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Critiques de Alice Renard (189)
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La Colère et l'Envie

°°° Rentrée littéraire 2023 # 14 °°°



« Il n'y avait plus rien à dire, sinon qu'Isor était étrange. Un adjectif comme un naufrage. »



Isor n'entre pas dans les cases. C'est une enfant différente, qui ne parle pas, ne joue pas, n'interagit pas avec ses parents. Même le marathon d'expertises ne permet pas de poser un diagnostic clair, au point que les parents décident lorsqu'elle a six ans de la retirer du monde, de ne pas la scolariser et de vivre avec elle en huis clos.



« Maintenant, ce sera nous – rien que nous trois. »



Dans la première partie, ce sont les parents, en de courts paragraphes intitulés « père » ou « mère » qui nous racontent leur fille désormais âgée de treize ans. Leur quotidien douloureux avec leur fille dont ils ne comprennent pas les colères chroniques et son silence oppressant. Leur désarroi et leur souffrance de ne jamais recevoir l'intériorité d'Isor qui s'échappe en permanence d'eux, de ne pas pouvoir accéder à son être, mais aussi leur amour pour Isor :



( Mère ) « C'est dans le mouvement qu'elle se révèle, qu'une grâce inexprimable et malhabile se met à l'habiter. Isor est belle lorsqu'elle est vivante – et heureusement pour elle, elle l'est tout le temps. Se rend-elle compte de la chance qu'elle a ? de l'étonnante perfection qui lui incombe ? Elle peut se rouler par terre, se coincer les cheveux dans le siège de la voiture, pleurer, mettre des habits trop grands, se tacher de sauce tomate, se prendre une averse, elle sera toujours magnifique, inconditionnellement. Pire que cela : le désordre lui va bien. Elle le porte comme un bijou. L'effervescence, le hasard sont ses parures qu'elle renouvelle à l'infini. »



« Lorsqu'elle dort, on peut presque voir sur sa peau de lait les ombres de ses rêves qui passent. C'est pour cette raison que je reste près d'elle ; et alors j'imagine tout ce à quoi elle pense. »



Même si de nombreux passages sonnent très justes sur le vécu et ressenti de parents d'enfants différents, La Colère et l'envie n'est pas un roman hyperréaliste sur le « handicap ». Il tient bien plus du conte, notamment à partir de la deuxième partie lorsqu'un nouveau narrateur fait irruption dans le récit : le vieux voisin Lucien qui va nouer une amitié fusionnelle assez inouïe, quasi un amour fou, avec la mystérieuse Isor.



La dernière partie est juste sublime, s'évadant hors du monde réel tout en y étant profondément rattachée. Elle m'a donnée la chair de poule tellement la pureté de la langue inventée par Alice Renard pour Isor, la mutique qui éclot au monde, est belle avec ses fautes de syntaxe et « erreurs » de vocabulaire qui illuminent les phrases d'une poésie solaire irradiant à travers les pages :

« Suis en éclosion. Me sens pleine de bourgeons qui s'entrelèvrent. Me semble être un arbre fruitier que les fleurs commencent à donner des trésors. Je porte toutes les promesses de la terre à bout de mes bras. Je m'avance tel un jardin, tel un côteau, à la rencontre du printemps. Je cours. Je vais mûrir, je vais me rouler dans ces fleurs pour la vendange. Oh quelle saison ! »



J'aurais voulu citer quasiment toutes les vingt dernières pages qui m'ont bouleversée aux larmes. Ce merveilleux roman fait un bien fou, Isor s'ouvrant à la vie, au monde, à la réconciliation. Sur les pas de la jeune fille, on apprend à écouter les silences de ceux qui ne s'expriment pas avec les normes et les codes de la société.



Une premier roman lumineux, coup de coeur évident, qui se fait hymne à l'hypersensibilité et à la neurodiversité avec une originalité et une force réellement surprenantes qui met de la magie dans les mots. Grâce, beauté et liberté.
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La Colère et l'Envie

A seulement 21 ans, Alice Renard vient de recevoir le Prix Méduse 2023 pour ce premier roman qui invite à écouter la voix de ceux que l’on range en dehors de la normalité.



C’est le cas d’Isor, petite fille mutique, déscolarisée, qui n’entre dans aucune case de la société. Ses parents sont désemparés, surtout que même le corps médical ne parvient pas à mettre un nom scientifique sur le mal dont elle souffre. Entre les poussées de colère violentes et les longues périodes de silence, l’étrange gamine observe, touche et développe même un goût bizarre pour les émissions de télé asiatiques. Du coup, le trio s’isole de plus en plus du reste du monde, jusqu’au jour où, dans l’urgence, ses parents doivent demander à Lucien, leur voisin septuagénaire, de garder Isor quelques heures. Là, tout bascule !



Ce court roman divisé en trois parties bien distinctes alterne les points vue afin de dresser progressivement le portrait de cette gamine enfermée dans le silence. La première partie donne la parole aux parents et permet progressivement de mieux saisir les troubles dont la fillette souffre, tout en partageant les émotions, les frustrations et l’immense détresse de ses parents. Lors de la deuxième partie, l’autrice installe un duo atypique en donnant la parole à ce vieux monsieur qui sort subitement de sa solitude et de son propre isolement. Puis vient la dernière partie, la véritable éclosion, la plus belle, celle qui laisse le lecteur sans voix ! Chacun son tour…



S’éloignant d’un réalisme dont on se détache finalement avec grand plaisir pour se rapprocher d’un récit qui vient tendrement flirter avec le conte tout en conservant une justesse de ton remarquable, Alice Renard trouve le chemin qui mène au cœur du lecteur. Au fil des pages, ce dernier assiste à la naissance d’une autrice et d’une héroïne qui, main dans la main, viennent briser le silence et s’extraire de cette case dans laquelle la société croît devoir ranger les choses.



