Chaque mois, un grand nom de la littérature contemporaine est invité par la BnF, le Centre national du livre et France Culture à parler de sa pratique de l'écriture. L'autrice Joy Sorman est interviewé par Géraldine Mosna-Savoye, productrice chez France Culture.Rencontre enregistrée le 19 avril 2022 à la BnF I François-Mitterrand
En collaboration avec le Centre national du livre et France Culture à parler de sa pratique de l'écriture.
Pour retrouver toutes les Masterclasses du cycle "En lisant, en écrivant" : https://www.bnf.fr/fr/agenda/masterclasses-en-lisant-en-ecrivant
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Les grands mélancoliques ont ceci de tragique qu’ils ne sont pas protégés par leur délire comme peuvent l’être les schizophrènes, qu’en ce sens leur douleur est plus préoccupante encore, qu’ils guérissent rarement.
Ninon se souvient qu’au plus fort de la douleur elle aurait imploré un chirurgien de lui couper les bras, de la débarrasser de cette insupportable présence organique ; aujourd’hui elle entend les brandir à la face du monde, afficher son corps tragique.
(page 253)

Partout on dynamite le rocher calcaire, des tonnes de terre et de cailloux jaillissent en gerbes continues, et Joaquim comprend vite que le travail sera épuisant et dangereux. Il découvre que les accidents sont fréquents, qu’une vingtaine d’ouvriers sont déjà morts, fauchés par des rafales de roche. Le chantier est cerné de journalistes, qui tiennent la chronique quotidienne du barrage, relatent les aléas, et parfois les performances techniques, racontent la colère des éleveurs, et aussi la satisfaction des élus locaux. Et derrière eux se tient une autre garde, celle des gendarmes qui surveillent désormais les travaux jour et nuit, la nuit surtout, depuis qu’une série de sabotages – incendie d’un transformateur, vols de matériel, pneus crevés et réservoirs siphonnés – a retardé la construction du barrage et perturbé la communication enthousiaste du maître d’œuvre, impuissant à convaincre les habitants du village de la pertinence de leur sacrifice.
Nous sommes des sacs de peau, des outres qui maintiennent et unifient tout ce qui nous constitue – os, organes, sang, cerveau, donc psychisme.
(page 168)
Se peut-il que la maladie se soit tarie d’elle-même ? Comme si sa présence dans le corps, ces tensions, ces brûlures, cet envers noir, cette agitation sourde s’étaient finalement épuisés, comme si le mal avait jailli telle la lave d’un volcan avant de s’éteindre naturellement, flux et reflux, éruption et refroidissement.
(page 227)
La maladie fonctionnelle a ceci de frustrant qu’elle laisse médecin et patient bras ballants et le plus souvent contrariés, voire agacés, bien que rassurés. Le médecin ne peut pas soigner, le patient n’est pas vraiment malade.
(page 143)
On dit qu’il faut y croire pour que la magie noire opère mais n’est-ce pas à force d’accomplir les rituels religieux que l’on finit par avoir la foi ?
(page 205)
La peau, écorce, pellicule de couenne traversée de nerfs, sensitifs, vaso-moteurs, peuplée de glandes qui sécrètent en continu odeurs, sueur, sébum, membrane qui respire, élimine, transpire, produit poils et ongles, émet des phéromones, maintient le corps autour du squelette et des muscles, assure sa verticalité.
(page 45)
Ce qui est certain c’est que je finirai à l’hôpital psychiatrique, l’hôpital général c’est pas pour moi, prendre la tension, faire des prises de sang quel ennui. À la rigueur l’Ehpad avec les vieux. Moi j’aime la merde, les laver, les toucher, les toucher surtout, leur caresser le bras.
Maladie ou adolescence qu’importe, Ninon se sent plus acérée, plus cruelle aussi, une pleine conscience d’elle-même – elle se voit vulnérable, hypersensible mais lucide et perspicace.
(page 62)