Samivel
-
SAMIVEL : l'origine de son pseudonyme ; ses débuts de dessinateur, d'
illustrateur de
livres pour enfants et d'écrivain ; ses intentions dans son livre "L'Oeil émerveillé" ; ses études ; remarques sur la beauté ; son goût pour la
montagne ; pourquoi il habite la
province ; ses
voyages : Groënland, Islande, Egypte, ses conférences pour "Connaissance du monde" ; son
recueil de nouvelles...
Maintenant il n'y avait plus personne sur la Montagne d'Armance, sinon les marmottes qui rentraient en hâte leurs dernières bottées de foin. Puis un matin, sans crier gare, le petit lac se couvrit d'une peau de glace et l'herbe rousse fut pleine de minuscules cadavres de criquets raidis, les pattes en l'air. Les jours suivants, les choucas tinrent des assemblées jacassantes sur les cailloux dela moraine, et leurs grandes compagnies noires s'envolèrent en bloc, firent des cercles, plongèrent vers la vallée. Enfin la neige se mit un soir à tomber.
Pinte -« Sacripant ! Je t'y prends ! Misérable ! Me voler mon petit poussin, si mignon, si joli, si tendre ! Oh fripouille, on devrait te pendre ! »
Renard - « Dame Pinte, ma mie, c'est un malentendu, je vous assure, un tout petit malentendu (aïe!)... et de mon côté je vous jure que je n'y pense déjà plus (aïe!) »
Pinte -«Hors d'ici, canaille ! Ou , foi de Pinte, tu es mort !»
Ce jour-là fut la journée-des-nuages.
Nous grimpions une pente éblouissante qui soudain fléchit sous nos pas et mourut dans une apothéose d'azur et de blancheur. Nous sûmes seulement que nous avions cessé de monter parce que nous commencions à descendre, mais le sommet lui-même demeura invisible.
Je m'arrêtai. La corde détendue replia mollement sur elle-même trois anneaux silencieux. Trois piolets vinrent en vibrant se ficher côte à côte, et, culbutant leur charge avec de gros soupirs de délivrance, trois garçons se laissèrent choir à leur tour, étirèrent voluptueusement leurs membres sur la neige dure et lisse, miraculeuse oasis d'horizontalité au milieu de ces abîmes et de ces hérissements.
Page 165
Complètement dégoûtés du métropolitain, de l'existentialisme, du parlementialisme, du totalitarisme, des sulfamides, de la démocratie, du progrès atomique, des robots, des assurances sociales et du quatrième top, Samovar et Baculot s'enfoncent dans les neigeuses solitudes afin de se retrouver eux-mêmes.
Je ne sais pas si les gens heureux n'ont pas de chemise. Mais à coup sûr ils sont dépourvus de montre. Et notre civilisation périra d'un excès de montres : il n'en faut plus douter.
Au fait... Quelle heure est-il ?
Naturellement, Alain n'en a pas la moindre idée. Ce garçon n'a aucune tête et laisse régulièrement son chronomètre dans la vallée.
Amis ! Emportez toujours une montre. Les barbares seuls n'ont pas de montre. Je n'ai pas bonne opinion d'un homme sans montre. Un homme sans montre ne mérite aucun crédit.
Nous finissons par apprendre qu'il est midi. Il pleut toujours. Nous déjeunons. Il pleut encore. Alors nous plions bagage et mettons le cap sur la vallée.

Commandements de Samivel
Le Parc National protège contre l'ignorance et le vandalisme
des biens et des beautés qui appartiennent à tous.
Les défenseurs de la vie sont les amis du Parc National.
Les amis du progrès et de la paix sont les amis du Parc.
Les sportifs, les artistes et les savants sont les amis du Parc.
Voici l'espace. Voici l'air pur. Voici le silence.
Le royaume des aurores intactes et des bêtes naïves.
Tout ce qui vous manque dans les villes
Est ici réservé pour votre joie.
Eaux libres. Hommes libres.
Ici commence le pays de la liberté.
La liberté de se bien conduire.
Les inconscients ne respectent pas la nature.