Un premier roman merveilleux, qui tourne le dos à la normalité pour nous inviter à côtoyer la beauté dans sa forme la plus pure !
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La Colère et l'Envie

Isor n’a jamais été une enfant comme les autres. Mutique, ne semblant s’intéresser au monde que de manière purement sensorielle, régulièrement en proie à de sauvages et dévastatrices crises de violence mais ne cochant les cases d’aucun diagnostic médical, elle n’a jamais été scolarisée et vit recluse auprès de ses parents désemparés, dans un appartement qu’il leur a fallu quasiment capitonner et que leur entourage a fui depuis longtemps. Un praticien a avancé l’idée que, loin d’être idiote et infirme, elle pourrait, si elle voulait. Elle pourrait, mais elle ne veut pas…





Alors, leur vie avance, chaotique et infernale, comme nous la laisse percevoir, dans la première partie du récit, la solitaire alternance des apartés du père et de la mère. Entre la rage et la révolte chez l’un, l’amour qui étouffe de la frustration de ne pas comprendre chez l’autre, c’est par le regard d’autrui et par le constat désespéré de tout ce qu’elle n’est pas et qui la rend si insupportablement insaisissable et étrangère, en un mot inadaptée, qu’à treize ans, se dessine en creux une Isor toute d’« anormalité ». Jusqu’au jour où un incident oblige les parents à solliciter l’aide de leur voisin, un septuagénaire depuis longtemps résigné à la tristesse de sa solitude. A travers sa voix à lui, stupéfaite et bientôt comblée qu’un être puisse, contre toute attente, dégeler son coeur perclus de manque et de chagrin, émerge peu à peu de sa gangue d’opacité une Isor insoupçonnée. Qu’a donc décelé l’adolescente si instinctive, qui, chez ce vieil homme mis au rebut du monde, lui a soudain donné envie d’abattre les murs qui l’enserraient dans son inextricable intériorité ? Ne manquera plus à sa métamorphose que le dernier déclic, celui du grand âge et de la maladie de son ami, pour que la jeune fille brise définitivement ses entraves et trouve la motivation de vivre, enfin, ailleurs qu’en elle-même.





Diagnostiquée surdouée à l’âge de six ans, Alice Renard déclare dans une interview avoir mis beaucoup d’elle-même dans son personnage d’Isor. « C’est comme une version de moi, poussée à l'extrême, qui m'a permis de faire une catharsis. » En tous les cas, si exagération il y a, l’on n’y verra nullement l’une de ces narrations doucereusement miraculeuses, si irritantes au regard de l’immense majorité des handicaps « ordinaires » oubliés dans leur néant. Alice Renard écrit du plus profond d’elle-même et son récit a les justes accents de l’honnêteté et de la sincérité. Une justesse sans faille accompagne sa restitution des regards sur cette enfant différente que les médecins ne savent classer ni ses parents réconcilier avec une existence « vivable ». Isor ne répond à aucune attente, ne se plie à aucune règle et, au risque de passer pour déficiente, semble décidée à ne jamais intégrer un monde trop en décalage avec son univers intérieur. Son absence irradie pourtant la présence, et toute sa façon d’être, entière, libre, animale, débordant d’émotions non contenues toujours prêtes à exploser aux points de friction avec le monde extérieur, peut apparaître, soit totalement incompréhensible et ingérable, soit d’une incomparable intensité, brutale, sans concession, mais toujours on ne peut plus authentique. « Isor peut être très différente d’un jour à l’autre, mais elle reste toujours elle-même, sincère, incapable de tricher. Elle ne peut pas se contenir à une seule personne, à une seule apparence. Elle est plusieurs, elle est trop vaste. C’est sa manière à elle de saisir le monde du mieux qu’elle peut. »





Premier roman très maîtrisé d’une toute jeune auteur de vingt-et-un ans que sa propre expérience a menée à s’intéresser de près à la neurodiversité et à l’hypersensibilité, L’envie et la colère n’est que justesse et poésie dans sa manière d’évoquer la difficulté à être au monde de ceux que leurs particularités neurologiques font dévier des normes sociétales. Un livre bouleversant, prix Méduse 2023.


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La Colère et l'Envie

Isor est différente des autres enfants de son âge. De quel handicap souffre-t-elle ? On ne le saura pas vraiment mais qu’importe, car, quelle que soit l’origine de la différence, elle est source d’incompréhension et de rejet. Elle vit dans sa bulle, protégée du monde extérieur par des parents aimants mais dépassés par leur fille

« Alors, à son âge, à ses treize ans, que sait-elle ? Rien qui vaille. Elle ne sait pas que la terre est ronde, elle ne sait pas ce qu’est un adjectif, elle ne sait pas comment on compte les heures, elle ne sait pas ce que c’est qu’un père ni que la génétique, normalement, nous rassemble ».

La vie de ces trois-là se déroule en vase clos, avec ses rituels. Plus de vie sociale pour ne pas être jugé, et Isor est déscolarisée puisqu’elle n’apprend rien. Pour ne pas la brusquer, les parents lui laissent beaucoup de liberté. La nuit, elle fugue, mais revient toujours, ramenant de ses maraudes de petits objets glanés ici et là. Pourquoi s’éloigne-t-elle de sa famille, comme une urgence à vivre autre chose. La mère dit :

« Quand elle disparaît, je crois, c’est pour être seule. Seule avec son chagrin. Elle part avec, pour l’examiner, l’accueillir et le vivre complètement. Elle le sonde, elle y plonge. Et elle veut le faire loin de nous. »

Quant au père, il ne s’inquiète pas, car elle ne va jamais très loin.

Un jour, tout bascule lorsque Isor se prend d’amitié pour leur voisin Lucien, un homme âgé et secret. Entre eux s’installe une connivence que jalouse la mère mais qui soulage le père. Peu à peu, Lucien sort de sa solitude, il attend avec ravissement la visite d’Isor.

« J’aimerais qu’elle pense toujours à moi avec douceur.

Silence. Silence et apprivoisement. Surtout, que cela dure, que cela dure longtemps. »

L’accident du vieil homme va provoquer une fugue plus lointaine chez Isor et l’on découvrira peu à peu la raison de son voyage en Sicile et le secret de Lucien. Elle est sur le chemin de sa libération



Ce roman choral donne la parole en alternance au père, à la mère dans un insoluble dialogue. On sent leur désarroi, leur amour aussi pour cette gamine difficile qui sème le chaos mais terriblement attachante. Puis, dans une seconde partie, il y a la voix de Lucien, toute de tendresse et de complicité avec cette gamine sans règles et sans tabous qui lui offre son amour avec spontanéité. On n’entendra la voix d’Isor que dans la troisième partie, lorsqu’elle écrit à ses parents pendant sa fugue. Et cette voix est étonnante de maturité et de lucidité. Avec ses mots maladroits, elle tisse des phrases poétiques lourdes de sens et c’est très émouvant d’assister à la révélation d’une Isor qui s’ouvre au monde et qui trouvera sa place dans la vie malgré ou grâce à sa différence.

