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Citations de Alain Mabanckou (778)


Dans un cimetière, il y a autant d’histoires que de tombes
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Est-ce que les gens du pays connaissent la vraie musique ? Eux ils ne font que se tortiller, ils entrent en transe dès qu' ils entendent le tam-tam battre. Est-ce que jouer du tam-tam dans un groupe est une activité honorable, hein ? Est-ce que tu peux arriver chez toi et dire à ta femme chérie moi je joue du tam-tam, c'est mon travail et voici mes fiches de paie ? C'est ça qui peut combler le trou de la sécu ou réparer la panne de l' ascenseur social ? Et Roger Le Franco-Ivoirien veut que moi je parle du tam-tam ou du tambour dans mon journal ! Franchement le tam-tam c'est pour les amateurs du tapage nocturne, un point c'est tout. C'est pour ça qu'à la différence de notre Arabe du coin, moi je respecte les Chinois et les Pakistanais. Ce sont de braves types à qui on colle injustement la mauvaise réputation qu'ils se démènent ou qu'ils restent cois alors qu'ils ne font du mal à personne. Eux au moins ils ne jouent pas du tam-tam dans ce pays. Le jour où on inventera des tam-tams sans bruit, beaucoup de vieux nègres perdront leur raison de vivre. Le tam-tam on devrait l'abandonner pour toujours puisque son temps est révolu. C'est vrai que jadis pour s'amuser on utilisait cet instrument dans les champs de coton du Sud de l'Amérique là-bas pour dire aux autres esclaves attention il y a le maître qui vient avec ses chiens, faites semblant de travailler sinon il va vous chicoter ou vous vendre à un autre maître qui est plus méchant et qui va couper les jambes aux nègres marrons. C'est aussi avec le tam-tam que ces esclaves pleuraient les soleils lointains du continent noir quand ils avaient le blues. C'est aussi avec le tam-tam que les Africains ont accueilli les soleils des indépendances alors qu'ils ne savaient pas qu'ils allaient de Charybde en Scylla.
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Les gens n'arrêtaient pas de me regarder. Je me disais que c'était l'effet de mon costard, de mes chaussures et de mon parfum. Alors je réajustais la cravate, je redressais mon pantalon afin qu'il tombe bien sur les chaussures. J'ai ouvert les trois boutons de la veste, une technique pour mettre en valeur ma ceinture Christian Dior. Et puis, tout à coup, un type s'est libéré de la foule à la manière d'un rugbyman qui tente de marquer un essai dans un espace aussi étroit qu'une cabine téléphonique. Il était tellement crasseux que je me suis dit qu'il s'était échappé de Trilogie sale de La Havane de Pedro Juan Gutiérrez, le roman que j'avais emprunté chez mon ami, l'écrivain haïtien Louis-Philippe, et que je lisais depuis quelques jours dans les transports.
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On a tout fréquenté dans les environs du Ier arrondissement : Le Père Tranquille, Le Baiser salé, La Chapelle des Lombards, Oz Café et que sais-je encore. Parfois elle me faisait bien rire. Déjà à cette époque, comme plus tard lorsque l'Arabe du coin nous contait ses blagues sur les Israéliens à qui on apprenait que le temps était maussade ou aux Arabes qui, pour téléphoner chez eux, utilisaient toujours les Kabyles téléphoniques, je riais plutôt de son rire à elle parce que quand elle riait c'était comme une vieille bagnole qui n'arrivait plus à démarrer sur une cote de première catégorie, et elle ne se retenait plus jusqu'à faire couler des larmes.
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Un écrivain ne doit pas chercher à comprendre pourquoi il écrit, comme s'il cherchait des excuses pour se faire pardonner les audaces de sa vision du monde. T'es-tu par exemple demandé pourquoi tu marches ? Et lorsque tu marches, contrôles-tu tes pas ? L'écriture est une marche, sauf qu'on a un multitude de jambes, et on ne sait jamais à quelle destination on arrivera...
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Les chanteuses-danseuses-pleureuses dorment à tour de rôle à la belle étoile sur leurs nattes, dans la cour, autour de toi. Lorsque la moitié d'entre elles s'endort, l'autre te veille, poursuit les chants, les danses, les pleurs, te glorifie et te regrette, car le pire serait de laisser un grand silence ternir ta joie.
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Lorsque les filles de mon village s'amusaient à la poupée, ma mère, elle, m'expliquait ce qui pourrait retenir un homme : la cuisine et le sexe, disait-elle, tout le reste n'est que chimère, y compris la beauté et le diplôme. Une femme belle et diplômée qui cuisine mal et qui baille au lit se fera supplanter par une laide inculte qui sait préparer un plat de saka-saka et qui envoie son amoureux au de-là du septième ciel.
