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Citations de Amar Annus (19)


Ninurta est le défenseur de l'ordre divin du monde ; il est le dieu de la guerre, de l'agriculture et de la sagesse. Le point de jonction entre ces rôles apparemment contradictoires est l'institution de la monarchie que Ninurta personnifie, et la destinée qu'il décrète pour le roi mortel. En tant que fils du dieu qui symbolise la domination politique en Mésopotamie, Enlil, et de sa parèdre Ninlil, il est doté par son père d'une royauté éternelle après ses combats victorieux contre les forces du chaos. Ninurta est le sauveur céleste, le prince héritier d'En-Haut qui, après sa victoire sur les forces jalouses, rejoint son père et devient le prototype divin du roi. On attend de lui qu'il donne au roi terrestre, son icône ou son incarnation, ce rôle victorieux. Il est donc l'intermédiaire entre les rois et les hommes, le haut et le bas. Ninurta en tant que roi est responsable de la gestion correcte et heureuse de plusieurs aspects de la politique et de la nature. On a besoin de son aide quand l'ordre cosmique est déséquilibré, et, parmi les dieux, il est le seul capable de restaurer l'harmonie. La restauration est considérée comme une "création nouvelle" qui ouvre une nouvelle ère. Il faut pour cela non seulement de la force physique, mais aussi un pouvoir intellectuel, et donc Ninurta est un dieu de la sagesse, proverbialement connu pour sa rapidité d'intervention et de pensée. On a conservé plusieurs mythes où Ninurta vainc les ennemis de l'ordre cosmique. Parfois ils sont présentés sous la forme d'une liste de onze monstres. En les vainquant, Ninurta libère les pouvoirs emprisonnés ou tenus captifs par ces forces du chaos. Donc, de cette victoire, le chaos peut régner, mais seulement pour un temps limité. Ensuite, des bénédictions générales pleuvent sur le Pays, la fertilité en agriculture, dans la famille, la guérison des maladies et "la résurrection des morts". La mythologie de Ninurta est abondamment utilisée dans les rituels royaux.

p. 5
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(Sur le poème épique "Enmerkar et le seigneur d'Aratta")
Beaucoup d'éléments mythiques de cette épopée concernent les commencements de la civilisation, la création de certains procédés technologiques et agricoles, ainsi que le commerce à longue distance. "Enmerkar et le Seigneur d'Aratta" se sert de la tradition historique sumérienne qui ne connaissait pas de période antédiluvienne. L'épopée contient un récit rétrospectif de la résurrection de l'humanité par Inanna, après le déluge. Donc, la civilisation ne vint à Sumer qu'après le Déluge, comme Inanna elle-même :

"Après que le Déluge eut tout balayé, Inanna, la Dame de tous les pays, à cause de son grand amour pour Dumuzi, répandit l'eau de la vie sur ceux qui avaient fait face au Déluge, et elle leur soumit le Pays." (ETCSL 1.8.2.3, v. 572-576).

L'épopée raconte aussi les efforts d'Enmerkar pour installer Inanna, résidant au ciel, dans sa ville d'Uruk.

p. 32
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A un certain moment de son voyage, l'âme était jugée par les déités du monde inférieur, comprenant Shamash et Gilgamesh. Dans "L'épopée de Gilgamesh" le héros franchit la frontière entre la vie et la mort en traversant "les eaux de la mort", et après sa propre mort il devient maître et juge du monde inférieur. Donc, chaque esprit, au moment de la mort, partait pour un voyage similaire à celui de Gilgamesh afin d'atteindre ce monde et de le rencontrer en tant que juge. Gilgamesh est un des seigneurs du monde inférieur, ou "Roi de l'au-delà", parfois antique déité chtonienne. Il y siège sur son trône, prononce des jugements et des verdicts.