Ce premier roman qui, parfois, prend l’allure d’un conte, est magistral. Je l’ai lu d’une traite et il m’a éblouie. Un véritable coup de cœur.





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La Colère et l'Envie

Si je devais vous conseiller, un roman de la nouvelle entrée littéraire, se serait celui ci, sans aucune hésitation. Un premier roman magistrale, magique, époustouflant, bouleversant une véritable pépite, pas assez de mots pour vous dire mon ressenti. L'auteur nous envoûte dans son histoire, Isor est une enfant étrange, loin de la normalité,loin du stéréotype, d'une jeune enfant , Elle ne communique pas, ne sait pas lire et écrire, malgré tous les examens, rien de négatifs ne ressorts, ses parents décident de la garder avec eux , deux êtres opposés, une mère aimante qui ferait tout pour sa fille, et un père détestable,, une enfant surprotéger, Isor va faire la connaissance de Lucien, âgé de 70 ans, et sa vie va totalement changer, Elle va s’épanouir, Deux êtres qui étaient fait pour se rencontrer, un rituel va vite s'installer, apportant une source de bonheur,

La conception du livre est intense, Nous naviguons entre les pensées de la mère et du père, le relationnel avec Lucien et une nouvelle vision d'Isor,

La plume de l'auteure est hypnotisante, subtile , sensible et poétique ,Une fluidité dans la lecture, qu'il est difficile de poser son livre et le reprendre plupart, L'auteure a un vocabulaire développé , elle place les mots, avec justesse là où il faut donnant ce coté bouleversant du récit,

Un roman qui m' a remué, scotchée, et chamboulée, Une histoire qui perdura dans ma mémoire,

Une véritable pépite,
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La Colère et l'Envie

Il y a quelques semaines je concluais une critique en disant, voilà pourquoi je lis. Je commence aujourd'hui celle-ci en disant, voilà pourquoi je suis sur Babelio. Au vu du titre et du résumé, je n'aurais jamais lu ce roman, peu attirée par ce thème que j'ai l'impression de voir et revoir de l'enfant sauvage. Pourtant quelques défricheurs de rentrée littéraire sur ce site m'avaient alertée, la critique de Michel (Michle69004) m'a définitivement décidée.



L'histoire n'est pas l'important, comprendre en détail n'est pas l'important, nommer la maladie, handicap, déficit ou autre qualificatif de l'état d'Isor n'est pas l'important.. Il faut juste lire les mots magnifiques, quelle que soit la partie, quel que soit le narrateur et savourer. Et faire taire la petite voix, n'est-ce pas Michel ;-)



J'ai pensé à une autre autrice en lisant ce roman, qui m'avait impressionnée de la même manière, lors de la rentrée de Janvier, Perrine Tripier pour Les guerres précieuses, même si les thèmes des deux romans sont très différents. C'est dans les deux cas un premier roman d'autrices encore très jeunes. Ces deux jeunes femmes sont époustouflantes de maturité. J'admire leur capacité à rendre compte de sentiments de personnes ayant beaucoup plus que leur âge, à partager des expériences qu'elles n'ont pu encore approcher, et dans les deux cas avec une écriture fabuleuse, dont on pourrait presque citer une page sur deux.



Les mots d'Alice Renard m'ont touchée, je me suis arrêtée plusieurs fois pour en relire certains, souvent à voix haute. Ils sonnent si juste.

J'ai aimé les mots du père qui traduisent si bien son impuissance, sa lassitude aussi, son regret d'une vie autre. J'ai aimé les mots de la mère qui essaye de communiquer avec sa fille, qui veut croire que celle-ci communique avec elle. J'ai aimé leur désir de cesser de soumettre leur fille à d'innombrables rendez-vous médicaux, tous aussi inutiles. Dans cette première partie, les mots du père et de la mère alternent, chacun avec leurs particularités. Une chose est certaine, même si c'est moins immédiatement visible chez le père, ils aiment leur fille malgré tout.

Ensuite, c'est Lucien qui parle, Lucien le voisin, déjà vieux, jadis photographe, à la vie bien réglée, pour ne pas laisser place à l'inconnu. Et pourtant il va accueillir Isor, l'amitié, l'amour entre eux va être une amitié d'élection. Ces deux là se sont choisis sans se connaitre.

« J'ai toujours distingué deux types d'amitié. Les amitiés de circonstances et les amitiés par élection. La différence, la hiérarchie que j'établis entre les deux ne se dit pas en termes d'intensité mais plutôt de prestige moral. Je m'explique. Les amitiés de circonstances (le principe est également valable pour l'amour) se nouent sous une certaine forme de contrainte : nous sommes camarades de classes, collègues, colocataires, voisins. C'est à force de se voir que nous devenons amis. Par la force des choses. Je ne nie pas qu'il faille toutefois un terrain fertile pour que ce genre d'amitié s'établisse – ainsi, nous ne sommes pas amis avec tous nos voisins. Mais la proximité quotidienne enclenche voire force un processus qui, autrement, aurait pu ne jamais advenir. Chaque jour ou presque, le quotidien partagé alimente les conversations et il n'est besoin d'aucun effort pour savoir où et quand se voir, ou quoi se dire. Ces amitiés ou amours de circonstances remplissent nos vies et je ne les méprise pas. Mais il me semble qu'un type de relation supérieure existe : celle par élection. On se croise un jour et, entre nous, les évènements naturels devaient s'arrêter là. C'est nous qui décidons de faire entrer l'autre dans notre vie. Certains qu'il s'agit là d'une chose d'importance. […]

Dans ton cas, ma toute chérie, j'ai fini par comprendre que tu ne venais pas par une quelconque facilité – nous avions beau être voisins, en treize ans, je n'avais jamais vu le moindre épi de tes tresses. Non, non, tu m'avais choisi. »



Je ne vous en dirai pas plus sur la troisième partie et qui en est le narrateur. Juste que les mots y sont toujours aussi forts et aussi justes. Il faudra lire pour savoir. Et croyez-moi, vous ne le regretterez pas.

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La Colère et l'Envie

Quelle maturité !

Alice Renard écrit son premier roman et du haut de ses 21 ans elle semble déjà avoir vécu 1000 vies.

Elle se glisse avec une incroyable aisance dans la peau de parents quadragénaires, d'un vieil homme de quatre-vingts ans, puis d'une étrange jeune fille de quinze ans prénommée Isor.

