S’il honore grandement l’humanité, il est cependant bien de son siècle et de sa Toscane. Bourgeois de Florence, il a la fierté de son origine, qu’il porte plus haut peut-être que sa valeur personnelle ; il est aristocrate d’esprit au point de réclamer pour la noblesse le privilège de l’art ; orgueilleux de son sang jusqu’à supporter à 33 ans la dure tutelle de son père. Toutes les superstitions, tous les fanatismes de l’âme étrusque, il les a ; il en a aussi le génie.
Seul son génie dépasse les limites humaines ; il serait unique au monde, s’il n’y avait Platon. Comme a fait la dialectique du philosophe, l’esthétique de l’artiste dégage des choses sensibles l’Idée, qui est l’essence même de leur existence, et Michel-Ange donne à cette Idée la forme plastique. Dans ses premières oeuvres le sculpteur se montre réaliste au sens vulgaire du mot. Mais qui pourra fixer le vrai sens du mot Réalisme? Dédaignant bien vite le côté fugitif et changeant des physionomies humaines, Michel Ange s’attache à représenter « l’âme et le plus intime des êtres », et les seules Idées éternelles lui apparaissent comme des réalités.
En 1494, les hasards de la politique le firent changer de résidence, et, aussi d’inspiration. La mort de Laurent le Magnifique survenue en 1492, avait légué au frivole Pierre, son fils, le destin des Médicis. Michel Ange, inquiet et défiant, s’en fut de Florence à Bologne chercher fortune. Il y resta six mois, fit trois statuettes pour le tabernacle de Saint Dominique et trouva dans l’imitation de Jacopo della Quercia, le dernier des grands artistes du siècle, un élément utile à son génie en formation. Les trois statuettes citées reflètent en effet la transition qui va de l’art gothique au cinquecento.
C’est le même ciseau qui, de 1498 à 1500, sculpta pour Saint Pierre de Rome le groupe de la Pietà. Le réalisme s’est si souvent complu à donner une forme plastique à des inspirations grossières ou brutales qu’on a peine à en appliquer le nom à cette oeuvre de dignité religieuse, de dévouement tranquille, de douleur silencieuse. Jamais la Vierge n’a trouvé plus chaste expression, plus calme non plus. Son regard s’abaisse, voilé de lassitude et de mélancolie, sur le corps du divin fils qu’elle tient sur ses genoux. Et la tête du Christ, renversée, annonce la délivrance ; l’homme qui repose ainsi semble sommeiller, respirer peut-être, comme quelqu’un de très las qui goûterait enfin le repos ; les chairs sont tièdes, les muscles tendus ; si la vie n’y est plus, la mort n’y est pas encore. Sous le corps, dont elle rehausse les nobles lignes, une draperie fait onduler ses plis élégants et moelleux.
L’attitude « pivotante » a trouvé une dernière expression dans le David du Musée de Florence, identifié avec un Apollon au carquois. Le motif du bras qui s’élance et de la tête rejetée en arrière était déjà celui de la Victoire et du Christ précédents. Les proportions de cette oeuvre, remarquablement mesurées, les chairs solides, sans saillies excessives, rappellent la manière des Esclaves du Louvre.
Une Vie, une œuvre : Michel-Ange (1475-1564)
Par Francesca Isidori et Claude Giovanetti.
Émission diffusée pour la première fois sur France Culture le 16.12.1993.