Par exemple, le texte assyrien KAR 227 décrit le rituel par lequel on prononce des prières au dieu soleil Shamash, à Gilgamesh comme juge et nocher des morts, et à d'autres déités souterraines, afin de condamner les êtres démoniaques à rester dans le monde souterrain. Dans le rituel, les images des sorciers étaient plongées dans une fosse d'argile au bord de la rivière. Ces images coulant dans l'eau symbolisaient le transfert vers le monde inférieur, identique à celui des morts traversant la rivière Hubur. Dans d'autres textes, les sorcières sont accusées d'avoir confié leur client à Gilgamesh afin qu'il le conduise au-delà de la rivière Hubur. Le royaume aquatique voisin de l'Apsû était parfois considéré aussi comme un monde inférieur habité d'esprits malveillants. La confusion de l'Apsû et de la rivière Hubur montre que les eaux entourant la terre ne cessaient de menacer le cosmos avec leurs habitants démoniaques, mais marquaient aussi la frontière du monde humain.

pp. 45-16
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De plus, beaucoup d'éléments dans l'art divinatoire (âshipûtu) étaient symboliquement liés à l'histoire du déluge en tant qu'acte d'assainissement divin. La technique de l'exorciste concernait principalement la purification par l'eau ou le feu, pour nettoyer toutes sortes de maux : sorcellerie, intrusions démoniaques, maladie, péché et souillure. La lutte de l'humanité contre le déluge était une sorte de bataille cosmique associée aux triomphes des dieux guerriers sur les forces du mal, comme celui de Marduk sur Tiamat. L'histoire du déluge était liée à la mort et à la renaissance de l'humanité, et l'espace à l'intérieur de l'arche ou du navire était l'équivalent symbolique de la matrice. A la différence des autres histoires du Déluge de Mésopotamie ancienne, le bateau d'Adapa est renversé et coulé au fond du Golfe Persique, où Adapa passe sept jours enfermé avant que le dieu Ea ne le touche et ne l'éveille. Cette période critique entre la vie et la mort était le symbole des maladies, des naissances difficiles, de la sorcellerie, des mauvais présages, du péché, de l'emprisonnement, que l'exorciste était capable de contrer par son art. Le déluge était aussi le symbole de l'ordalie par l'eau et du procès, pour lesquels l'aide de l'exorciste était requise. Comme Adapa avait été sauvé du désastre, l'exorciste humain, qui l'incarnait, possédait les pouvoirs du Déluge lui-même en manipulant les substances purificatrices et en récitant les incantations contre tous les malheurs évoqués plus haut.

pp. 16-17
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Amar Annus
On peut considérer les divers récits d'histoire antédiluvienne dans les sources mésopotamiennes et juives, comme les résultats de débats anciens. Non seulement on pratiqua des emprunts directs, mais on se livra à des réinterprétations créatives, surtout du côté juif. Certaines réinterprétations ont été des inversions délibérées de la tradition mésopotamienne. Comme plus tard, les auteurs de la mythologie gnostique adaptèrent leurs mythes de la Bible hébraïque, mais sous la forme polémique d'une "exégèse de protestation", de même les auteurs juifs inversèrent les traditions intellectuelles mésopotamiennes afin de démontrer leur propre supériorité culturelle. Ici, on décrira un phénomène similaire : comment les auteurs juifs discréditèrent les Sages mésopotamiens primordiaux (apkallu en akkadien) en faisant d'eux les Guetteurs et les Nephilim, membres de leur histoire nationale. Ainsi les Sages mésopotamiens des premiers âges devinrent les éducateurs illégitimes et mauvais de l'humanité.
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Habituellement, les dieux ne parlent jamais aux simples mortels en Mésopotamie ; il ne parlent qu'aux rois. Dans les textes mythologiques sumériens, s'il arrive qu'une divinité rencontre une personne de statut inconnu, le dieu introduit son discours en disant : "Si tu es un dieu, parlons ensemble ; si tu es un homme, je te prescrirai ta destinée." (...) Quand Enlil rencontre les rois, il les traite en humains. Mais après la rencontre, le mortel a acquis une dimension nouvelle et extraordinaire.