Isor est différente, autiste ? ses parents l'ont emmenée dans de multiples consultations, sur le plan physiologique tout est normal, rien n'est décelé par les médecins. Isor semble avoir toutes les aptitudes cognitives, pourtant elle ne parle pas, ne communique pas avec ses parents, souffre, rentre dans des colères noires et dévastatrices qui renversent l'appartement.

« D'ordinaire, Isor, à ses treize ans encore, a des gestes qu'on dirait gauches, ou mal assurés. Elle n'a pas de méthode pour saisir les objets - cuillère, savon, stylo, écharpe - et elle fait tout à sa manière, renouvelant chaque fois selon son désir un stock de mouvements inépuisables. Normalement, ce genre de geste est univoque, appris par coeur sur les autres. Mais pour cela - comme pour le reste - Isor n'apprend pas. Elle reste, elle veut rester fermement dans son idée propre du mouvement, un mouvement sans morale et sans passé, qui se moque éperdument des millénaires de civilisation qui l'ont précédée. Elle n'adopte ni les gestes de son âge, ni les gestes de son sexe, se fichant bien de ce qui est convenable comme de ce qui est utile. (p.13) »

Ses parents sont anéantis par le phénomène, ils n'arrivent pas à comprendre leur fille, et chacun exprime dans la première partie du livre son désarroi, sa frustration, et son amertume, en particulier le père qui considère sacrifiées les années de sa vie depuis la naissance d'Isor.

Leur incompréhension est accrue lorsqu'Isor va nouer une relation inattendue avec le vieux voisin Lucien. Une relation faite d'un amour puissant comme un grand-père en porterait à sa petite-fille, qui va être salvatrice pour tous les deux.

« Toi, tu as de la joie pour trente. À défaut de produire la mienne, je peux au moins siroter celle qui s'écoule de toi. Mais voilà que, pourtant, j'en arrive à espérer qu'un jour tu saches réparer ma joie.

J'aime sentir que tu te loves, malgré moi, dans chacune des heures de ma journée. (p.71) »



Lucien sort de la torpeur de la vieillesse, se redécouvre, ébahi, une seconde jeunesse tout à sa joie de partager avec la jeune fille. Isor bourgeonne, éclot, découvre la vie et son trésor de possibles, jouit de l'apaisante musique classique que lui fait découvrir Lucien.

« Souvent, je me demande à quoi tu ressembleras, adulte, et si j'aurai la chance de te connaître alors. D'être toujours là. Pas quel genre de femme tu seras, ça, je m'en fiche. Mais quelle adulte, qui aura mis en acte toutes les promesses qu'elle enclot.

Ces angoisses de grand-père n'avaient jamais fait partie de mes plans. Je les considérais comme une niaiserie de plus, que ma solitude m'épargnait généreusement. C'est fou comme on peut se tromper sur un nombre incalculable de sujets. Chaque certitude est une erreur en puissance. Chaque certitude est une erreur en puissance.(en italique dans le texte). Qui éclate un jour. (p.94) »



Isor part enfin à la rencontre de l'autre… Cette belle parenthèse n'est-elle pas vouée à une fin prochaine ? Que se passera-t-il ensuite pour eux tous ? Ce n'est pas non plus sans une certaine jalousie et envie que les parents voient leur fille tisser ces liens si particuliers avec Lucien et petit à petit changer, s'éloigner d'eux…



L'aspect véridique n'est pas à rechercher dans cette histoire pour enfants volcaniques de tous âges. On la dévore en se laissant emporter par le tumulte du silence, de la grande musique, le flot des incompréhensions, et la poésie des mots d'Isor dans la dernière partie.

« Lucien, il va mourir heureux. Lucien, il m'a donné le monde. Il m'a dit avec ma colère et mon envie je saurai vivre. Toi et toi, tu as peur, le sais. Lucien lui c'est ma confiance. Dit qu'avec la colère et l'envie on vit peut-être même mieux que les autres. Comment je remercie de ça ? (p.127-128) »

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La Colère et l'Envie

Dès les premières pages, l’alternance des voix du père et de la mère met en évidence les particularités de l’enfant : Isor ne rentre dans aucune case, mettant en échec les éducateurs mais aussi le corps médical qui ne parvient à cerner le problème. Le système éducatif n’est pas non plus qualifié pour contenir et encadrer la fillette. C’est donc à la maison, en observant et en s’adaptant au jour le jour à l’étrange comportement de leur fille, qui ne s’exprime pas à l’aide d’un langage conventionnel mais mime à merveille les intonations et mélodies de langues étrangères qu’elle a captées à la télévision.



C’est à l’occasion d’une garde improvisée chez le voisin, un homme âgé et solitaire que l’enfant semblera s’ouvrir à des intérêts plus larges.



Toute la première partie est virtuose : les points de vue alternés parviennent non seulement à décrire les troubles de la fillette mais aussi restituent à la perfection le ressenti des deux parents, leur détresse mais aussi la distance différente de l’un et de l’autre vis à vis de cette épreuve qu’est l’éducation d’un enfant différent.



L’autrice réussit aussi le challenge de ne pas stigmatiser les difficultés , de mettre en valeur les éléments positifs du mode de communication de l‘enfant, et finalement de ce que cette situation apporte de bénéfices et d’ouverture au monde. Sans en nier cependant les difficultés, la colère inhérente et le désespoir parfois.



« Isor a tracé ce cercle autour de nous (involontairement ?). À l'intérieur, elle a tressé ce qui était naturel, avec ce que ce qui était inouï, ce qu'il fallait faire avec ce qu'il ne fallait pas faire, elle a bouleversé la norme et l'évidence en les faisant glisser vers son invraisemblance et son improbable à elle. Elle a commencé à nous faire vivre là-dedans en nous faisant digérer ses évidence. On nous soustrayant du réel. »



Texte original et bien écrit, ce premier roman nous offre en partage de multiples émotions .







160 pages Héloïse d’Ormesson 24 Août 2023

Prix méduse 2023


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La Colère et l'Envie

Immense coup de coeur pour ce roman de la rentrée littéraire 2023 que je n'avais pas lu encore.



Isor naît dans une famille d'apparence normale, mais elle n'est pas comme les autres enfants. Elle ne parle pas, manifeste de grandes colères très petite, s'enfuit du domicile familial où ses parents s'organisent pour la garder. Autisme ? Schizophrénie ? Surdité ? Prostration ? Toutes les hypothèses sont étudiées mais aucune n'est retenue par les médecins qui se succèdent pour tenter de qualifier son mutisme apparent.



