Citations de André Siniavski (44)
Vous avez entendu applaudir le verdict qu'on vient de vous signifier, de prononcer sur vous ? Une salle joyeuse, acharnée, applaudissant, à faire tomber le plafond, l'acte d'accusation qui vous enterre, vous, pauvre hère qu'une escorte, selon la loi, va emmener hors du tribunal, mais ce n'est pas encore fait, vous n'avez pas bougé, vous êtes en vie, et la salle, solidaire de ce qui vous punit, tambourine à pleine panse, vous saluant et vous resaluant de salves d'applaudissements en pleine gueule ; heureuse de vous voir balayé, et justement condamné à cinq ans, à sept ans, à quinze ans, à la peine suprême - et pas de pirouette pour échapper à votre responsabilité. Pour criminel que vous soyez alors, quelque faute qu'on vous impute, vous vous réjouirez, croyez-moi, vous vous réjouirez avec un frémissement de l'âme de ce qu'il existe des hommes encore pire que vous ne le pensiez, et inférieurs à vous puisqu'ils osent fêter l'infortune d'autrui avec cette franchise, avec cette humaine candeur.
La propagande ennemie a infecté vos collaborateurs. Votre devoir, lieutenant-colonel, est de renifler personnellement ce cul-là. Quelques dizaines de jeunes gars, choisis parmi les miliciens. Point d'impair. Des manières civilisées. Chapeau, cravate, dîner au restaurant. Une promenade au grand air... Nos chers petits veulent goûter de la verdure... Pas de coups de pistolets avant la grande colique. Vous pouvez tout de même emporter une paire de mitraillettes, ça peut servir. Pincez sans bruit les Tikhomirov et autres gueulards. Rouvrez la prison. Rétablissez la liaison téléphonique avec N. Pas de répression, hein!... Ne cassez pas trop de bois. De la discipline. De la légalité. Autorisation de pincer les tétons des filles, mais plus bas, nenni. Pas de développement du culte de la personnalité. Je vous donne vingt-quatre heures pour cette désinfection. Et bonne chance!
Il ne s’agit pas de savoir comment ils écrivent, mais quelle soif d’écrire les possède !
(Graphomanie)
Et eux qui marchent, qui marchent en ce moment. Et pendant que moi, ici, je vis, pendant que nous tous nous vivons - eux vont marcher, toujours marcher ......
Le véritable écrivain est celui qui n’écrit pas. [...] ce qui ne l’empêche pas de penser à son écriture en continu, elle le démange et le rend malade, c’est son espoir et sa malédiction. [...] on ne fait pas plus mauvais lecteur qu’un écrivain.
(Préface par son fils Iegor Gran)
Je savais tout, d'accord, mais je ne pouvais rien. D'ailleurs plus j'en savais, pire c'était. (177)
Jusqu'au moment où il bute au milieu d'une strophe. Tout son corps penche en avant. Il claque des lèvres dans le vide. Comme pour happer les mots envolés de sa mémoire. On dirait un noyé qui happerait l'air avant de couler. (25)
S i le papier est nécessaire, c'est pour pouvoir s'oublier soi même dans sa blancheur.
Lorsqu'on écrit, on plonge dans la page et on resurgit à la surface avec une pensée, avec un mot.
Ce que j'ai ressenti de plus intéressant au cours de ces premiers jours et de ces premières semaines de liberté, c'est la sensation d'être un mort revenu au festin de la vie.
Parfois, aux heures libres, il se plonge toujours dans la lecture du même livre - c'est presque trop beau pour être vrai : Koralis lit "L'enfer" de Dante....
En regardant les gens, souvenez vous de leur naissance encore si récente, ou de leur enfance, ou de leur mort prochaine - et vous les aimerez : tant de faiblesse !
Le sort est toujours inéluctable, comprenez-vous, il suffit de le prédire. C'est comme un verdict. Vous le savez vous-même, un tribunal ne révoque jamais la sentence qu'il a prononcée.
Le pilote d'essai me rattrapa dans l'entrée et me coinça contre un portemanteau pour me demander conseil. Il voulait connaître, à l'insu de sa femme, la date de sa mort. Devait-il ou non lui faire un enfant ? Valait-il la peine d'acheter un frigidaire ? Voilà ce qui le tourmentait. (125)
7 juin. J'ai rêvé que je chantais. Le matin, à l'appel, on me dit de rester.
Une demi-heure pour vous préparer.
Une cage. On m'examine avec curiosité. Quatre valises. Un compartiment grillagé à trois bancs. Le chef de l'escorte :
_ Où est ce qu'on t’emmène ?
_ Je ne sais pas.
Or on m'emmenait en liberté.
Le temps est venu de s'habituer à une vie concentrée sur un mouchoir de poche.
Ce n'est pas un homme, c'est un détaillant de cercueils. Il s'est vendu pour le régime. Il boit l'alcool qu'on lui fournit contre les risques d'intoxication par les cadavres.
Toujours cette envie de bien reprendre son souffle et de se dégager du rêve - vers quelque vie supérieure.
Je sais pourquoi les corneilles croassent si fort : elles se sont senties trop en noir sur cette neige blanche.
La taïga pour loi. L'ours pour procureur.
On dit qu'en Allemagne de l'ouest, les gens les plus intéressants, ce sont les policiers.
Ce seraient les plus humains et les plus indulgents pour nous autres russes.