p. 22
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On doit supposer que toutes les histoires sur Adapa et Gilgamesh se racontaient en Mésopotamie dans le cadre du folklore populaire. Même au niveau littéraire, on voit clairement qu'il existait plusieurs histoires sumériennes sur Bilgames, qui furent assez librement incluses dans la version en Babylonien Standard. De plus, on connaît des tablettes cunéiformes de l'Epopée de Gilgamesh en akkadien, qui ne cadrent pas du tout avec l'intrigue de la version standard. Donc, les histoires de sages et de héros humains ont dû circuler à l'oral dans de nombreuses versions variées en Mésopotamie antique. Les conteurs combinaient les motifs populaires dans toutes sortes d'histoires distrayantes, selon les attentes de leur public. La variation est la règle. On utilisait la forme standard de l'épopée pour la formation des scribes, et elle était déjà une révision et une compilation faite à partir d'une masse de récits et de motifs sur le roi ou le héros en quête d'immortalité. Ces histoires orales, oralement transmises, sont à l'origine des ressemblances que l'on trouve dans les sources arabes et juives postérieures. On a correctement identifié le grand sage du folklore islamique, al-Khidr, "l'Homme Vert", à un personnage descendu du survivant mésopotamien du Déluge Atra-Hasis ou Uta-Napishti.

p. 97
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Le façonnage des briques à partir de l'argile tenait une place fondamentale dans la conception mésopotamienne de la naissance et de la vie. La Brique Pure de la Naissance était le symbole de la déesse Nintur, qui présidait aux accouchements, rôle que lui confie Enki dans le mythe sumérien d'"Enki et l'ordre du monde". La brique de terre crue était assimilée au placenta, les textes littéraires jouant sur les mots "entrailles, matrice" (libbu) et "brique" (libittu). Selon l'expression iranienne, la vie se déroule "az khist to khist" (de la brique à la brique, "from womb to tomb"). Les briques que l'on n'utilisait plus revenaient à la rivière, qui est métaphoriquement la matrice de la fosse d'argile ; la boucle est bouclée. L'antique sage Adapa, comme l'artisan Kulla, jouaient le même rôle comme êtres primordiaux, associés à la naissance du cosmos et de l'humanité. Après que sa mission était accomplie, Oannès retournait à la mer, dans le récit de Bérose. Quand le temple était construit, le dieu-brique Kulla était placé dans une barque et abandonné à la rivière pour revenir à l'Apsû (gouffre marin primordial), afin de laisser la place à la nouvelle génération et à un nouveau cycle de vie.

pp. 54-55
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La littérature mésopotamienne d'exorcisme emploie beaucoup d'images de la naissance et de la renaissance, au sens littéral ou métaphorique. L'exhortation "sors et vois la lumière !" est très commune dans les incantations magiques de naissance. Le rôle de Marduk en tant que juge divin dans l'hymne cité ci-dessus est aussi celui de la sage-femme, car lui aussi, il fait sortir des corps qui naissent. Marduk était le patron des femmes en couches, sa miséricorde proverbiale se manifestait en faveur du prisonnier innocent et de l'enfant à naître. C'est cohérent avec la comparaison de la colère de Marduk avec un déluge, car la métaphore du déluge était étroitement associée aux dangers de l'accouchement. L'image poétique dans l'épopée de Gilgamesh évoque cette figure de l'enfantement à la fin du grand orage, le septième jour : "La mer se calma, elle qui avait lutté comme une femme en travail" (XI 132). On retrouve cela dans un cycle de sorts magiques mésopotamiens où l'image d'un bateau pris dans une mer déchaînée rappelle le bébé à naître dans le fluide amniotique. Dans ce passage de Gilgamesh, l'arche contenant toute la semence de la vie est comparé au foetus, et son voyage vers la sécurité est rejoué à chaque naissance d'un enfant. En ce sens, la nouvelle naissance de l'humanité et de chaque individu sont métaphoriquement associées.