Ce sont ses parents qui parlent d'elle, tour à tour. En quelques fragments successifs, ils parlent de leur désarroi devant cette fille qui grandit, et qui ne fait rien comme les autres enfants. Elle ne prononce aucun mot en français, mais est capable de reproduire à l'oreille de nombreuses langues étrangères.



Un jour que la mère est vraiment dans l'obligation de la laisser, elle la confie aux bons soins de son voisin septuagénaire, un certain Lucien. Une sorte de coup de foudre surgit entre eux, si cette expression ne paraissait pas ridicule pour une relation entre une fille de 13 ans qui n'a jamais prononcé un mot, et un homme de 76 ans seul, abattu de tristesse. On parlera alors peut-être plus volontiers d'alchimie entre les deux êtres, notamment autour de la musique qui est la seule consolation de Lucien.



C'est lui qui tient le stylo dans cette seconde partie du récit, décrivant les entrevues quotidiennes avec celle qui fait refleurir sa vie d'homme esseulé.

Une troisième partie va faire entendre la voix d'Isor au travers de lettres que la fille va écrire à ses parents au quotidien. Enfuie à l'occasion d'un accident que subit Lucien, elle a rallié l'Italie pour des raisons qui nous seront dévoilées peu à peu. Il y sera question de deuil, de chagrin, mais surtout de raccommodage, de réparation ou de résilience, peut-être. Et il y sera surtout question d'une naissance au langage.



Mais raconter l'histoire de « La Colère et l'Envie » n'est certainement pas suffisant pour expliquer le plaisir qu'on éprouve à découvrir la plume de Alice Renard. D'une incroyable maturité, alors qu'elle n'a que 21 ans, elle sait parfaitement faire naître une émotion profonde chez ses lecteurs.



Ce fut le cas pour moi en lisant les lettres d'Isor – de la poésie à l'état pur.

A l'image de celle-ci :

« Père, mère

Ces dernières semaines chez vous, écarlates. La colère bouffe les tripes. Me secoue m'écume me séisme – hors de tout. A l'extérieur de ma tristesse. Seulement dans ma colère je sors de ma tristesse. Lucien qui faiblit, vulnérable. La colère. de sa faiblesse. La colère de sentir chavirer les gens qu'on aime. Il mérite la robustesse pour toujours Lucien. »





D'une immense sensibilité, la langue d'Isor (ou d'Alice Renard) m'a prise aux tripes moi aussi. Alice Renard touche si juste qu'on en ressort remué, troublé, en un mot - ému. J'avais repéré ce livre de la rentrée littéraire, avait attendu quelques mois avant de l'ouvrir à mon tour, et la magie a opéré en moi, j'en suis ressortie bouleversée. Avec l'envie de partager ce coup de coeur avec tous mes amis Babeliotes – plusieurs l'ont déjà lu et partagé avec enthousiasme – j'invite chaleureusement les autres à le faire.


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La Colère et l'Envie

Isor est une enfant singulière. Son mutisme, son intransigeance font penser au spectre autistique mais elle résiste à tous les diagnostics, faisant passer ses parents de la perplexité et l’étonnement au désarroi. Cette fille qui vit tout avec autant d’intensité n’est pas de tout repos et le foyer se replie petit à petit sur lui-même. La rencontre avec Lucien, un voisin septuagénaire, va bousculer cet équilibre fragile…



D’autres l’ont dit, c’est incroyable d’écrire comme Alice Renard à 21 ans seulement. Je ne parle pas seulement de la limpidité presque poétique de ses mots, mais de la justesse avec laquelle elle se coule dans la peau d’une petite fille hors-normes, de ses parents ou d’un homme vieillissant. La voix de chacun s’impose d’emblée. J’ai été notamment touchée par la perspective des parents : la curiosité ressentie vis-à-vis de leur enfant, leur confusion de constater qu’elle n’est pas comme ils l’attendent, le bouillonnement des sentiments de culpabilité, de colère et d’acceptation et pourtant la tendresse qui affleure à chaque instant, leur solitude et leurs liens minés par les épreuves. Mais aussi la difficulté de voir son enfant grandir et se détacher, d’accepter de le laisser voler de ses propres ailes. Comment l’autrice imagine-t-elle tout cela alors qu’elle sort elle-même à peine de l’adolescence ?



Le roman donne à réfléchir au manque d’ouverture de nos sociétés à l’égard des personnes qui déroutent. Le passage où le père liste les réflexions reçues de part et d’autre de leur entourage à propos d’Isor serait franchement drôle si ce type de réactions n’engendrait pas autant de souffrances.



N’allez pas imaginer que c’est une lecture pesante. Comme le titre le laisse entendre, Isor a quelque chose de profondément intrigant qui éveille la curiosité. On pressent une part de lumière qu’il faudrait savoir apprivoiser. Je n’en dis pas plus pour vous laisser le plaisir de vous laisser surprendre.



La narration chorale, particulièrement réussie, sublime le personnage d’Isor, éclairé de plusieurs perspectives qui dessinent le portrait d’une fille insaisissable.



Alice Renard a trouvé sa vocation et signe un premier roman incandescent, ode aux mots qui bâtissent des ponts entre nous et les autres !
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La Colère et l'Envie

Alice Renard divise la trame de son brillant premier roman, La Colère et l'Envie, en trois parties. Dans la première partie, les paroles de « mère » et de « père », titres sans majuscules ni déterminants, alterneront sans se répondre. Chacun d'eux tente de décrire leur petite fille, Isor, une enfant différente (déficiente ?, autiste ?) qui ne parle pas et qui se comporte bizarrement. Ils s'adressent d'abord à elle (tu), puis parlent d'elle à la troisième personne, mais ils ne dialoguent pas. Pendant plusieurs années, Maude et Camillo vont courir les cabinets de médecins en variant les spécialités. Les avis sur Isor diffèrent, voire divergent, aucun professionnel ne saura leur donner de réponse éclairante et constructive. Maude travaille comme pompière dans une caserne toute proche de leur domicile, Camillo lave les vitres des tours des immeubles de la ville, et tous deux organisent leur vie en fonction des besoins de leur fille : Isor n'est pas scolarisée et ne peut pas être gardée. Les parents finissent par abandonner les visites chez les spécialistes de tout poil. Isor ne parle toujours pas : elle pourrait, a dit un des spécialistes… Et voilà que, vers l'âge de 10 ans, Isor se met à fuguer…

