Suicide.
Qui aurait pu croire que cet homme puisse un jour se suicider ? Cet homme qui effectuait lui-même toutes ses cascades, était connu pour avoir marché sur des charbons ardents afin de se préparer à un rôle, qui avait lutté corps à corps avec un alligator pour un autre. Cet homme qui avait été torturé comme prisonnier pendant la guerre de Corée
Il se pencha et l’embrassa. Sa langue était molle et spongieuse. Ses lèvres étaient trop mouillées, et la fine moustache piquait le nez de Kelly. Il plongea sa langue dans sa bouche et la laissa ensuite posée là, sur celle de Kelly, visqueuse et inerte.
Mon premier baiser… Elle ne s’attendait pas à ce que ce soit ainsi. Un jour, Catherine lui avait dit que son premier baiser serait magique, et elle avait voulu y croire. Mais après tout, comment Kelly aurait-elle pu savoir ce que c’était, que cette magie ? Elle ferma les yeux et essaya de se détendre. Il ouvrit plus grand la bouche, mordant les joues de Kelly. Qu’est-ce qui était censé être agréable, là-dedans ? Il devait y avoir un truc.
Il savait que des choses très simples peuvent indiquer qu’un suspect ment (regarder en l’air et à gauche, par exemple), et comment soutirer des aveux si subtilement que celui-ci ne s’en rendrait compte qu’après coup.
Seulement, pour diriger un interrogatoire comme on le souhaite, il faut garder son calme chaque instant, ce qui est plus facile à dire qu’à faire quand votre suspect se trouve être la star de vos phobies d’enfance et qu’elle se tient debout devant vous, les deux poings serrés, en vous demandant comment vous aimez prendre votre café.
Elle voulait parler à Kelly des hommes comme John McFadden et Sterling Marshall, du pouvoir qu’ils exerçaient sur des gens « simples » comme elle et comment, en tant que personne « simple », on n’avait d’autres choix que de garder leurs secrets et cautionner leurs mensonges. On pouvait ainsi gagner un peu d’argent, sauvegarder un soupçon de ce que l’on pouvait prendre pour un peu de dignité si l’on arrivait à se leurrer. Tout le monde croyait en ce système, à l’époque. C’étaient les règles du jeu. Elle voulait dire à Kelly que, si elle avait tué John McFadden, elle comprenait. Mais dans un cas comme dans l’autre, elle tenait à s’excuser pour le chemin sur lequel elle avait embarqué ses deux filles en s’installant à Hollywood.
Son pseudo était SkipToMyLou, la chanson préférée de Kelly quand elle était petite, même si Ruth doutait que sa fille s’en rappelle maintenant. Mais malgré tout, elle ne parvenait pas à utiliser sa messagerie. Sortir de la vie de Kelly était une chose, s’excuser pour tout le mal qu’elle lui avait fait, une autre. Elle ne savait même pas trop à qui se destinaient ces excuses : à Kelly ou à elle-même. « Il y a des choses qu’il vaut mieux ne pas dire. »
Rêvant de devenir actrice, Catherine était tout ce que Kelly Lund n’était pas : belle, vibrante, avec un charisme naturel assez puissant pour lui donner ses entrées dans le circuit des fêtes hollywoodiennes pour jeunes dès ses quatorze ans. Mais elle était aussi tourmentée, fragile ; le genre de fille qui ressentait tout un peu trop profondément et qui finit, malheureusement, par se laisser dépasser par ces sentiments.
Dans la préface d’un de ses livres – elle ne savait plus lequel –, il les avait comparés aux talents d’un chasseur de gros gibier. (Connaître sa proie. Connaître ses forces et ses faiblesses. Trouver la munition adéquate et s’en servir.)
Bien sûr, tout ça, c’étaient des foutaises. Todd n’avait nullement eu besoin de talents particuliers d’intervieweur, étant donné que son entretien « de choc » en prison avec Kelly – celui qui avait été publié dans son ouvrage en lice pour le prix Pulitzer, Mona Lisa – était décrit par l’auteur lui-même comme un « témoignage romancé », et qui se révéla plutôt être « presque totalement inventé ».
On dit que certains visages reflètent l’époque dans laquelle nous vivons ; dans son cas, dans son sourire à elle, cela me paraît particulièrement vrai. De tous les sourires qui ont marqué notre inconscient à travers le temps – ceux décrits dans les livres, qui vibrent sur celluloïd, rayonnant sur des photos de papier glacé ou sur la toile du peintre –, son sourire est le premier sourire de la mort. Alors que nous avançons, inquiets, dans l’avant-dernière décennie du vingtième siècle, ce sourire est le sourire de notre époque : un simple dévoilement de dents, aussi glaçant et incontournable qu’un champignon nucléaire.
Barry n’avait pas beaucoup d’expérience avec les femmes. Il avait dû avoir trois vraies petites amies dans sa vie, dont une qu’il avait épousée et qui le mettait maintenant sur la paille avec la pension qu’elle avait obtenue. De toute façon, ces temps-ci, il préférait la compagnie des vidéos de Penthouse. Mais il n’était pas naïf. Il savait que la folie peut être excitante, surtout pour un mauvais garçon privilégié mourant d’envie de contrarier son icône de père. Mais tout de même, se marier à une folle, et rester marié pendant quinze ans… Là, il fallait vraiment être dingue, se dit Barry.
C’était fou, le nombre d’étoiles que l’on pouvait voir ici, dans le désert ; le ciel en était constellé comme d’autant de brillants sur un châle de velours noir, rendant la nuit si belle que c’en était presque trop clinquant. Il était désormais difficile pour Ruth d’imaginer qu’en cet instant, ce même ciel était sans étoiles au-dessus d’Hollywood, un ciel d’un bleu éteint par les éclairages et la pollution des véhicules. Ces étoiles qui coupaient aujourd’hui le souffle de Ruth avaient toujours été là. Mais pour Rose Lund, elles n’avaient jamais existé.
Rocky semblait éprouver la même chose. Il appelait leurs moments ensemble des « rencontres ». Il appelait cela une « amitié », pas une « relation ». Et malgré toute la tendresse de leurs rencontres, ils ne s’enlaçaient jamais après. Ils restaient sur le dos, tous les deux, fixant le plafond immaculé de la chambre impeccable de Rocky, sa main couvrant celle de Kelly d’une façon plus protectrice qu’affectueuse, et tout cela paraissait si naturel à Kelly, si familier qu’elle n’osait le dire. Comme avant. Comme un retour dans le passé.