Citations de Adèle Rosenfeld (39)
L’homme est un être plein d’espoir et de désespoir, a-t-il repris, si le désespoir l’emportait constamment, tout le monde sombrerait, et comme il n’est pas raisonnable de conserver de l’espoir dans ce monde dans lequel nous vivons, c’est la preuve même que l’homme n’est pas un être raisonnable. La renaissance d’une chose si absurde que l’espoir montre bien que vous allez tenir, et que ce n’est pas votre raison, mais votre déraison qui va faire que vous allez dépasser cette situation. Servez-vous-en pour avancer, ne regardez pas l’aspect raisonnable des choses, Louise, mais puisez dans la folie la force pour grandir.
Il expliquait que les tentatives qui se développaient pour archiver le Web n'y faisaient rien, que le passé échappait, que le futur allait être encore moins enregistrable et conservable. La fragilité des supports, leur durée doive extrêmement courte faisaient que nous entrions plus encore dans l'oubli.
Oedipe s'était crevé les yeux, mais pourquoi ? Il aurait dû plutôt se crever les oreilles. En réalité c'était une affaire d'oreilles. Oedipe a mal entendu le message de l'oracle, c'était un malentendant, il n'avait pas su écouter les mises en garde. Mais le sourd n'a pas la grandeur de l'aveugle, ni son calme philosophique. Et l'engouement de la psychanalyse a persévéré dans ce malentendu. Non, vraiment, ça n'avait aucun sens, les psys ne sont ni yeux ni bouches, ils sont oreilles.
Le langage aussi peut être sécurisant, voire sécuritaire : on croit alléger la dureté des mots en les compliquant. Sourds, aveugles, vieillards, malades mentaux, on a honte de parler de vous : des malentendants aux hospitalisés spéciaux en passant par les non-voyants et les seniors, on va arriver à parler des personnes mortes comme des non-vivants.
Car, entendre, ce n'était pas écouter. Comme regarder, ce n'était pas voir. Je savais écouter, mais je n'entendais plus. Et pourtant, tout ce temps, j'avais entendu du langage.
En termes d’imaginaire collectif, le sourd était passé à la trappe, nulle légende dorée autour d’oreilles crevées. Les sourds n’avaient pas leur place dans les mythes fondateurs de l’humanité. L’empathie de l’humanité était indéniablement réservée aux aveugles. En Chine, les sourds étaient jetés à la mer ; en Gaule, ils étaient sacrifiés à leurs dieux ; à Sparte, ils étaient précipités du haut des falaises ; à Rome et Athènes, ils étaient exposés sur les places publiques ou abandonnés dans les campagnes.
Œdipe s’était crevé les yeux, mais pourquoi ? Il aurait dû plutôt se crever les oreilles. En réalité, c’était une affaire d’oreilles. Œdipe a mal entendu le message de l’oracle, c’était un malentendant, il n’avait pas su écouter les mises en garde. Mais le sourd n’a pas la grandeur de l’aveugle, ni son calme philosophique. Et l’engouement de la psychanalyse a persévéré dans ce malentendu. Non, vraiment, ça n’avait aucun sens, les psy ne sont ni yeux ni bouches, ils sont oreilles.
J’adorais Blue Train.
Plus tard, j’ai reconnu les premières notes du premier morceau de l’album, elles coulaient en moi comme jamais elles ne m’étaient parvenues.
J’avais dit à Thomas, le saxophone, c’est ce qui se rapproche le plus de la voix humaine, parfois je les confonds.
Puis, il m’avait écrit cette phrase de Miles Davis : « La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu’encadrer le silence », m’invitant à accepter que le silence était premier sur le son.
À la fin, j’ai dû pleurer de plaisir quand la basse a percé, puis le piano. J’entendais chacun des instruments.
Comment était-ce possible ? « Tu te souviens l’audiogramme ? » Thomas l’avait donné à un de ses amis régisseur et il avait adapté Blue Train à ma courbe auditive, réglant chacune des fréquences pour qu’elles me parviennent au mieux.
J'ai longtemps réfléchi et je me suis dit que si le silence faisait partie du langage. Il n'était pas son contraire mais une entité intrinsèque à la langue.
Le silence était un lieu où résider dans le langage. Le silence libérait des mots et des images que le langage retenaient prisonniers. Je n'étais donc pas perdue mais en chemin.
En termes d'imaginaire collectif, le sourd était passé à la trappe, nulle Légende dorée autour des oreilles crevées .
Mes forces se fracassaient sur tous les malentendus. Chaque mot incompris devenait une injustice de plus. J’avais beau tendre mon cou, dirigé mon regard sur les lèvres, écarquiller les paupières, polir mon lexicographe interne, garder confiance et me répéter « tu vas l’avoir cette phrase », l’échec envahissait mon existence.
Mais l’article que j’ai découvert ensuite m’a interpellée : « Selon ces études, les personnes sourdes montrent une augmentation de leur capacité à traiter le mouvement visuel. Entre autres, elles sont plus rapides et précises à percevoir la direction du mouvement dans le champ visuel périphérique et elles produisent des ondes de potentiels évoqués visuels d’une plus grande amplitude. »
Orpheline. Oui, c’était sûrement ça que j’avais toujours éprouvé, le sentiment de n’appartenir à aucun monde. Pas assez sourde pour être rattachée à la culture sourde, pas assez entendante pour participer pleinement au monde des entendants. Tout tenait à ce que je me persuadais d’être ou de ne pas être. Les dommages collatéraux qui avaient salement ébréché mon ego et la confiance en moi étaient, pour les autres, des troubles orphelins qu’ils avaient du mal à comprendre. Est-ce que le manque qui m’habitait venait de là ? De cette absence qu’il fallait combler par l’excès ?
Puis il m'avait écrit cette phrase de Miles Davis : "La véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu'encadrer le silence", m'invitant à accepter que le silence était premier sur le son.
(...) deux cents ans de progrès technique pour m'expliquer quelque chose que je savais depuis toujours.
Même dans le service d'hospitalisation ORL, mal entendre relevait encore de la lutte des classes avec les entendants.
J'avais l'habitude de divaguer dans les silences et les mots perdus, me faire aspirer par la puissance imaginaire, mais cette fois le réel était tellement ébréché par les sons amenuis que les images s'incarnaient en moi avec une force nouvelle.
Le silence était un lieu où résider dans le langage. Le silence libérait des mots et des images que le langage retenait prisonniers.
Je la voyais sur le continent des entendants se désoler de me voir prendre le large vers les sourds insulaires.
J’ai longtemps réfléchi et je me suis dit que si le silence faisait partie du langage, il n’était pas son contraire mais une entité intrinsèque à la langue. Le silence était un lieu où résider dans le langage. Le silence libérait des mots et des images que le langage retenait prisonniers. Je n’étais donc pas perdue mais en chemin.
Un écrivain, pfff, il peut toujours recommencer quelque chose d’imparfait. La vie non, ce que nous avons vécu ne peut être ni corrigé ni jeté. C’est terrible.