Alexandre Marius Jacob, Pourquoi j'ai cambriolé (2/2)
-La bonne blague ! "Qu'un riche vienne à commettre un délit ..." Mais, monsieur, lui répondis-je, les riches n'ont pas à commettre de délits, de crimes, puisqu'ils volent, qu'ils tuent avec l'appui des lois, légalement. Ils ne cambriolent pas, eux, ils commercent, ils agiotent; ils n'ont pas à défendre leur liberté contre l'agression d'agents du pouvoir, puisqu'ils sont le pouvoir et que leurs valets les protègent au lieu de les attaquer.
Note laissée le jour de son suicide le 28 aout 1954 : "Linge lessivé, rincé, séché, mais pas repassé. J'ai la cosse. Excusez. Vous trouverez deux litres de rosé à côté de la paneterie. À votre santé."
La société ne m’accordait que trois moyens d’existence : le travail, la mendicité, le vol. Le travail, loin de me répugner, me plaît. […] Ce qui m'a répugné, c'est de suer sang et eau pour l'aumône d'un salaire, c'est de créer des richesses dont j'aurais été frustré. En un mot, il m’a répugné de me livrer à la prostitution du travail. La mendicité, c'est l'avilissement, la négation de toute dignité. Tout homme a droit au banquet de la vie. Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend. Le vol, c'est la restitution, la reprise de possession. Plutôt que d'être cloîtré dans une usine, comme dans un bagne ; plutôt que mendier ce à quoi j'avais droit, j'ai préféré m'insurger et combattre pied à pied mes ennemis en faisant la guerre aux riches, en attaquant leurs biens.
Plutôt que mendier ce à quoi j'avais droit, j'ai préféré m'insurger et combattre pied à pied mes ennemis en faisant la guerre aux riches, en attaquant leurs biens.
Certes, moi aussi je réprouve le fait par lequel un homme s'empare violemment et avec ruse du fruit du labeur d'autrui. Mais c'est précisément pour cela que j'ai fait la guerre aux riches, voleurs du bien des pauvres.
Le peuple évolue tous les jours. Voyez-vous qu’instruits de ces vérités, tous les meurt-de-faim, tous les gueux, en un mot, toutes vos victimes, s’armant d’une pince-monseigneur, aillent livrer l’assaut à vos demeures pour reprendre leurs richesses, qu’ils ont créées et que vous leur avez volées. Croyez-vous qu’ils en seraient plus malheureux ? J’ai l’idée du contraire.
Plus d'un homme travail, moins il gagne ; moins il produit, plus il bénéficie. Le mérite n'est donc pas considéré. Les audacieux seuls s'emparent du pouvoir et s'empressent de légaliser leurs rapines. Du haut en bas de l'échelle sociale, tout n'est que friponnerie d’une part et idiotie de l’autre.
Ceux qui produisent tout n'ont rien, et ceux qui ne produisent rien ont tout. Un tel état de choses ne peut que produire l'antagonisme entre les classes laborieuses et la classe possédante, c'est-à-dire fainéante.
[Lettre à Georges Arnaud, en réponse au livre de celui-ci Prisons 1953]
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Avez-vous fait quelquefois, cher camarade, la pêche au mulet? C'est très amusant; toute l'astuce du poisson ressemble à celle que l'homme emploie dans la mêlée sociale. On amorce avec un pastis fait de mie de pain et de morue. On piège, puis on attend la touche. Mais la touche ne se manifeste que rarement. Impatient, on lève la ligne et on s'aperçoit alors que l'appât a disparu. Volatilisé. Mystère? Que non. Le mulet au lieu de foncer horizontalement sur l'hameçon, y va du dessous, et suçant menue bouchée par menue bouchée, dépiaute artistiquement l'hameçon et disparaît pour digérer. Ça c'est la manière de "l'honnête homme légal". Parfois un mulet impatient, mal éduqué ou un peu fada, fonce sur l'appât horizontalement et se trouve pincé. Ça c'est la manière du délinquant. Ce qui, en termes plus clairs, revient à dire que le criminel, le délinquant, est un honnête homme qui n'a pas réussi. En inversant la proposition, on la définition de l'honnête homme. Pas vu: pas pris. Pas vu: honnête. Pris: criminel. Mais ce criminel, un millième de seconde avant son arrestation, était un honnête homme. C'est la découverte de sa maladresse qui a changé son "étiquette de moralité". C'est cependant toujours le même homme!
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[Lettre à Georges Arnaud, en réponse au livre de celui-ci "Prisons 1953"]
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Votre critique sur la qualité du travail dans les prisons de France est très pertinente, vos suggestions sont saines, raisonnables. Mais ce sont là des visions d'avenir pouvant s'adapter à une société propre, à peu près propre. Aussi ne présentent-elles dans notre monde pourri qu'un non-sens, une gageure de déraison. Je m'explique. Donner le goût du travail aux détenus? Bon. Leur apprendre ainsi un métier afin que, de retour dans le circuit, ils puissent s'y défendre, y vivre comme y vivent les classes laborieuses. Parfait. Mais vous avez également écrit: "Il y a les imbéciles, il y a aussi les intelligents." Talleyrand avait déjà dit: "Il y a les tondeurs, il y a les tondus." En sorte que, en gros, vous entendez, dans l'état actuel des choses, que redressement et amendement consistent à transformer tondeurs en tondus. Ne vaudrait-il pas mieux, pour éviter les déceptions, inculquer aux "capturés" d'autres professions que celle que vous indiquez: au diable la truelle, le marteau, l'alêne, l'aiguille, la lime. Donnez de leçons d'agiotage sur l'art de déplacer des capitaux sans l'aide de pinces-monseigneur; des leçons de politique sur l'art de mentir aux fadas avec profit de sinécures. Bref, des leçons de choses pratiques, honnêtes, légales, leur assurant une existence heureuse et républicaine. Croyez-vous que les récidivistes résisteraient à une telle éducation? C'est à essayer.
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