Citations de André Gide (1880)
Ne distingue pas Dieu du bonheur et place tout ton bonheur dans l’instant.
Notre vie aura été devant nous comme ce verre plein d’eau glacée, ce verre humide que tiennent les mains d’un fiévreux, qui veut boire, et qui boit tout d’un trait, sachant bien qu’il devrait attendre, mais ne pouvant pas repousser ce verre délicieux à ses lèvres, tant est fraîche cette eau, tant l’altère la cuisson de la fièvre.
S’emparer de ce qui ne peut se défendre, c’est une lâcheté.
Combien heureux les hommes, s’ils pouvaient ignorer le mal !
Il m'a paru qu'aucune pensée de nos jours ne méritait plus de respect, j’allais dire de dévotion, que celle de Tagore et j’ai pris mon plaisir à me faire humble devant lui, comme lui-même pour chanter devant Dieu s'était fait humble. - 28 -
Toutes les dernières pièces du "Gitanjali" sont à la louange de la mort. Je crois pas connaître, dans aucune littérature, accent plus solennel et plus beau. - 24 -
Et combien ne gagnons-nous pas à cet échange de la longueur pour la qualité, du poids par quantité contre le poids par densité. Car des cent trois petits poèmes qui composent le "Gitanjali" presque chacun est d'un poids admirable. - 10 -
Ce que j'admire dans le "Gitanjali", c'est d'abord qu'il est tout petit.
Ce que j'admire dans le "Gitanjali", c'est qu'il n'est encombré d'aucune mythologie.
Ce que j'admire dans le "Gitanjali", c'est que point n'est besoin de préparation pour le lire. - 9 -
Le succès des essais serait inexplicable sans l'extraordinaire personnalité de l'auteur. Qu'apportait-il donc au monde de neuf ? La connaissance de soi-même; et toute autre connaissance lui paraît incertaine ; mais l'être humain qu'il découvre et qu'il nous découvre est si authentique, si vrai, qu'en lui chaque lecteur des Essais se reconnaît.
Je souhaiterais Maurice Denis plus difficilement satisfait de lui-même. Mais un peu d'inquiétude lui enlèverait beaucoup de santé.
Il parle de Henri Matisse allant montrer à Rodin ses dessins et repartant furieux de l'atelier du maître, parce que celui-ci lui aurait dit : "Pignochez; pignochez. Quand vous aurez pignoché cela quinze jours, vous viendrez me le remontrer."
(1906)
J'achève péniblement, et galopant, sautant des pages, cette absurde Fanny de Feydeau que j'avais commencée il y a plus d'un mois. Rien n'empêchait ce livre d'être un beau livre - que l'auteur. Tirades amoureuses très voisines déjà de celles de Dumas fils, et presque aussi mauvaises. Une espèce de "croyance à l'amour" qui est bien une des plus stupides et ridicules inventions de notre littérature.
(1905)
La tendresse de Paul Valéry ; elle est enfantine et charmante. Nul ne comprend si joliment l'amitié, ni n'a tant de délicatesse. J'ai pour lui l'affection la plus vive ; il faut tout ce qu'il dit pour la diminuer. C'est un de mes meilleurs amis ; s'il était sourd et muet, je n'en voudrais pas de meilleur.
(p. 124)