A quelques semaines de la publication en anglais du livre, un chroniqueur de la chaine ultraconservatrice Fox News appelle à lire ce livre dangereux afin de «connaître l'ennemi». Version sous-titrée.
Il n'y a pas de « question de l'immigration ». Qui grandit encore là où il est né ? Qui habite là où il a grandi ? Qui travaille là où il habite ? Qui vit là où vivaient ses ancêtres ? Et de qui sont ils, les enfants de cette époque, de la télé ou de leurs parents ? La vérité, c'est que nous avons été arrachés en masse à toute appartenance, que nous ne sommes plus de nulle part, et qu'il résulte de cela, en même temps qu'une inédite disposition au tourisme, une indéniable souffrance.
Deuxième cercle : « Le divertissement est un besoin vital ».
— Qu’est-ce qu’un millier d’économistes du FMI gisant au fond de la mer ?
— Un bon début.

[...] il n’y a pas de « question de l’immigration ». Qui grandit encore là où il est né ? Qui habite là où il a grandi? Qui travaille là où il habite? Qui vit là où vivaient ses ancêtres ? Et de qui sont-ils, les enfants de cette époque, de la télé ou de leurs parents ? La vérité, c’est que nous avons été arrachés en masse à toute appartenance, que nous ne sommes plus de nulle part, et qu’il résulte de cela, en même temps qu’une inédite disposition au tourisme, une indéniable souffrance. Notre histoire est celle des colonisations, des migrations, des guerres, des exils, de la destruction de tous les enracinements. C’est l’histoire de tout ce qui a fait de nous des étrangers dans ce monde, des invités dans notre propre famille. Nous avons été expropriés de notre langue par l’enseignement, de nos chansons par la variété, de nos chairs par la pornographie de masse, de notre ville par la police, de nos amis par le salariat. p.19-20

l'injonction, partout, à « être quelqu'un » entretient l'état pathologique qui rend cette société nécessaire. L'injonction à être fort produit la faiblesse par quoi elle se maintient, à tel point que tout semble prendre un aspect thérapeutique, même travailler, même aimer.
Tous les « Ça va ? » qui s'échangent en une journée font songer à autant de prise de température que s'administrent les uns aux autres une société de patients. La sociabilité est maintenant faite de 1000 petites niches, de 1000 petits refuges où on se tient chaud. Ou c'est toujours mieux que le grand froid dehors.
Où tout est faux car tout n'est que prétexte à se réchauffer.
Où rien ne peut advenir parce que l'on y est sourdement occupé à grelotter ensemble. Cette société ne tiendra bientôt plus que par la tension de tous les atomes sociaux vers une illusoire guérison. C'est une centrale qui tire son turbinage d'une gigantesque retenue de larmes toujours au bord de se déverser.
La confusion des sentiments qui entoure la question du travail peut s'expliquer ainsi : la notion de travail a toujours recouvert deux dimensions contradictoires : une dimension d'exploitation et une dimension de participation. Exploitation de la force de travail individuelle et collective par l'appropriation privée ou sociale de la plus-value; participation à une œuvre commune par les liens qui se tissent entre ceux qui coopèrent au sein de l'univers de la production. Ces deux dimensions sont vicieusement confondues dans la notion de travail, ce qui explique l'indifférence des travailleurs, en fin de compte, à la rhétorique marxiste, qui dénie la dimension de participation, comme à rhétorique managériale, qui dénie la dimension d'exploitation.
On ne pourrait, sans l'écologie, justifier l'existence, dès aujourd'hui de deux filières d'alimentation, l'une "saine et biologique" pour les riches et leurs petits, l'autre, notoirement toxique pour la plèbe et ses rejetons promis à l'obésité. L'hyper-bourgeoisie planétaire ne saurait faire passer pour respectable son train de vie si ses derniers caprices n'étaient pas scrupuleusement "respectueux de l'environnement". Sans l'écologie, rien n'aurait encore assez d'autorité pour faire taire toute objection aux progrès exorbitants du contrôle.
Là où la seule expérience commune est la séparation, on n'entendra que le langage informe de la vie séparée.
Le contenu véritable d’Occupy Wall Street n’était pas la revendication, collée à posteriori comme un post-it sur un hippopotame, de meilleurs salaires, de logements décents ou d’une sécurité sociale plus généreuse, mais le dégoût pour la vie qu’on nous fait vivre. Le dégoût pour une vie où nous sommes tous seuls, seuls face à la nécessité, pour chacun, de gagner sa vie, de se loger, de se nourrir, de s’épanouir ou de se soigner. Dégoût pour la forme de vie misérable de l’individu métropolitain – défiance scrupuleuse / scepticisme raffiné, smart / amours de surface, éphémères / sexualisation éperdue, en conséquence, de toute rencontre / puis retour périodique à une séparation confortable et désespérée / distraction permanente, donc ignorance de soi, donc peur de soi, donc peur de l’autre.
La liberté n’est pas le geste de se défaire de nos attachements, mais la capacité pratique à opérer sur eux, à s’y mouvoir, à les établir ou à les trancher. p.16
"Nul ne ment plus que l'homme indigné", constatait déjà Nietzsche. Il ment sur son étrangeté à ce dont il s'indigne, feignant de n'être pour rien dans ce dont il s'émeut. Son impuissance, il la postule afin de mieux se laver de toute responsabilité quant aux cours des choses; puis il la convertit en affect moral, en affect de supériorité morale. Il croit avoir des droits, le malheureux. Si l'on a déjà vu des foules en colère faire des révolutions, on n'a jamais vu des masses indignées faire autre chose que protester impuissamment. La bourgeoisie s'offusque puis se venge ; la petite-bourgeoisie, elle, s'indigne puis rentre à la niche.