p. 51
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Comme on l'a dit plus haut, l'akkadien de Ludlul manifeste un registre littéraire élevé et témoigne de la richesse de l'art poétique de l'auteur. Il faudrait donc, on devrait même, traduire le poème dans une langue qui tenterait de rivaliser avec ce panache littéraire ancien. Mais compte tenu de l'objectif pédagogique de la série des "Archives d'Etat d'Assyrie - textes cunéiformes", une traduction plus littérale est appropriée pour les utilisateurs de ce livre. Nous avons tenté de rendre le poème dans un anglais qui reflète en gros la grammaire akkadienne sans se donner des airs ridiculement archaïques. Les rares notes accompagnant la traduction sont destinées à clarifier le texte original dans le cas de certains termes ou formules...
Les étudiants voudront sûrement consulter d'autres traductions, même si elles sont faites sur des reconstructions différentes du texte et numérotent autrement les vers. On se reportera à Lambert (Babylonian Wisdom Literature, 21-62, anglais), Biggs (ANET, 596-600, anglais), Bottéro 1977 ("Le problème du mal en Mésopotamie ancienne, français), ... Prosecky 1995 (41-57, tchèque), Shifra et Klein 1996, 544-575 (hébreu moderne), Ash-shawwaf 1997, 426-449 (arabe), Afanasyeva et Diakonoff 2000, 406-408 (russe) ... Annus 2010 (estonien).

Préface p. 38
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Pendant la période akkadienne, on observe une tendance à déifier le roi. Les rois de la dynastie de Sargon étaient d'héroïques soldats et leur autorité royale reposait sur leurs exploits guerriers. Mais Naram-Sin tenta de modifier les antiques traditions royales sumériennes, et son pire crime, de l'opinion des prêtres de (la ville sainte de) Nippour, fut de rechercher la divinisation en se passant de l'approbation de Nippour et de ses instances sacrées. Il aurait fallu, pour que ce soit légitime, accomplir le rituel solennel de la "fixation des destins du roi" à Nippour et la transmission des insignes royaux de pouvoir de Nirnurta au roi. Au lieu de quoi, nous lisons dans "La malédiction d'Akkad" (57) que "le verdict venant de l'Ekur (temple du dieu suprême Enlil à Nippour) fut inquiétant" (me-gin7 ba-an-gar).

Dans une inscription, Naram-Sin parle d'une statue d'or érigée à l'honneur de sa royauté éternelle et de ses victoires éclatantes. Nous voyons ici comment le roi s'empare des attributs de Ninurta : il est le victorieux, et il affirme avoir reçu la royauté éternelle. Naram-Sin négligea son devoir d'apporter des offrandes au temple d'Enlil à Nippour et tenta d'éliminer la ville d'Enlil et ses prescriptions. Pour la première fois, un roi réel remplace le dieu Ninurta.

Pour résumer, selon la conception sumérienne traditionnelle, la royauté est transmise par une ligne allant d'Enlil à Ninurta et de Ninurta au roi. Ninurta, en vertu de ses pouvoirs comme fils aîné d'Enlil, est le Roi Eternel selon cette idéologie. La royauté humaine est transitoire et changeante, selon cette idéologie. Cette conception évolue pendant la période d'Ur III : on donne alors au roi la royauté éternelle ou l'allongement de ses années de règne - bala - le statut du roi rejoignant celui des dieux. Il est aussi intéressant de noter que dans les textes sumériens, le mot /bala/ au sens de "époque d'un règne" n'est jamais utilisé ; le mot n'est employé qu'au sens du verbe /bal/, changer, transférer. La royauté était considérée comme temporaire.