Ils croient se grandir en la polluant
Et ne savent même pas qu'elle se venge.
Puisez dans le trésor des hauteurs
Mais qu'il brille après vous pour tous les autres.
La faiblesse a peur des grands espaces.
La sottise a peur du silence.
Ouvrez vos yeux et vos oreilles. Fermez vos transistors.
Pas de bruit. Pas de cris. Pas de moteurs. Pas de klaxons.
Ecoutez les musiques de la montagne.
Les vraies merveilles ne coutent pas un centime.
La marche nettoie la cervelle et rend gai.
Enterrez vos soucis et vos boîtes de conserves.
Un visiteur intelligent ne laisse aucune trace de son passage.
Ni inscriptions. Ni destructions. Ni désordre. Ni déchets.
Les papiers gras sont la carte de visite des mufles.
Récoltez de beaux souvenirs mais ne cueillez pas les fleurs.
N'arrachez surtout pas les plantes, il pousserait des pierres.
Il faut beaucoup de brins d'herbes pour tisser un homme.
Ravageurs de forêts : mauvais citoyens.
Qui détruit le nid vide le ciel. rend la terre stérile.
Ennemi des bêtes : Ennemi de la vie : Ennemi de l'avenir.
Oiseaux, marmottes, hermines, chamois, bouquetins,
Et tout ce petit peuple de poil et de plume
Ont désormais besoin de vous pour survivre.
Déclarez la paix aux animaux timides.
Ne les troublez pas dans leurs affaires
Afin que les printemps futurs réjouissent encore vos enfants.
Défense ici de chasser, sauf aux images.
N'allumez pas de feu au hasard. Ne campez pas n'importe où.
Certains gestes irréfléchis peuvent tout compromettre.
Le Parc National c'est le jardin des Français.
Et c'est aussi votre héritage personnel.
Acceptez consciemment, de bon coeur, ses disciplines,
Et gardez-le vous même contre le vandalisme et l'ignorance.
L'homme, ses expériences d'homme, ses déceptions, ses haines, ses ambitions, ses amours, ses appétits, ses rides furent abandonnés en tas vers l'altitude 8 000, et il resta l'enfant. L'être qu'il avait été, que nous avons tous été vers cinq ans. Celui qui jouait avec le Monde, et que le Monde n'osait tromper. Et devant cet Enfant sans mémoire et sans craintes, toutes choses s'aplanirent, furent aplanies au vrai sens du mot.
Dans le couloir où l'ombre froide plus lourde cent fois
que le plus lourd bloc, on nous a posé sur la pente roide de
bric et de broc.
J'ai juste envie d'un peu de douceur pour commencer cet automne entouré de grisaille :
Quand automne en saison revient
Quand automne en saison revient
La forêt met sa robe rousse
Et les glands tombent sur la mousse
Où dansent les petits lapins.
Les souris font de grands festins
Pendant que les champignons poussent.
Ah ! que la vie est douce, douce,
Quand automne en saison revient.

Il pleut. Il pleut. Il pleut. Des lambeaux de coton remontent à grande vitesse le large courant du fleuve de glace où nous trébuchons parmi les blocs glissants et les mamelons vert bouteille. La pluie frappe de plein fouet le visage ruisselant, colle aux genoux le pantalon de gros drap, tandis que les feutres trempés dégorgent agréablement les gouttières sur les épaules et dans le cou. Ce sont les situations intermédiaires qui sont les plus détestables, mais à partir d'un certain stade d'humidification et quand le bain total s'est révélé définitivement obligatoire, on recouvre une admirable sérénité d'esprit et l'on patauge au hasard des lieux avec le superbe mépris de Gulliver franchissant les océans de Lilliput.
Au Montenvers, nous somme rincés à fond. Mieux vaut poursuivre la descente à pied, plutôt que d'attendre un funiculaire problématique. Nous dévalons alors dans le brouillard et la forêt luisante d'eau. Personne d'autre qu'un écureuil fort crotté, et tout en bas, dans un pré, une petite fille nattée sous un immense parapluie rouge, qui monte bravement la garde auprès d'une vache à la clarine mélancolique.