Du bout de ses quatre-vingt-neuf ans, celui-ci, toujours droit sur son oeuvre, fit patienter la mort jusqu'à ce qu'il eût posé la dernière pierre à son dôme de gloire et la première fleur à sa couronne, où n'avaient pas manqué les épines. Ce grand ouvrier, qui avait passé au travailles jours et les nuits mêmes d'une des plus longues vies qui soient accordées ici-bas, n'ayant plus rien à faire que de commencer à jouir d'une halte, préféra — à quelques mois près — le repos de la tombe à celui de l'atelier. Le soir du 18 février 1564, l'homme de fer ou de pierre que le plus terrible des papes, Jules II, avait appelé la Terribiliîa di Michelangelo, s'enveloppa dans son giubbone de manoeuvre, plia ses maigres épaules de taille ordinaire, ferma ses petits yeux couleur de corne brûlée où crépitaient des escarbilles de flamme, courba sa tête au front labouré de sept rides et s'endormit pieusement dans le Seigneur, dont il avait représenté la puissance créatrice plutôt que la grâce féconde, mieux que ne fera jamais aucun autre homme, en son argile animée.
Ce fut quand Michel-Ange, déjà vieillard et toujours invincible, portait le deuil du sculpteur et du peintre malheureux. Il allait se réveiller architecte sur son tombeau qui n'eût pas voulu de ce géant avant qu'il n'eût jeté, dans le ciel de Rome et du monde étonné, cette coupole de Saint-Pierre portant, comme une fleur d'azur dans le bleu de l'espace, la masse prodigieuse du Panthéon d'Agrippa qu'on n'avait osé copier qu'avec timidité, depuis les jours passés et les gigantesques travaux des Romains.
C’est le même ciseau qui, de 1498 à 1500, sculpta pour Saint Pierre de Rome le groupe de la Pietà. Le réalisme s’est si souvent complu à donner une forme plastique à des inspirations grossières ou brutales qu’on a peine à en appliquer le nom à cette oeuvre de dignité religieuse, de dévouement tranquille, de douleur silencieuse. Jamais la Vierge n’a trouvé plus chaste expression, plus calme non plus. Son regard s’abaisse, voilé de lassitude et de mélancolie, sur le corps du divin fils qu’elle tient sur ses genoux. Et la tête du Christ, renversée, annonce la délivrance ; l’homme qui repose ainsi semble sommeiller, respirer peut-être, comme quelqu’un de très las qui goûterait enfin le repos ; les chairs sont tièdes, les muscles tendus ; si la vie n’y est plus, la mort n’y est pas encore. Sous le corps, dont elle rehausse les nobles lignes, une draperie fait onduler ses plis élégants et moelleux.
Le soleil est l'ombre de Dieu.