage, rien dessous.
Reste. N’allume pas la lampe. Que nos yeux
S’emplissent pour longtemps de ténèbres, et laisse
Tes bruns cheveux verser la pesante mollesse
De leurs ondes sur nos baisers silencieux.
Au total, le lecteur serait autorisé à accuser de puérilité, ou d'impertinence mystificatrice, ou de déplorable ingéniosité, l'écrivain qui, après l'avoir attiré, alléché, troublé, exaspéré même par une accumulation de miraculeux effets, tout à coup se déroberait à lui en révéler les causes, et, finalement le laisserait, comme on dit, le bec dans l'eau.
Deux bras nus l'étreignirent impétueusement ! le tirèrent, le couchèrent sur de la peau vivante et palpitante, tandis qu'une bouche lui mettait dans la bouche un bâillon de chair grasse et mouillée ; et, dans ses cheveux, sur ses joues, sur son cou, des doigts se multipliaient, lents et violents, comme sans nombre. Alors, fuyant les lèvres lourdes qui lui avalaient tout le souffle, il se déroba, en criant ; mais les bras le ressaisirent, les doigts déchiraient, arrachaient, avec des fureurs et des adresses, ses vêtements, draps et toiles, et, dévêtu, renversé sous la pesée d'un corps qui bientôt glissa, Evelin, en pleurs, plein de transes et d'affres, ses jambes battant l'air, et ses grêles hanches immobilisées entre deux mains brutales, longues et fines, subit, en sa vierge nubilité fragile, le viol goulu, frénétique, silencieusement dévorateur, d'un long baiser infâme.
et, quelques années après ses relevailles, Mme de La Roquebrusssane mourait d'une fluxion de poitrine, gagnée une nuit d'hiver, son mari l'ayant traînée toute nue, par les cheveux, sur le balcon pâle de gel et de lune, pour l'y voir plus blanche et l'y étreindre plus fraîche.