pp. 16-17
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L'imagerie judiciaire du procès qui attend l'âme humaine avant la naissance et après la mort est fréquente dans la littérature d'exorcisme. A côté du groupe de nombreux rituels destinés à dissiper un mal qui était survenu au patient ou qui le menaçait, il y avait aussi un sous-groupe de rituels de renforcement, dont la pratique était destinée à donner au client un pouvoir sur les autres. Ainsi, les textes intitulés "Saisir la bouche", "Se tenir devant le juge" ou "Entrer au palais", qu'on ne trouve pas dans "Le Manuel de l'Exorciste" et qui sont destinés à se renforcer avant d'aller au palais ou de comparaître devant la cour. Les bibliothèques royales de Ninive n'ont livré aucun exemplaire de ces textes de motivation, qui était sûrement jugés avec suspicion. Le caractère subversif et contestataire de ces textes est évident, par exemple, avec la connotation négative qu'y prend le mot "palais". On a bien vu dans les commentaires de l'hymne à Nungal et d'autres textes littéraires, que le mot E2-GAL (palais) renvoyait en certains contextes à un lieu de jugement, de détention et d'ordalie. De plus, la détention au palais était une métaphore de la maladie, comme dans ce présage de calendrier : "il connaîtra soit le confinement à cause de la maladie, soit la détention au palais". Les deux types de confinement au "palais" et dans la "prison", étaient des termes symboliques désignant l'emprise de la maladie.

p. 76
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(Le premier roi au monde, avant le Déluge).
Le premier roi antédiluvien, dont le nom est Alulim dans la "Liste Royale Sumérienne", devint Alulu dans les textes du premier millénaire. Premier roi sur terre, son règne fut le plus long et la durée de sa vie devint proverbiale. L'écrivain de cour Asharedu souhaita au roi assyrien "les années d'Alulu", à savoir une très longue vie. Premier roi d'Eridu, il reçut la sagesse à l'état pur d'Adapa, dont la lettre apocryphe à Alulu est citée dans les tablettes de Sultantepe. D'après certaines incantations d'exorcisme contre les parasites des champs, Alulu ne mangeait jamais de céréales, mais se tenait à un régime liquide. La déesse du grain Nisaba lui était en abomination, et on lui reprocha d'avoir créé les parasites des champs. On avait recours à son aide pour s'en débarrasser dans deux incantations dont une nous est parvenue presque en entier :

"O Alulu, roi d'avant le Déluge, toi qui ne bois que du lait, du beurre fondu et de la bière-'hîqu, à qui la déesse Nisaba est en abomination ! Tu as créé les vers, les parasites dévorants, l'insecte mubattiru, avec une baguette de cornouiller, toi, un roi d'antan ! Maintenant, fais-les disparaître ! (...)"

Rituellement, on fabriquait une figurine de criquet en suif et on la jetait au feu pendant qu'on récitait cette incantation. Le rituel en cite une autre, dont seule la fin est préservée, où la fonction purificatrice du Déluge par le feu, le gel, et les quatre vents est mentionnée, afin de se débarrasser des sauterelles.

p.25
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Amar Annus
La sorcière dans Maqlû (textes d'exorcismes) a une nature démonique, elle est l'ombre des fantômes des sorcières mortes. On ne peut donc la détruire totalement, elle doit être renvoyée dans la steppe où elle survivra comme un souffle de vent sans forme. La sorcière doit être expulsée de la communauté civilisée. Maqlû cherche à la fixer pour qu'elle ne soit plus capable de nuire encore à ses victimes. On doit la neutraliser par le feu et par l'eau, qui ont de nombreux noms dans la série d'exorcismes. Le dieu du feu Girra joue un rôle central dans les incantations, il est la chaleur destructrice et le bras fort qui exécute les sentences du dieu soleil Shamash. La crémation de la sorcière est un thème qui subit maintes permutations et transformations dans les incantations de la série. L'eau qui annihile la sorcière est désignée par le nom déifié du Fleuve (d-id). De même que Girra brûle les sorcières sur l'ordre de Shamash, de même le Fleuve engloutit leurs représentations comme l'ordalie de l'eau dans les rituels judiciaires.
Les Apkallus (sages primordiaux) prennent l'apparence de sorcières dans Maqlû (III-61), où le dieu soleil reçoit l'épithète d'éclatant (namru) :