***

J'ai beaucoup aimé cette première partie dans laquelle le lecteur prend conscience de l'amour que les parents portent à leur fille, amour qui s'exprime différemment selon celui qui parle, mais qui devient vite une évidence. Et il en faut beaucoup, de l'amour : l'attention de tous les instants qu'ils portent à Isor bouffe leur vie, les coupe petit à petit de tous leurs amis, complique le moindre des gestes quotidiens. Ils sont sans cesse à l'affut de ce qui pourrait plaire à cette enfant, de ce qui pourrait l'aider, la faire rire et sourire ou, plus prosaïquement, l'intéresser. Beaucoup aimé aussi la deuxième partie où Lucien, 76 ans, prend la parole. À cause d'une urgence, Isor est confiée pour quelque heures à ce vieux voisin, ancien photographe talentueux et reconnu en son temps, fou de musique, et qui s'est depuis longtemps refermé sur lui-même à cause d'une profonde blessure. Ils vont se séduire l'un l'autre, en quelque sorte, se découvrir et s'aimer, finir par partager des univers inconnus de la jeune fille qui a 16 ans quand survient l'accident. En revanche, dans la troisième partie, si j'ai vraiment apprécié les interventions de la mère et du père, avec déterminants cette fois (c'est vrai que leur statut a changé), je suis restée au bord du chemin pendant le voyage d'Isor, et assez imperméable à ses lettres, sans doute à cause de la langue dont Alice Renard la dote, à la fois enfantine, infantile même, et capable de jouer sur les mots, presque savante parfois. Plus les lettres s'accumulent, plus la langue s'enrichit se complexifie et se perfectionne. Je regrette d'avoir décroché vers la fin parce que c'est un très beau premier roman ; ma réserve ne lui enlève aucune de ses qualités et je lirai assurément le prochain livre de cette très jeune autrice vraiment douée.



[Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices de Elle 2024]

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La Colère et l'Envie

Il parait que c’est un O.L.N.I.

C’est à la mode, cette histoire d’objet littéraire non identifié, mais celui-ci a obtenu le surprenant Prix Méduse 2023. Pourquoi pas ? Ça convient tout à faire à ce livre étrange, écrit par la jeune Alice Renard. Tout le petit monde de la littérature connait désormais Alice, 21 ans, prodige neuro-atypique atteinte de précocité et d’hypersensibilité. Son ultra-médiatisation (deux pages dans le monde, des chroniqueurs sidérés…) a failli la faire passer pour un phénomène de foire.

Il faut absolument mettre tout cela de coté même si une petite voix me dit:

« C’est juste pas possible, on ne peut pas rentrer dans la tête d’une autiste, de ses parents, d’un vieux et d’une ado atypique. Mais c’est qui cette Renard ? Un nouveau Mozart de la littérature ? » La petite voix me souffle d’autres suggestions, encore plus méchantes. Alors je décide de l’étouffer définitivement et de prendre le livre comme il est, comme il vient, comme je le ressens.

Et c’est plutôt ébouriffant.

J’adore l’idée du triptyque.

Un:

« père » et « mère » racontent à tour de rôle leur désarroi face à Isor, leur fille « étrange » qu’ils comprennent si peu. Ils racontent les colères, les crises clastiques, son désordre effarant, le chaos qu’elle sème et qu’il tente de récolter comme ils peuvent, avec des cassettes VHS ou des marathons de télé japonais.

Ils racontent les énormités diagnostiques, les aréopages de savants, de soignants.

Ils racontent leur décision : « Désormais ce sera nous ». Isor ne sera jamais scolarisée…

Ce père d’origine italienne (Camillio) est spécialisé dans le lavage de vitres des grandes tours, la mère (Maude) est pompier. Je le précise, ce n’est pas commun.

Ils s’enferment donc dans un huis-clos mortifère qui durera jusqu’à l’adolescence.

La petite voix dans ma tête me susurre quand même : « Elle est juste totalement barrée cette gamine, j’en ai déjà vu quelques-unes comme ça etc. »

Les parents ont vidé tout leur stock de tendresse, leurs réserves sont épuisés. Moi aussi d’ailleurs. Et puis il se produit dans ma lecture une sorte de saut quantique.

Deux:

Lucien raconte Isor et ils tombent raides dingues l’un de l’autre.

Lucien est un voisin, c’est surtout un presque vieillard.

Et là je sors complètement de ma lecture « clinique »:

C’est une histoire, c’est un conte. Un conte hyper-réaliste et totalement baroque.

Ici, c’est le corps qui pense et qui ne se trompe jamais. C’est furieusement beau.

Trois:

J’accède au langage d’Isor. J’entends enfin sa langue gorgée de poésie dys-syntaxique.

Le travail d’Alice Renard sur les lettres d’Isor est absolument jubilatoire.

Il s’en dégage une joie solaire qui m’a enchanté et que je porte encore.

Mais il a fallu faire taire la petite voix en moi qui m’isolait du merveilleux et de l’inattendu.

Une petite réserve tout de même : le titre, qui fait un peu développement personnel...
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La Colère et l'Envie

Avant même qu'il n'arrive sur les tables des librairies on parlait déjà beaucoup de ce roman sélectionné pour le prix du Monde (résultats le 8 septembre) et couronné du Prix Méduse en plein été. Jeune autrice de 21 ans, premier roman qui se distingue par le choix de son sujet autant que par sa forme... Tout pour intéresser. Et j'étais donc très très curieuse de le découvrir.

J'aime beaucoup l'idée, ce personnage d'Isor qui déroute avec son silence que personne n'explique. La fillette "pourrait" parler disent les médecins mais elle ne le fait pas. A partir de là ses moyens d'expression prennent des formes inattendues, surprenantes et sa relation aux autres tient au décryptage qu'ils en font. Les voix de chacun des parents laissent affleurer leur désarroi, leur impatience. Il faut la sensibilité particulière de Lucien, un voisin septuagénaire qui cache de grandes meurtrissures pour que quelque chose de spécial se noue entre les deux. Ils se sont trouvés, sans les mots, par les gestes, l'esprit, le cœur...

C'est cette relation qui permet à Isor, devenue adolescente de prendre son envol, au sens propre comme au figuré.

