Jeanne Moreau - Chanson à Tuer
Plante ce couteau, minette
Mais droit au coeur s'il te plaît
La besogne à moitié faite
Et les meurtres incomplets
Font horreur à l'âme honnête
Qui n'aspire qu'au parfait
Qui n'aspire qu'au parfait
Parfait, parfait, parfait
Les couteaux à cran d'arrêt
N'ont cure des pâquerettes
L'homme dort comme un boulet
Plante ce couteau, minette
La nuit saoule de planètes
Ne se souviendra jamais
Ne se souviendra jamais
Jamais, jamais, jamais
Droit au coeur, au coeur discret
Qui dans son profond palais
Sait mourir sans chansonnette
Plante ce couteau, minette
La nuit saoule de planètes
Ne se souviendra jamais
Ne se souviendra jamais
Jamais, jamais, jamais
Ne se souviendra jamais
Paroles: Norge
Musique: Michel Philippe-Gérard
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La marguerite
Pendant qu’on chante à la surface
– Allez-y, célèbres chansons,
Allez-y, tambours, contrebasses –
D’autres ronronnent dans le fond.
Nous buvons de hautes lumières
Mais la soyeuse obscurité
Est plus câline à leur paupière
Que le brillant de nos cités.
Bien chatouillés de vermisseaux,
Beurrés de terreaux et de glaises,
Ils sentent dormir sur leurs os,
Dormir et s'éveiller la fraise.
Nous chanterons encore un temps
-Allez-y. tambours, contrebasses,
Nous leur danserons sur la face,
La marguerite entre les dents.
Au petit bonheur
Rien qu'un petit bonheur, Suzette,
Un petit bonheur qui se tait.
Le bleu du ciel est de la fête;
Rien qu'un petit bonheur secret.
Il monte ! C'est une alouette
Et puis voilà qu'il disparaît;
Le bleu du ciel est de la fête.
Il chante, il monte, il disparaît.
Mais si tu l'écoutes, Suzette,
Si dans tes paumes tu le prends
Comme un oiseau tombé des crêtes,
Petit bonheur deviendra grand.
C’est une chaise qui a créé le monde : au commencement, il n’y avait que des chaises. Elles s’ennuyaient. Faisons-nous un homme, dit une chaise, un homme qui posera son séant sur notre siège, qui s’appuiera contre notre dossier, qui nous changera de place, qui nous polira, nous cirera, nous caressera. Cette chaise-là pensa l’homme si fortement que l’homme fut. Et l’homme, enfant de la chaise, vit de plus en plus assis.
FIN DU MONDE
Ce qui enveloppa le monde pour finir, ce fut un grand
ricanement. Ricanement d'une résonnance profonde. On
sentait que ça venait de loin et que ça irait partout. Mais
savoir qui ricanait : le créateur, le destructeur ? Absolument
impossible à dire. En tout cas, ce fut déprimant pour ceux
qui attendaient la juste trompette des anges.
(Oignons, inédits)
Sucre candide
Maman, l'hiver,
m'en donnait un petit morceau
pour la gorge,
quand je partais à l'école.
L'instituteur m'apprit un jour,
qu'on ne dit pas le sucre candide,
mais le sucre candi.
Quelle déception !
Le lendemain, je doutais du Père Noël
et un peu plus tard,
je réfléchis à l’existence de Dieu.
Un chat brûlé qui peigne son pelage,
Un noir chaudron parlant de pucelage,
Un oeuf tordu qui fut merle au printemps,
Une grenouille à rêver dans l'étang.
Un vent manchot retour de Palestine
Et qui tond l'herbe avec sa crinoline,
Puis une truite à moustache allaitant
Une grenouille à rêver dans l'étang.
Un oeil qui traite la montagne de Lure,
Une noix creuse et de bonne figure,
Lavant liquette aux prés et qui l'étend
Sur la grenouille à rêver dans l'étang.
Un boudin fou, bailli de son village,
Comptant les sous que lui devait l'orage,
Voilà qu'a vu que voit, que vit rêvant
Une grenouille à rêver dans l'étang.
LA MER
Il est difficile de peindre la mer, mais il est simple de peindre des vagues. Toutes les couleurs conviennent, elles sont toujours justes, car il existe des vagues de toutes les couleurs. Voilà pourquoi l'artiste dessine beaucoup de vagues, puis il étend des jaunes, des bleus, des verts, des gris, des bruns même. Enfin, il peint le sentiment. C'est le plus important pour la mer.
Mon âme et moi, nous nous voyons très peu:
Elle a sa vie et ne m'en parle guère.
Je connais mal ses loisirs oublieux,
Moi, je n'ai pas le temps; j'ai mes affaires.
********************* UNE CHANSON ***************
Une chanson bonne à mâcher
Dure à la dent et douce au cœur .
Ma sœur , il ne faut pas te fâcher .
Ma sœur .
Une chanson bonne à mâcher ,
Quand il fait noir , quand il fait peur.
Comme à la lèvre du vacher .
La fleur .
Une chanson bonne à mâcher
Qui aurait le goût du bonheur .
Mon enfance , et de tes ruchers
L'odeur .
LES QUATRE VÉRITÉS
D’enfance
D’ENFANCE
Dieu, qu’elle était belle
Nue à la chandelle,
Ma sœur !
Elle attendait son
Aimable garçon-
Brasseur.
Dieu, qu’elle était nue,
Rosement charnue,
Adèle,
Au moment hélas
Qu’elle soufflait la
Chandelle.
Ténèbres bien faites
Pour ces longues fêtes
Et pour
Ces luttes, ces rages,
Ces fleuves, ces nages,
D’amour !
Je n’ai su jamais
Comment ils s’aimaient,
Ô drames !
La vie et la mort
Faisaient un seul corps
En flammes.
Jamais plus au monde
Je n’écoute rien,
Rien comme
Ces cris de ma blonde
Sœur et du vaurien,
Son homme.
Derrière la porte,
Le ciel commençait,
Torride !
Mon âme, sois forte,
Tout, sauf l’amour, c’est
Le vide.
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