“Incantation: je suis Fleuve pur et saint Eclat. Mes sorciers sont les Sages de l'Apsû, mes sorcières sont les Filles célestes d'Anu. Elles m'ensorcèlent (eppušāni), elles m'ensorcèlent encore et encore, mais elles ne peuvent pas s'emparer de mon corps, elles ne cessent de m'ensorceler, mais elles ne sont pas capables de me saisir. Je les ai ensorcelées et j'ai remporté la victoire sur elles. Comme le Fleuve, je suis devenu pur dans ma montagne. Comme l'Eclat, j'ai brillé dans mon jugement. Mon sorcier et de ma sorcière, que le Fleuve et l'Eclat les convainquent de révolte. Que leur sorcellerie soit renversée, qu'elle se retourne contre eux et leur visage. Comme le bitume, que leur visage noircisse, que leur plaidoirie soit réfutée, que ma plaidoirie soit droite. Qu'ils se dissolvent, qu'ils fondent et s'écoulent pour toujours au loin. Comme le Fleuve, je suis devenu pur dans ma montagne."
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"Ludlul et la "littérature de sagesse".
Que l'on décide d'imposer aux faits anciens la définition moderne de "sagesse", ou que l'on préfère employer les catégories indigènes (telles qu'on peut les reconstituer au moins), que l'on choisisse de traiter la "sagesse" de façon conceptuelle ou bien en termes de genre littéraire, la manière de définir la catégorie jouera un rôle dans la sélection des exemples. Comme bien d'autres, utilisées pour organiser des données culturelles ("religion", "art", "parenté"), "Sagesse" n'a pas d'existence objective. Les gens, aussi bien les Mésopotamiens que les savants modernes, élaborent la "sagesse" comme une rubrique destinée à associer et à classifier divers éléments d'une culture. On fait bien de se rappeler cela sans cesse, quand on essaie de comprendre les termes de "Sagesse" et de "Littérature de Sagesse" en lisant Ludlul.

Lambert, dans son livre "Babylonian Wisdom Literature" (1960), inclut Ludlul dans la littérature de sagesse, et influença nombre de savants. Pourtant Lambert se hâte de rappeler qu'il a emprunté les mots "sagesse" et "littérature de sagesse" aux études bibliques et qu'il les a appliqués aux textes mésopotamiens, à cause des ressemblances globales entre le contenu de ces textes et les livres de sagesse de la Bible Hébraïque (les Proverbes, l'Ecclésiaste, et Job). On pourrait raisonner ainsi : puisque Ludlul et le livre biblique de Job abordent tous deux la souffrance humaine en rapport avec un dieu, et que Job est de la "littérature de sagesse", alors Ludlul est aussi de la littérature de sagesse. Cette définition fondée sur le contenu, enracinée dans la science biblique, a bien sûr ses avantages pour la comparaison. Mais il faut immédiatement reconnaître, comme le font Lambert et Beaulieu, que c'est une façon d'imposer une catégorie moderne. Même si le terme "littérature de sagesse" permet d'intéressantes comparaisons entre la Bible et la littérature mésopotamienne, elle obscurcit notre compréhension de Ludlul dans son contexte littéraire, culturel et scribal.

p. 34-35
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L'habillage et le déshabillage ont une grande importance symbolique dans les récits du Moyen-Orient ancien, où la descente et la mort étaient associées au déshabillage, l'ascension à l'habillage. Un passage de la fin de l'Epopée de Gilgamesh présente une structure similaire : Uta-Napishti (= Noé) ordonne à Ur-Shanabi (son serviteur) de conduire Gilgamesh aux bains, de lui laver la tête et le corps et de le revêtir de vêtements royaux neufs pour son voyage de retour à Uruk (XI, 247-272). Cet épisode suit le sommeil de sept jours du héros, représentant symboliquement la mort et la mortalité, que Gilgamesh a été incapable de vaincre (XI, 207-230). Ceci correspond parfaitement aux versions du mythe d'Adapa où le héros est renvoyé sur terre depuis le ciel après son jugement et sa mort de sept jours dans la mer. Le rituel d'exorcisme "Maison de l'Eau Jaillissante" a aussi une structure comparable, car après son emprisonnement dans la steppe, le roi est lavé et revêtu d'habits royaux neufs avant de retourner dans son palais. Tous ces épisodes du mythe et du rituel montrent un passage temporaire dans un espace frontière (nature-surnature) pour assurer la croissance spirituelle, et changer l'ancienne personnalité en une nouvelle, capable d'assumer de nouvelles responsabilités.