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Il n'y a plus de cinéma dans cette ville, et cela dure depuis les années 1990 où la population a vu se propager les Églises de Réveil qui ont pris d'assaut la plupart des salles dédiées au septième art. Le cinéma Rex, espace mythique de projection de films, est devenu une église pentecôtiste dénommée La Nouvelle Jérusalem, avec ses pasteurs endimanchés qui annoncent l'Apocalypse à tour de bras, menacent les mécréants des flammes de la géhenne et promettent à leurs ouailles miracles et fortunes. La désillusion se lit sur les mines des aveugles, des sourds, des muets et des paralytiques. Ils traînent dans les parages et espèrent une guérison divine.
C'est pourtant là que nous nous attroupions et attendions chaque matin le collage de l'affiche du film qui serait projeté à partir du début de l'après-midi. C'est aussi là que nous acclamions les aventures de Bud Spencer et Terence Hill dans On l'appelle Trinita, On continue à l'appeler Trinita ou Deux Super-Flics. C'est encore là qu'un portier, boxeur professionnel au visage de truand du Far West, faisait la loi, nous indiquait où nous devions nous placer dans la queue. Il travaillait avec ses gants de boxe autour du cou et, au moindre remue-ménage dans la foule, il les enfilait. Nous étions ses sujets, nous devions nous plier à sa volonté, à ses caprices au risque de prendre un uppercut qui nous enverrait tout droit à l'hôpital Adolphe-Sicé. Il vous éjectait de votre siège selon son humeur afin de placer un de ses parents ou quelqu' un qui l'avait soudoyé, et vous n'aviez plus qu'à vous asseoir par terre. II laissait entrer les gamins à une séance interdite « aux moins de dix-huit ans » moyennant une pièce de cent francs CFA. Autant que je m'en souvienne, c'était lui le responsable direct de la plupart des rixes devant le cinéma ou à l'intérieur, comme s'il tirait profit des lieux pour appliquer ce qu'il avait appris dans la salle d’entraînement. Puisqu'il était laid, on l'avait vite surnommé « Joe Frazier » en écho aux propos de Mohamed Ali qui traitait son opiniâtre concurrent de la sorte.
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Le regard de l'inconnu est presque humide, comme si des larmes allaient couler de ses yeux. II considère un instant la bouteille de bière et enchaîne:
- Monsieur l'écrivain, tu ne sais pas ce qui s'est passé dans ce pays de merde. C'était terrible ! Les journaux n'ont pas dit la vérité parce que ces journaux, c'est écrit par qui, hein ? Par des espions, c'est-à-dire les Français ! Depuis quand les Français disent la vérité ? Ils mentent tout le temps! Moi j'ai vu cette guerre de mes propres yeux, j'étais là, j'étais dans le groupe des réfugiés. Parfois des femmes enceintes accouchaient dans la brousse parce que, entre nous, les bébés ils naissent même quand y a le pétrole et la guerre dans un pays. Le pire c'est qu'on continuait à faire l'amour pendant que la guerre tuait des gens en pagaille. Tu me demanderas certainement pourquoi n'avoir pas attendu la fin de la guerre pour faire l'amour ? Ah non, on ne pouvait pas attendre la fin de la guerre sinon on allait oublier comment faire 1'amour et, à la fin de cette putain de guerre, on aurait fait l'amour avec les animaux ! C'était pas nouveau : dans l'histoire de ce monde il paraît que des gens faisaient même l'amour alors qu'il y avait le choléra...
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... je t'assure que les êtres humains s'ennuient tellement qu'il leur faut ces romans pour s'inventer d'autres vies ...
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J'ai maintenant beaucoup de « nièces » et de « neveux ». Un petit groupe m'entoure dans la parcelle de tonton Albert, avec de gros yeux qui me dévorent, de petites mains qui me tirent par la chemise. Dès que je bouge d'un pas, cette tribu bourdonnante me suit, et si je m'arrête, elle s'arrête aussi, sans doute de peur que je disparaisse. Pour ces mômes je suis une apparition, une ombre qui s'évanouira lorsque le soleil se couchera. Dans leur esprit je ne suis qu'un personnage habilement construit par leurs parents, au point que les pauvres bambins s'imaginent que je pourrais donner des jambes aux paralytiques et la vue aux aveugles. Un d'entre eux - le plus grand de taille - me renifle tel un chien essayant de reconnaître son maître trop longtemps absent. Chacun veut parler le premier. Untel veut des sandales et se lance dans des explications amphigouriques :
- Parce que, tonton, tu comprends, quand tu n'as pas de sandales neuves, tu peux pas arriver à l'heure en classe, tu dois les réparer dans la rue pendant deux heures, et quand tu expliques ça au maître, lui il ne veut pas comprendre, il dit que tu n'es qu'un petit menteur alors que c'est même pas vrai que moi je peux mentir ! Est-ce que toi tu me crois, tonton ?
