Citations de Andrée Chedid (1011)
Chaque fois la chapelle m'apparaissait blanche, haute comme l'espace.
"Clic-clac." Il fallait mettre un genou à terre, se signer, se relever, entrer dans les bancs, s'agenouiller, se recueillir, et les prières s'élevaient de toutes les bouches en même temps. Elles ne m'étaient rien, avec leurs mots usés qu'on ne cherchait plus.
Je serrais les lèvres pour qu'ils ne passent pas, ces mots. Je mettais mon visage à l'abri de mes mains. Je me grisais d'autres mots, de mots à moi que je sentais et sur lesquels j'aurais trébuché si j'avais eu à les dire. Je pressais mes paupières, je voyais un monde, un autre monde, celui de l'envers de mes yeux. Avec ses lueurs roses, ses boules qui tournent, ses rosaces trouées, ses pétales, ses plumes d'oiseaux.
Tu es né avec la guerre, tu ne dois pas vivre avec la guerre. Il faut voir le monde, connaître la Paix. Les racines s'exportent, tu verras. Elles ne doivent pas t'étouffer, ni te retenir.
Saisir
Recueillir le grain des heures
Étreindre l 'étincelle
Ravir un paysage
Absorber l'hiver avec le rire
Dissoudre les noeuds du chagrin
S'imprégner d'un visage
Moissonner à voix basse
Flamber pour un mot tendre
Embrasser la ville et ses reflux
Écouter l'océan en toutes choses
Entendre les sierras du silence
Transcrire la mémoire des miséricordieux
Relire un poème qui avive
Saisir chaque maillon d'amitié
(" Par-delà les mots")
- À ton âge, d'où tiens-tu ces choses? demanda Maxime, plus tard, dans la soirée.
- Un jour, je te raconterai.
- Tu parles parfois comme un enfant, parfois comme un adulte. Quand es-tu toi-même, Omar Jo?
- Chaque fois.
Tu chantes!
Pour un temps s'apaise
L'univers en tornade
que tu portes dans tes flancs
Tu danses!
Ton corps brûle ses frontières
t'emporte hors de ton corps
Tu cries!
Ta fureur attise l'âme des univers éteints
Tous les appels du monde te traversent jeunesse !
Par nos yeux
Par notre seule bouche
Par nos deux mains
Et par l'unique coeur
Au nom de cette naissance
Qui nous convie
Au nom de cette mort
Qui nous contraint
Au nom du premier cri
Et du dernier déclin
Par ce bref passage
Dans les couloirs du temps
Par l'obscur qui nous mine
Par ce feu qui nous anime
Nous sommes tous
Du même cortège
Séparés par l'écorce
Soumis aux mêmes pièges
Reliés par le destin.
(" L'écorce et le destin")
Pavane de la virgule
"Quant à moi", dit la virgule,
J'articule et je module ;
Minuscule, mais je régule
Les mots qui s'emportaient !
J'ai la forme d'une Péninsule ;
A mon signe la phrase bascule.
Avec grâce je granule
Le moindre petit opuscule.
Quant au point !
Cette tête de mule
Qui se prétend mon cousin !
Voyez comme il se coagule,
On dirait une pustule,
Au mieux : un grain de sarrasin.
Andrée Chedid
Que veut la Poésie
Qui dit
Sans vraiment dire
Qui dévoie la parole
Et multiplie l'horizon
Que cherche-t-elle
Devant les grilles
De l'indicible
Dont nous sommes
Fleur et racine
Mais jamais ne posséderons?
(" Rythmes")
Gorgée de terre
Peuplée d'espace
Parlant tout notre visage
Poésie
tu ne cesses de venir
Tu ratures les abris
Tu enjambes les empreintes
Rebelle aux pièges du temps
tu décapes les jours
Et nous
soudain à l'écoute
soudain surgis des heures rivales
soudain hors du sommeil sans îles
soudain abolissant l'écart
en mille milliards de oui
nous frayons passage à ta voix
Ainsi raccordés à la parole
Nous voici Te voici
Où la terre est une
Où le coeur du coeur assaille
Où la vie advient.
Je vous souhaite à tous une année 2021 plus douce, poétique, chaleureuse!
Je revenais des autres chaque fois guéri de moi.
En ce monde
Où la a vie
Se disloque
Ou s'assemble
Sans répit
Le poète enlace le mystère
Invente le poème
Ses pouvoirs de partage
Sa lueur sous les replis
(" Épreuves du poète")
La vie est trop nombreuse, la barque trop fragile,
Pour traverser seul les images et le temps.
Mais toujours on trouve une voix pour la sienne.
Mais toujours on trouve un regard pour sa peine.
Je chante le visage triomphant.
(" Le visage triomphant")
Poésie des hommes
Gorgée de terre
Peuplée d'espace
Parlant tout notre visage
Poésie
tu ne cesses de venir
Tu ratures les abris
Tu enjambes les empreintes
Rebelle aux pièges du temps
tu décapes les jours
Et nous
soudain à l'écoute
soudain surgis des heures rivales
soudain hors du sommeil sans îles
soudain abolissant l'écart
en mille milliards de oui
nous frayons passage à ta voix
Ainsi raccordés à la parole
Nous voici te voici
Où la terre est une
Où le coeur du coeur advient
Où la vie advient.
(" Fraternité de la parole")
La Révolte du Sujet
« Un jour, un jour »,
Chante le Sujet
« Je me tiendrai
Seul
Sur mes pieds.
Sans ordre
Sans Verbe
Et sans allié,
Dans un désordre
Illuminé ! »
Je recherche surtout la légèreté, le temps vous leste si vite...
Nuages
Les nuages frôlent
Falaises et crêtes
Courtisent les vallées
Tracent sur plan d'azur
De brèves et blanches écritures
Détissées par le temps
Face aux montagnes
Qui surplombent nos saisons passagères
Nous sommes ces nuages
Entre gouffres et sommet.
Connaissant, grâce à son métier, les déroulements de l'Histoire, Steph questionnait l'Histoire. Qu'était-elle d'autre, depuis les origines, que violences, qu'instinct prédateur, que désir de domination ? Déjà la bactérie ne se perpétue qu'en absorbant, qu'en dévorant l'autre; était-ce une nécessité, une fatalité gravées dans nos cellules ? De peuples à peuples, de familles à familles, qu'était-elle d'autre, la vie que batailles, où la vanité, l'orgueil, la course au pouvoir et à ses avantages devenaient les leviers de l'existence ? Mais y aurait-il eu Shakespeare, Eschyle, Euripide, Molière, Dostoïevski et d'autres, si nous n'appartenions qu'à une tribu sage, bienveillante, pacifique ?
"L'homme était insaisissable, l'existence, une énigme. Parfois un geste, un paysage, une rencontre, une parole, une musique, une lecture ; surtout l'amour, rachetaient ces ombres. Il fallait savoir, s'en souvenir, parier sur ces clartés-là, les attiser sans relâche."
La poésie suggère. En cela, elle est plus proche qu’on ne pense de la vie, qui est toujours en deçà de l’instant qui frappe.
Terre et poésie - 1956
Regarder l'enfance
Jusqu'au bord de ta vie
Tu porteras ton enfance
Ses fables et ses larmes
Ses grelots et ses peurs
Tout au long de tes jours
Te précède ton enfance
Entravant ta marche
Ou te frayant chemin
Singulier et magique
L'oeil de ton enfance
Qui détient à sa source
L'univers des regards.
( " Epreuves du vivant")