L'autrice prend un parti narratif qui fait penser au conte (le prénom Isor y contribue) ce qui lui permet de se jouer du sentiment de réalité ou de vraisemblance ; pourtant je n'ai pas complètement réussi à la suivre dans cette voie, j'ai eu du mal à croire au périple d'Isor alors que je suis plutôt du genre à faire confiance à un auteur en matière d'imaginaire. Quelque chose m'a empêchée de me laisser aller à croire. C'est sans doute dû à la forme choisie, ces lettres d'Isor pour lesquelles je n'ai pas adhéré à l'écriture qui m'a semblé soit trop travaillée soit trop hybride, hésitant entre un aspect léché ou haché.

C'est dommage, l'histoire a du charme et des bons sentiments, le sujet se démarque nettement de la production actuelle, il interroge joliment sur le rapport que l'on entretient avec les autres en particulier lorsqu'ils sont différents ou s'expriment différemment, ce qu'il faut saluer. J'aurais voulu être vraiment séduite.
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La Colère et l'Envie

Isor a 13 ans. C'est une adolescente atypique, mutique, « pas comme les autres ». Depuis toujours elle refuse de parler, d'apprendre quoi que ce soit. Mais elle vit les choses avec intensité. Telle une sorte de petit volcan, elle est prête à exploser subitement, peut piquer de fortes colères et entrer dans des crises violentes dévastant tout autour d'elle. Est-elle autiste, attardée, sourde, hypersensible ? Souffre-t-elle d'une pathologie rare ? Aucun médecin, malgré tous les tests passés et les remèdes prescrits, n'a pu émettre un diagnostic précis. Elle n'entre dans aucun cadre médical et aucune solution ne peut lui être fournie. Isor vit donc déscolarisée, dans un huis clos étouffant, avec des parents aimants mais complètement démunis, jusqu'au jour où par hasard elle rencontre Lucien, un voisin septuagénaire, un solitaire à la vie bien réglée, qui cache au fond de lui une grande tristesse. Les deux vont unir leur mal être et leur solitude et se créer une relation affective unique d'amitié, de tendresse et de complicité.



Ce court roman de la jeune écrivaine, Alice Renard, est prenant par son thème et sa construction très originale. Composé de trois chapitres totalement différents dans leur style et leur forme il focalise successivement sur le ressenti des divers personnages.



Dans le premier les narrateurs sont alternativement la mère et le père d'Isor, des parents au désespoir de ne pouvoir apporter une aide efficace ni créer un véritable lien affectif avec leur fille. La mère, fait de son mieux pour transmettre son amour à sa fille et créer une relation de tendresse avec elle, quant au père il est persuadé que sa fille souffre d'une forme de débilité et qu'il n'est hélas pas fait pour être son père, il a le sentiment de se sacrifier.



Le deuxième chapitre donne la parole à Lucien qui exprime avec enthousiasme et tendresse les sentiments qui renaissent en lui depuis sa rencontre avec Isor, après de longues décennies sans joie.



Quelle stupéfaction dans le troisième chapitre ! Il est composé de lettres écrites par Isor, elle même, à ses parents ! Elle a fui en Sicile pour accomplir une mission qui lui tient à coeur. Dans un langage à la fois enfantin, maladroit, mais aussi poétique et non dénué d'humour, elle raconte... Je n'en dévoilerai pas plus.



J'ai beaucoup apprécié les deux premières parties de ce roman écrites avec sensibilité et une grande maturité. J'ai été touchée par la justesse du ton et et la précision de l'analyse des sentiments. J'ai un peu moins adhéré au troisième chapitre, j'ai toujours du mal à m'élever dans l'imaginaire et la symbolique. Mais La colère et l'envie est un premier roman très prometteur pour cette jeune autrice talentueuse. Je le conseille vivement.



#challenge Riquiqui 2024

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La Colère et l'Envie

La jeune fille différente et le vieil homme



Dans un premier roman admirable de maîtrise, Alice Renard raconte comment une jeune fille va parvenir à surmonter ses handicaps au contact d'un vieil homme. Une émancipation bouleversante qui est aussi une ode à la différence.



Isor n'est pas une enfant comme les autres. Disant cela, ses père et mère ont bien conscience que leur explication est trop courte pour parler de leur progéniture. Prenant tour à tour la parole, ils vont nous raconter ses treize premières années. Au début, ils ont pensé que leur fille ne les entendait pas, mais les médecins les ont rassurés sur ce point, son ouïe était parfaite.

Alors, il a fallu faire le tour des spécialistes. Tous ont failli ou n'ont pu déceler précisément ce qui n'allait pas. Des batteries de test n'ont pas permis de poser un vrai diagnostic. «Les semaines s’écoulaient. Les tests sérologiques, psychologiques, les traitements médicamenteux, les rendez-vous chez les analystes, les orthophonistes, tout demeurait infructueux.»

Alors les parents ont fait avec, ont appris à vivre aux côtés d'une fille qui a toujours refusé d’apprendre. «Elle n’a pas voulu apprendre à parler. (...) Elle a refusé d’apprendre à manger autrement qu’avec les mains, elle a refusé d’apprendre le dessin, la musique, l’équitation ou quoi que ce soit d’autre. Jamais nous n’avons songé pouvoir l’envoyer à l’école.»

Au fil des ans, elle a grandi à leurs côtés avec sa différence. Aujourd'hui, elle a treize ans. «Elle ne sait pas que la Terre est ronde, elle ne sait pas ce qu’est un adjectif, elle ne sait pas comment on compte les heures, elle ne sait pas ce que c’est qu’un père ni que la génétique, normalement, nous rassemble.»

Difficile de dire comment elle perçoit le monde. Et malgré leur amour inconditionnel pour leur fille, Maude et Camillio se sentent désemparés.

Tout va pourtant changer le jour où une panne de chauffage les contraint à confier Isor pour quelques heures à leur voisin Lucien.

À 76 ans, il n'attend plus rien de la vie et ne sait pas trop comment prendre cette petite fille. Alors, il ne dit rien. Un silence qui laisse la magie opérer, celle du regard, celle d'un geste, d'une caresse. Puis on jour la musique devient l'enveloppe de leur amour. Alors, ils deviennent inséparables.

Cette seconde partie, douloureuse pour les parents qui se sentent à la fois exclus et coupables, est forte en émotions, lumineuse et sensible.