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Au lieu de parler directement de nos problèmes qui sont très graves à l'heure actuelle, Christopher Smith tourne en rond comme un camion qui chauffe d'abord son moteur avant de démarrer.
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Tu revois le deuxième jour de tes funérailles. Des femmes qui chantent, qui dansent et qui pleurent tout autour de toi. Tu es sous l’emprise de leur charme, tu perds la sérénité habituelle des dépouilles. Tu contient difficilement l’envie de quitter ton lit de mort, de passer ton bras autour des reins de la plus belle de ces créatures et d’exécuter avec elle la fameuse danse des Bembés, le Muntutu.
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C’était ce qu’elles appelaient le Likelemba, un système de crédit sans taux d’intérêt fondé sur l’honneur, la parole, la confiance réciproque et une véritable amitié.
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Tu es un morceau de bois sec emporté par le courant de tes illusions, et tu ne pourras plus éviter ce quatrième jour de tes funérailles, c’est-à-dire ton dernier jour sur terre, incontestablement le plus important car, si tu avais un mot à dire, il faudrait le prononcer là, après ce sera fini. Pour de bon…
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Je l'appelais «grand-mere Hélène », elle était en rélite ma tante et habitait dans la rue de Louboulou, juste derrière le domicile de tonton Albert. Elle marchait pieds nus, s'arrêtait devant chaque parcelle pour offrir des légumes, des fruits, du manioc, du foufou ou une dame-jeanne de vin de palme. Elle était de ceux dont on croirait qu'ils sont nés déjà vieux, édentés, avec leurs cheveux blancs et une démarche hésitante de gastéropode égaré, tant il était impossible de s'imaginer que grand-mère Hélène aussi avait été jeune, On ne pouvait déterminer son âge, elle-meme l'ignorait, ayant vécu sans pièce d'identité et sans acte de naissance. En son temps, pour obtenir ces documents, il fallait se rendre auprès des autorités coloniales qui mesuraient la taille, regardaient la dentition et affectaient une année de naissance approximative avec la fameuse mention Né(e) vers... Ni son mari, Vieux Joseph, ni elle ne firent le déplacement, d'autant que plusieurs chefs coutumiers qui ne manquaient pas d'imagination dans le combat contre l'administration coloniale propageaient des rumeurs selon lesquelles les Blancs avaient un plan secret : emporter en Europe l'âme de ceux qui accepteraient de se faire établir des documents d'état civil.
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Lors de la réunion familiale organisée pour fêter mon arrivée, j'ai remarqué deux chaises vides en face de moi et deux verres remplis de vin de palme posés devant chacune d'elles. Tout le monde avait une explication, sauf moi. Pour en avoir le cœur net j ai demandé si on attendait encore deux personnes car nous étions déja plus d'une trentaine dans cette parcelle laissée par ma mère. Une cousine m'a chuchoté dans l'oreille, d'un air embarrassé - c'est ta mère et ton père qui sont assis sur ces deux chaises. Toi tu crois qu elles sont vides, mais elles sont occupées... Et elle a précisé qu'il manquait d'autres membres de la famille qui reposent au cimetière Mont-Kamba, la nécropole des petites gens située à l'autre bout de la ville...
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Le camarade président Marien Ngouabi était lui aussi très petit de taille et portait des chaussures Salamander de ce genre, peut-être dans l'espoir de ne pas être trop court de taille devant les autres présidents, au risque de ressembler à un verre posé à côté d'une bouteille de vin rouge.
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Ma mère est trop orgueilleuse, elle refuse le coup de main de Papa Roger qui s'inquiète beaucoup car quand on a des problèmes d'argent c'est difficile d'avoir l'appétit ou le sommeil.
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A ses yeux j'étais le prolongement de son existence, la lueur ultime dans la traversée d'un tunnel incommensurable. J'étais le signe indéniable d'une immortalité qu'elle aurait enfin acquise lorsque je me délivrai de son ventre dans un bâtiment délabré du district de Mouyondzi en cette nuit à la fois torride et glaciale du 24 février 1966 où la lune peinait à intimider les ténèbres tandis que les coqs s'impatientaient à annoncer l'aube d'un autre jour. Incrédule devant un bonheur à peine altéré par le souvenir de la débâcle de mon géniteur, elle posait avec angoisse ses mains fébriles sur ma poitrine, vérifiais que je respirais encore, que je n'étais pas une apparition qui se déroberait dès qu'elle aurait le dos tourné.
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