Le don d'habits neufs a aussi une signification légale. On le pratiquait pendant la cérémonie marquant la fin d'un procès, pour exprimer l'acquittement et la pureté légale. C'était une coutume répandue au Moyen-Orient que le prévenu acquitté par le tribunal se lave et mette des habits neufs. Dans Zacharie III-4, l'ange de Dieu donne au grand prêtre Joshua de nouveaux vêtements pour sa fonction. L'hymne sumérien "Enlil dans l'E-kur" associe les vêtements propres à la droiture (vers 29-31) : "la cité dotée de vérité, qui fait durer éternellement droiture et justice, où l'on se vêt de vêtements propres sur le quai". Dans toute la littérature magique mésopotamienne comme dans les incantations médicales, le quai est un symbole de détention et de rédemption, un lieu frontalier.

p. 86
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La version sumérienne du mythe d'Adaba se termine par une incantation de guérison très similaire à celle que l'on trouve à la fin de la version akkadienne (D, voir plus bas). La fin des deux versions transforme un thème littéraire en une pratique d'exorcisme. Il suit de cette observation qu'Adapa est doté dès l'origine d'une structure mythique. Le texte adopte délibérément un mode de progression qui est celui du "rite de passage" (Michalowski). T. Jacobsen avait déjà remarqué l'usage magique, dans les exorcismes, d'un thème littéraire : "Dans notre cas, le prêtre chargé de l'incantation a pu choisir cette légende parce que dans l'histoire du pouvoir magique d'Adapa - assez puissant pour casser l'aile du Vent du Sud - et dans l'histoire la sagesse de son père - assez grande pour sauver Adapa de la colère d'Anu - il trouvait une représentation du père-fondateur de sa science magique assez impressionnante pour avoir la haute main sur les démons de la maladie" (Jacobsen, 1930).

p. 72
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(Maudit par le Dieu Mardouk, accablé de maladies, le héros rentre en grâce, guérit, et il est conduit dans le Temple du dieu à Babylone, l'Esagil.)

Et moi, qui descendais à la fosse, je fus conduit de nouveau au Porche du Soleil Levant.
A la Porte de l'Abondance, l'abondance ...
A la Porte du Grand et Divin Gardien, mon propre gardien me fit approcher.
A la Porte de la Santé, ma propre santé je contemplai.
A la Porte de la Vie, je fis face à la vie.
A la Porte du Soleil Levant, parmi les vivants je fus compté.
A la Porte de la Stupéfaction Lumineuse, mes présages devinrent clairs.
A la Porte de la Culpabilité Annulée, ma faute fut enlevée.
A la Porte de l'Eloge, je posai des questions.
A la Porte du Soulagement des Soupirs, mes sanglots furent consolés.
A la Porte des Eaux Pures, je fus baigné dans les eaux de purification.
A la Porte de la Santé, je fus vu en compagnie de Mardouk.
A la Porte du Faste Surabondant, les pieds de Sarpanitu* je baisai.

*Sarpanitu : déesse épouse de Mardouk.

IV 38-50, traduction des auteurs rendue plus littérale.
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Comme il possédait la tablette des destinées des dieux dans sa main,
L'arc envoyait des flèches mais elles n'approchaient pas de son corps.
La bataille se calma, l'attaque fut retenue,
Le combat cessa,
Dans la montagne ils ne prirent pas Anzu.
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