Alice Renard fait preuve d'une grande maturité. Un tour de force impressionnant à 21 ans, notamment par le dispositif narratif puisqu’elle choisit de faire parler alternativement le père et la mère, puis le vieil homme. Trois voix qui entourent Isor, qui comme dans un film de Lelouch donnent l’impression que la caméra virevolte autour d’elle pour tenter d’en cerner tous les aspects.

NB. Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, lire les premières pages du livre. En vous y abonnant, vous serez par ailleurs informé de la parution de toutes mes chroniques.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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La Colère et l'Envie

Suite à trois déplaisirs de lecture, je suis apaisée après deux jours passés à m'abandonner dans le premier livre d'Alice Renard.

Maude et Camillo sont les heureux parents de la petite Isor. Heureux...enfin pas tout à fait. Si la petite est belle, elle est bizarre. Après moult examens dans toutes les spécialités, après des années passées dans les hôpitaux, après des diagnostics farfelus, la conclusion est qu'Isor n'a rien d'anormal...! Conclusion : elle POURRAIT apprendre mais qu'elle ne le VEUT pas. Son mutisme, ses colères, ses longs silences, sont inexplicables. Pour ne pas la transformer en zombie sous médicaments ils décident de fermer la porte et de gérer... comme ils peuvent.

Un jour ils doivent faire garder Isor, très peu de temps, mais il le faut. Ils frappent à la porte du voisin d'en face, le vieux Lucien. Ils sont gênés de lui confier leur fille qui peut criser et tout chambouler. Mais voilà, Iso et Lucien débutent une longue amitié, non, plutôt un amour hors-norme!

Ils se comprennent dans leur silence. Lucien repense à " cette demande impérieuse, impolie mais si courageuse du Petit Prince: -Apprivoise-moi!Apprivoise moi! dit le renard. - Apprivoise-moi!, invitait Isor. Il faut être très patient, continue le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'oeil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près...

Et c'est comme ça que Lucien va s'approcher d'Isor.

Lucien a cessé depuis longtemps de se réjouir, c'est un homme triste. Isor va tout changer... Je n'en dis pas plus.

Très jeune auteure, Alice Renard est révélée précoce très tôt. Si ce roman parle d'un petite fille pas comme les autres, ce n'est pas pour autant un roman autobiographique.

Il y a trois parties. La première alterne entre la voix de la mère et celle du père, ce qui nous permet de comprendre leur ressenti à chaque étape de leur vie à trois.

La deuxième partie donne la parole à Lucien (c'est très beau) et la troisième...vous verrez !

Le style est bon, souvent poétique, le rythme est très maîtrisé.

Bonne lecture !!!

PS: Une phrase que j'ai aimé "L'amour a sa grammaire. Et comme toutes les langues, sans la pratiquer on l'a perd. Au fil des mois , j'ai réappris l'Absence, l'Attente, le Comblement, la Dépendance, la Fête et la Rêverie, le Ravissement, le Rendez-vous, la Solitude et le souvenir. Tout un abécédaire que je potasse studieusement. J'aime être cet écolier des sentiments.

Dis, dis mon Isor, reviendras-tu demain après - midi ?"







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La Colère et l'Envie

Différent veut-il dire inférieur ?

Isor est une enfant différente, incapable de communiquer avec les autres, de suivre une scolarité normale, d'évoluer en société comme une enfant de son âge.

Sa mère la perçoit comme particulière et exceptionnelle alors que son père subit ses excentricités et en a honte. Sa rencontre avec un voisin âgé va subitement changer la vie de cette jeune fille.

Ce court roman se lit comme une sorte de conte, car la crédibilité de l'histoire est souvent remise en question, mais ça n'enlève rien au plaisir de voir Isor déployer ses ailes et prendre son envol dans un monde qui jusqu'à présent lui semblait beaucoup trop étriqué.

L'auteur décrit le quotidien d'Isor et de son voisin avec une grande sensibilité et une maturité étonnante vu son jeune âge (21 ans).

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La Colère et l'Envie

Roman en trois parties. La première nous permet d'apprendre à connaître Isor au travers des pensées alternées du père et de la mère. Isor est difficilement définissable. Handicapée ? Autiste ? Associable ? Asperger ? Blocage psychologique face à la société actuelle ?

La mère est plutôt conciliante, le père pas trop tolérant.

Ils ont tenté ce qu'il pouvait : psys, etc. pour finir par abdiquer et ne pas la scolariser.

La deuxième partie est pleine de tendresse avec ce solitaire vieillard voisin qui contre son gré va s'attacher à Isor. La troisième partie pour tenter de comprendre.

Une jolie prose sur la différence et la tolérance. Bien que j'ai été gênée tout le long dans le fait qu'elle ne soit ni en institution ni à l'école. Mais bon c'est une fiction ! Premier roman audacieux au pari réussi.

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La Colère et l'Envie

Eh bien, je suis toute retournée par cette lecture tout juste terminée... IL me fallait ouvrir d'autres portes pour d'autres horizons après le dernier Leonardo Padura. Je suis contente car c'est Alice Renard qui a attiré mon attention ! Cette jeune et déjà talentueuse auteure est parvenue, avec beaucoup de délicatesse et de tendresse à nous faire entrer dans le monde D' Isor. Mais qui est Isor me direz-vous ? C'est une enfant pas comme les autres, qui interpelle les uns et les autres tout comme les médecins qui s’intéressent à son "cas" pour très vite la rejeter...

C'est Lucien, le voisin qui va permettre à cette jeune adolescente de lui ouvrir la vie, comme elle lui écrit bien plus tard.

Une histoire touchante à souhait, magistralement construite, hors des normes habituelles à l'image de son personnage principale.

Une révélation !
Lien : https://www.instagram.com/un..
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La Colère et l'Envie

Premier roman de notre jeune autrice, que j'ai même préféré écouter par Audible : le choix de quatre orateurs fait d'autant mieux ressortir les quatre narrateurs que sont le père, la mère, le voisin et Isor bien-sûr, qui se partagent cette histoire. Roman qui tourne autour de ces enfants différents, renfermés, mutiques. Ce long parcours des parents face aux médecins qui inventent des pronostics au gré de leur spécialité. Ce quadruple point de vue avec ce voisin qui prend Isor sous sa protection, est une bonne idée. Qui est Isor ? Qui va enfin pouvoir leur expliquer ? Jusqu'au jour où elle décide de fuguer : les réponses, c'est elle qui va en donner quelques unes.
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