Angèle Ferrala

Il avait besoin de chaleur humaine.
Il avait besoin de croire en la vie, perdu et effrayé sur l'océan de ses peurs.
Elle voulait vivre.

Il avait besoin de s’isoler, de réfléchir pour savoir ce qu’il voulait faire de ces extraits de sa vie. Rachelle avait hoché la tête indiquant qu’elle serait à la maison tout l’après-midi, et qu’elle lui préparerait un plateau-repas pour ce soir. Bastien lui témoigna à nouveau sa reconnaissance en la serrant dans ses bras. Il avait fait de même avec Paul, et celui-ci lui avait rendu son étreinte accompagnée d’un « Tu vas voir, même si la situation paraît floue, étrange ou improbable, tu vas y arriver ».   Tu parles d’une situation floue, étrange ou improbable ! Je suis donc bien Bastien Vallier, j’ai un métier que je n’exerce pas, j’ai une famille que je ne connais pas, j’ai une fille que j’ai oubliée. Je suis marié et père de famille.

La vie ne vous a pas conduits dans la même direction après la naissance de votre enfant. Tu passeras ce cap, je le sais. Mais pleure pour l’instant, pleure tout ce que tu as perdu et tous les souvenirs d’amour que tu as. Pleure tout ce qui va te manquer. Pleure-les aujourd’hui, pleure-les demain et encore après-demain. Pleure-les pour que le mois prochain, tu te relèves et tu retrouves ta force pour aller de l’avant. Tu vas continuer à vivre et plus tard, tu ressentiras à nouveau le bonheur et la joie de vivre. Pleure pour que dans un futur que j’espère proche, tu puisses reconstruire ta vie et retrouver la douceur d’exister. Pleure dans l’instant pour que le futur soit plus grand.

Bastien, la page n’est plus blanche. Vous avez des indices, vous pouvez creuser et maintenant vous savez dans quelle direction le faire. Nous n’en savons pas plus pour l’instant, mais c’est déjà beaucoup. Croyez-moi ! Je suis cependant d’accord avec vous : si vous ne vous souvenez plus de votre enfant, c’est qu’il s’est passé quelque chose.
Bastien serra les poings. Son visage se crispa de douleur. Rachelle attendit qu’il la regarde enfin puis planta son regard dans le sien :
— Il s’est passé quelque chose. Quelque chose qui a anéanti votre mémoire et il va falloir trouver ce que cela peut être.
 

Elle n’avait réellement pris conscience que tardivement de la valeur du respect de soi et d’autrui que ses parents lui avaient transmise. Jeune adolescente, elle ne s’interrogeait pas sur cela. L’incident de la piscine l’avait certes ébranlée, mais alors étudiante, elle était concentrée sur ses études et ses apprentissages. Puis la rencontre avec Bastien l’avait ensuite transportée loin du nid maternel. Guidée par les ailes de l’amour et l’énergie débordante de la jeunesse, elle avait avancé sans plus se questionner ou analyser son éducation pour construire ce qu’elle avait aujourd’hui.

Vous avez peur Bastien. Je le vois dans vos yeux en prononçant ces mots. Mais la peur entrave. La peur bloque. La peur anéantit toute volonté, empêche toute évolution et donc tout bonheur

Elle était encore bien en chair, signe qu’elle avait une bonne santé même si ses gestes étaient plus lents que l’énergie qui semblait émaner d’elle. Elle portait une tunique fleurie à manches courtes sur un caleçon lui arrivant aux chevilles. Ses pieds étaient chaussés de pantoufles faites d’un coton moelleux. Bastien l’imagina sans peine assise sur le canapé à tricoter de la layette pour ses petits-enfants, ajustant ses lunettes pour recompter avec précision le nombre de mailles de son ouvrage.

Quelle joie de te serrer ma petite fille. Je sens cette douceur chaque fois que je caresse ton visage. Cette même douceur que lorsque tu es née. C’est la première chose qui m’a touchée ce jour-là. La douceur de ta peau alors que je faisais courir mes doigts sur ta joue et qu’on t’a posée sur moi. La douceur de ton regard alors que je t’admirais et oubliais totalement l’endroit où je me trouvais. Tu as tourné tes yeux vers moi. De merveilleux yeux bleus.

Travailler lui faisait du bien. C’était sa bouffée d’oxygène. Emma était passionnée par son travail et se concentrer sur une entorse à la cheville, sur une rééducation après un accident de voiture ou sur un traumatisme articulaire chez un sportif lui changeait les idées. Elle aimait venir en aide à ses patients et se sentir utile. Pourtant depuis deux semaines, elle rencontrait de nouvelles difficultés.

Cet homme, assis là à côté d’elle, sur une couverture usée, avec deux gobelets en plastique et une bouteille de vin à moitié vide, avec qui elle avait partagé deux ans de sa vie seulement, cet homme pourrait devenir le père de ses enfants.
Elle avait senti des fourmillements lui parcourir les bras, remonter ses épaules et descendre le long de son dos pour rejoindre le creux de son ventre.